Le chanteur d’Indochine sort le sublime Black City Parade. Un album à l’univers urbain, à la pop-rock élégante et puissante.
Votre dernière tournée, le Météor Tour, qui vous a conduit jusqu’au Stade de France, a rassemblé plus de 800 000 personnes. Comment fait-on pour redescendre sur terre après un tel succès ?
Nicola Sirkis. Il faut accepter de perdre tous ses privilèges. Du jour au lendemain, il faut s’arrêter. C’est la seule façon de pouvoir se renouveler et y croire encore. Avec le Stade de France (2010 ), on était arrivés à une apothéose. C’était un moment magique de plus. Il y a une légende dans le rock qui dit que les meilleurs albums, c’est les trois premiers et qu’après ce n’est que de la redite. Nous, on a cette chance que chaque album est attendu vraiment comme le messie par beaucoup de gens. Ils ont encore envie d’écouter les anciennes chansons mais aussi les nouvelles.
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Black City Parade a été enregistré et mixé entre Paris, Berlin, Bruxelles et New York. L’inspiration urbaine, c’est un bon moteur à la création ?
Nicola Sirkis. On est plutôt à se retirer à la campagne pour être tranquilles vu que l’on vit pratiquement tous en ville. Les deux derniers albums ont été composés comme cela dans des endroits solitaires. Là, j’avais un besoin d’urbanité, de changer d’air, d’être confronté à des univers différents, Bruxelles, Berlin, New York. On a voulu baptiser cet album Black City Parade parce que, dans une ville éclairée la nuit, il y a un esthétisme extrêmement fascinant. Me promener dans Tokyo avec ses buildings, ses lumières qui clignotent de tous les côtés, j’avais l’impression de me retrouver dans des albums de science-fiction. Voir une ville d’avion la nuit, c’est un peu comme survoler un corps humain lumineux avec ses vaisseaux sanguins qui se fluidifient de tous les côtés. Une ville, c’est toute une atmosphère. D’un trottoir à l’autre, il y a du bonheur et du malheur, de l’extrême richesse et de l’extrême pauvreté, ces confrontations, cette violence et cet amour. Il y a du sexe, la mort, la vie, tout ça dans un lieu pas si grand que cela finalement. C’est une parade de sentiments.
La chanson College Boy est très d’actualité puisqu’elle évoque l’homophobie …
Nicola Sirkis. C’est l’homophobie et le côté d’être tout d’un coup dans une école, collège anglais, québécois, français. Quand je suis arrivé en France venant de Bruxelles à treize ans, où j’étais en pension chez les jésuites, je n’étais pas dans le mood. J’ai été directement à Douai. On n’était pas du quartier et on nous l’a bien fait sentir. C’est difficile quand on est jeune. Comme ça doit être très difficile pour un jeune de banlieue ou du 16e d’être dans un lycée et dire qu’il est homosexuel. C’est l’implacabilité de la société à être très violente avec la différence. Mais on est légitime parce qu’on a écrit une chanson il y a trente ans, Troisième Sexe, qui parlait déjà de l’intolérance vestimentaire, de la différence et de la bisexualité. On est atterrés qu’elle soit toujours d’actualité.
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Que vous inspire le débat auquel on a assisté sur le mariage pour tous ?
Nicola Sirkis. Je suis attristé de voir que, pour la première fois, les gens ont manifesté en masse, non parce qu’on leur enlève un droit, mais pour ne pas donner un droit à d’autres gens. C’est terrifiant. Si on reporte ça à l’histoire du monde, des gens ont manifesté aux États-Unis pour ne pas donner le droit de vote aux Noirs ou le droit de voyager dans des bus aux Noirs. L’enfant n’est pas en danger dans un couple homosexuel. Le repère du père ou de la mère, on est en 2013, il faut vivre avec son temps. J’ai l’impression qu’une partie des gens qui ont manifesté le 13 janvier vont changer d’avis et même, peut-être, dans quelques années, avoir honte d’y avoir participé.
Votre esthétique a toujours été empreinte de noirceur. Et là vous signez un titre baptisé Le fond de l’air est rouge. Paradoxe ?
Nicola Sirkis. C’est basé sur le printemps du Québec. Le titre est un hommage à Chris Marker et son film Le fond de l’air est rouge, une tétralogie sur l’histoire de la gauche du début du siècle à aujourd’hui. Un film qui m’a énormément touché quand j’étais adolescent. Les mouvements du Québec, je trouvais qu’on n’en parlait pas beaucoup en France. Il se passait là-bas quelque chose de fort, une sorte de Mai 68 pour eux. C’était la première fois en Amérique du Nord qu’on assistait à des mouvements comme ça. Ils se révoltaient parce que le droit scolaire avait augmenté, mais la réaction des politiques en face a été extrêmement violente. La chanson est partie de là.
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Comment expliquez-vous qu’Indochine continue d’avoir du succès trente ans après ses débuts ?
Nicola Sirkis. Ce qui sauve ce groupe aujourd’hui, c’est son exigence, alors qu’au début c’était son inconscience. Il n’y a pas de demi-mesure avec Indochine : on aime ou on déteste. Ce groupe ne laisse vraiment pas indifférent et, à chaque fois, il y a des nouveaux publics qui arrivent. C’est galvanisant !
Album Black City Parade Sony Music/Arista. Tournée à partir du 21 février.
La parade d’Indochine Indochine a un vrai sens des mélodies fédératrices. Black City Parade n’échappe pas à la règle avec cette fois un univers voyageur, l’album ayant été réalisé entre Paris, Berlin, Bruxelles, Tokyo ou New York. Une inspiration urbaine qui a galvanisé le groupe dont on retrouve l’esthétique sombre et dansante. Noire ou lumineuse, la parade d’Indochine évoque la comédie humaine des villes de jour ou de nuit. Joie, colère, amour, souffrance, sexe, racisme, homophobie… les thèmes des chansons font écho à une pop-rock puissante et élégante, entre guitares, synthés et la voix qui ne vieillit pas de Nicola Sirkis. Un album magnifiquement produit qui devrait conduire le groupe sur la route du succès, avec une tournée qui passera par le Stade de France en juin 2014.