Livres. Le retour du « roi » ! A 75 ans, il a déjà signé pas moins de 60 romans. Rien que des best-sellers… Avec « Billy Summers », Stephen King ne laisse sa place à quiconque- et nous offre un impeccable texte sur « un type bien qui fait un sale boulot ». En toile de fond, la guerre et l’Amérique des petites villes…
Stephen King sort « Billy Summers » : fiction à suspense du roi du thriller
Ce pourrait être un discours de la méthode. On demande la genèse de son nouveau roman, l’auteur répond : « En premier, j’ai eu une vision : j’ai vu un homme dans un appartement en sous-sol, il regarde par la fenêtre qui ressemble à un périscope, et il voit des pieds marcher sur le trottoir »… Dans le roman, il fait dire à un personnage : « Saviez-vous que vous pouviez vous asseoir devant un écran ou un bloc de papier et changer le monde ? »
L’auteur a 75 ans, il a écrit soixante romans (tous des best-sellers), il est Américain et s’appelle Stephen King. Il est le roi du thriller et du roman d’horreur- sauf que là, avec son nouveau livre, « Billy Summers », il n’y a ni thriller ni horreur. Juste une fiction- mais de la bonne, de la très bonne même avec suspense, récit de guerre, road trip et déclaration d’amour à l’Amérique des petites villes !
D’entrée, on est prévenu par la paresse américaine : « Le meilleur livre de King depuis des années » ou encore : « La preuve que King peut encore nous surprendre et nous étonner », et par l’éditeur français : ce livre bien épais (562 pages !), c’est « l’histoire d’un type bien… qui fait un sale boulot ».
On y ajoute les paroles d’« Amazing Grace », une chanson inspirée par un cantique parmi les plus célèbres du monde anglican paru en 1779 : « J’étais égaré mais j’ai retrouvé mon chemin ». Tout simplement la vie et le destin de Billy Summers… Son job : tueur à gages qui ne dézingue que les salauds.
Il veut décrocher, il vient d’accepter une dernière mission à 2 millions de dollars- 500 000 en acompte, 1,5 million lorsque l’affaire sera bouclée. Le jeu en vaut grandement la chandelle, a-t-il pensé… Ce jour-là, il est seul dans sa chambre, il se prépare, lui qu’on tient pour le meilleur tueur à gages de la profession. On va apprendre qu’il a 44 ans, qu’il a fait la guerre d’Irak et qu’il a des principes.
Il s’est fixé une règle : n’accepter des « contrats » que s’il faut éliminer de vrais méchants, de ces types qui ont commis meurtres d’enfants ou viols de mineures. On va aussi apprendre qu’il lit beaucoup, des « vrais livres » et aussi des BD- genre qui a sa préférence, et qu’il vénère l’écrivain français Emile Zola (1840- 1902), « version cauchemardesque de Charles Dickens », chez qui il prend ses leçons de vie… Dans son sac, toujours un exemplaire de « Thérèse Raquin », « un mélange de James M. Cain et des BD d’horreur des années 1950 ».
La cible de ce contrat, le dernier qu’accepte Billy Summers ? Joel Allen, assassin d’un ado de 15 ans et un de ses ex-collègues, doit passer devant le tribunal de Red Bluff, petite ville de l’est du Mississipi. Problème : l’histoire est autrement plus compliquée qu’il n’y paraît puisque personne ne connaît la date exacte de l’arrivée du criminel. On suppute : peut-être dans six semaines… peut-être dans six mois… allez savoir.
Alors, Billy va se glisser dans le petit monde de la ville. Il a même une couverture que lui ont fabriquée les commanditaires du contrat : il s’appelle David Lockridge et est écrivain. Ça tombe bien et ça plaît beaucoup à Billy Summers, il lit beaucoup (on le voit toujours avec un livre à la main) et a toujours souhaité écrire des livres. Et c’est là que surgit le talent et le génie de Stephen King : bien sûr, l’auteur nous narre l’histoire du contrat mais il y glisse une autre histoire, celle de Billy consignant sous la forme d’un roman ses souvenirs, intimes, traumatiques ou militaires et tout ce qu’il a vécu depuis ce jour d’horreur lorsque sa petite sœur a été tuée devant lui…
Un roman dans le roman, avec un héros et meurtrier et artiste. Un héros qui flotte entre le mal et le bien. Entre une arme à feu et la Bible dans une Amérique au drapeau ensanglanté, toujours hantée par le spectre des guerres au Vietnam et en Irak, toujours persuadée que le reste du monde lui pardonne de sacrifier tant et tant au nom et la gloire du billet vert, du « saint Dollar »…
Ecrit pendant la présidence de Donald Trump, « Billy Summers » n’est pas seulement un roman sur un « gentil » tueur. C’est aussi, enveloppé de montagnes de tendresse, un texte sur une Amérique oubliée et un amour immense de la littérature. Et c’est ainsi que Stephen King sera toujours le roi !
Serge Bressan
- A lire : « Billy Summers » de Stephen King. Traduit par Jean Esch. Albin Michel, 562 pages, 24,90 €.
EXTRAIT
« De retour dans le hall de l’hôtel le lundi midi, Billy Summers attend qu’on vienne le chercher.
Sa valise et la sacoche de son ordinateur sont posées à côté de son fauteuil et il lit une autre bande dessinée d’Archie : « Amis pour la vie ».Aujourd’hui, il ne pense pas à « Thérèse Raquin », mais à ce qu’il pourrait écrire dans le bureau du quatrième étage. Ce n’est pas encore très clair dans son esprit, mais il a déjà la première phrase, et il s’y accroche. Elle pourrait en entraîner d’autres. Ou pas. S’il se sent prêt à connaître le succès, il est prêt également à affronter la déception. Il a toujours fonctionné ainsi, et ça lui a plutôt bien réussi jusqu’à présent. Puisqu’il n’est pas en prison ».
Les plus du King
Passionné de baseball, moto et musique, Stephen King a publié son premier roman, « Carrie », en 1974. Aujourd’hui, à 75 ans, il a signé 60 romans, 12 recueils de nouvelles et, sous le pseudonyme de Richard Bachman, 7 romans. En toute subjectivité, voici les quatre livres « plus » de Stephen King- et aussi, son préféré.
Le plus connu
« Shining » (1977)
Le troisième roman du « King ». Homme instruit mais colérique, Jack Torrance tente de reconstruire sa vie et celle de sa famille après la perte de son emploi d’enseignant due à un élan de violence. Il arrête de boire, accepte un emploi de gardien dans un grand hôtel isolé dans les montagnes et fermé l’hiver, emménage dans l’hôtel Overlook avec sa femme Wendy et leur fils Danny. Celui-ci possède le « Don » (le « shining ») de médium et est sensible aux forces surnaturelles.
Le jour de son arrivée à l’hôtel, Danny fait la connaissance de Dick Hallorann, le cuisinier de l’hôtel, qui possède lui aussi le « shining » mais à un degré bien moindre que le jeune garçon. Hallorann met en garde Danny contre les dangers de l’hôtel qui serait doté d’une conscience, et possédé par des esprits…
Le plus terrifiant
« Misery » (1987)
Ecrivain de best-sellers devenu riche et célèbre avec les aventures de Misery Chastain, une héroïne romantique, Paul Sheldon décide de la faire mourir pour se consacrer à d’autres histoires (qu’il juge plus sérieuses). Il a achevé un nouveau roman, d’un tout autre genre, dans un hôtel du Colorado mais en partant, pris dans une tempête de neige, il est victime d’un grave accident de voiture.
Les deux jambes cassées, il est sauvé par une ancienne infirmière, Annie Wilkes, qui l’emmène dans sa maison toute proche plutôt qu’à l’hôpital. Elle soigne Paul, qui a été inconscient et entre la vie et la mort pendant plusieurs jours, et lui dit être sa plus fervente admiratrice mais celui-ci remarque rapidement que le comportement d’Annie n’est pas normal et qu’elle souffre de troubles mentaux.
Le plus mauvais
« La Tour sombre » (1982- 2012)
Une série romanesque en huit volumes publiée sur une période de trente ans. Encore étudiant à l’université du Maine, Stephen King a 22 ans quand il commence l’écriture du premier volume, « Le Pistolero ». Avec cette série qu’il qualifiera de « Jupiter du système solaire de mon imagination », le romancier a tenté le grand mix de la fantasy, de l’horreur, de la science-fiction et du western métaphysique- sans véritablement y parvenir tout glissant dans ses autres romans de nombreuses références à cette Tour sombre.
Tout commence avec Roland, le dernier pistolero encore vivant dans Gilead, contrée imaginaire aujourd’hui disparue qui rappelle le Far West du 19ème siècle. Roland se lance à la poursuite d’un mystérieux homme en noir, puis part à la conquête de la Tour sombre, endroit fabuleux censé être le pivot de tous les mondes possibles. Une série pour une mauvaise imitation des romans de J.R.R. Tolkien.
Le plus réussi
« Ça » (1986)
« Must » du roman d’horreur, « Ça » a été le livre le plus vendu aux Etats-Unis en 1986 (avec un premier tirage à 1 million d’exemplaires) et a reçu le prix British Fantasy 1987. L’histoire : la lutte entre sept enfants terrorisés devenus adultes et une entité maléfique connue sous le nom de « Ça » qui prend la forme des peurs les plus profondes mais se présente principalement sous la forme d’un clown maléfique se faisant appeler Grippe-Sou.
La force de roman tient à sa forme non linéaire : il alterne deux périodes de temps différentes (à vingt-sept ans d’intervalle) ainsi qu’entre les différentes perspectives et les histoires des sept personnages principaux. Il fait également alterner les monstres symboliques et les monstres de la vie réelle. Avec « Ça », Stephen King magnifie son travail sur l’enfance entamé dans plusieurs romans précédents.
Son livre préféré
« Sa Majesté des Mouches » de William Golding (1954)
Parmi ses dix livrés préférés, Stephen King place en numéro 1 « Sa Majesté des Mouches » de l’écrivain britannique post-moderniste William Golding (1911- 1993), prix Nobel de littérature 1983. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, un avion s’écrase sur une île déserte du Pacifique- le pilote et les adultes accompagnateurs périssent alors que survivent les quinze enfants anglais issus de la haute société. Livrés à eux-mêmes dans une nature sauvage et paradisiaque, ils s’organisent en reproduisant les schémas sociaux qui leur ont été inculqués.
Mais bien vite le vernis craque, la fragile société vole en éclats et laisse peu à peu la place à une organisation tribale, sauvage et violente bâtie autour d’une religion rudimentaire et d’un chef charismatique nommé Jack. Offrandes sacrificielles, chasse à l’homme, guerres sanglantes : la civilisation disparaît au profit d’un retour à un état proche de l’animal que les enfants les plus fragiles ou les plus raisonnables paient de leur existence.