« Et la fête continue ! » avec le cinéma militant et poétique de Guédiguian

Sortie cinéma. Dans son 23e film, « Et la fête continue! » (ce mercredi 15 novembre sur les écrans), le réalisateur Robert Guédiguian rassemble tout ce qui lui tient à cœur: les quartiers de Marseille, ses racines arméniennes, le militantisme pour défendre les valeurs de gauche, la solidarité entre les plus modestes, les relations familiales et la force de l’amour dans les destins individuels.

« Et la fête continue ! » : À 69 ans, Robert Guédiguian n’abandonne pas le cinéma militant et engagé, et ses films font souvent penser à ceux du réalisateur britannique Ken Loach

Le film commence par des images d’archives sur l’effondrement de deux immeubles vétustes qui fit huit morts le 5 novembre 2018 dans un quartier populaire du vieux Marseille. Au cœur de la lutte des familles des victimes et des personnes évacuées de leurs appartements, la jeune Alice et son amoureux Sarkis (Lola Naymark et Robinson Stévenin).

Engagement politique

Celui-ci tient un bar arménien et présente Alice à sa famille, très unie: son frère, sa belle-sœur, son oncle et sa mère, Rosa (Ariane Ascaride). Celle-ci, infirmière à l’hôpital de la Timone, est l’âme du quartier. À l’approche de la retraite, elle se pose des questions sur son engagement politique et sur l’opportunité de se présenter aux élections municipales comme tête de liste socialiste du quartier alors que ses alliés (communistes, écologistes, insoumis, collectifs de citoyens) affichent leurs divisions.

Portée par la vitalité de ses proches et par sa rencontre avec Henri (Jean-Pierre Darroussin), le père d’Alice, de passage à Marseille, elle va réaliser qu’il n’est jamais trop tard pour accomplir ses propres rêves, politiques et personnels…

Inspiré de la maire de Marseille Michèle Rubirola

Le sujet de ce film a été inspiré à Robert Guédiguian par la victoire, aux élections municipales de 2020, de Michèle Rubirola, candidate d’une liste d’union de la gauche. Élue maire de Marseille, elle a démissionné cinq mois plus tard, devenant première adjointe et laissant le fauteuil de maire au socialiste Benoît Payan.

« Michèle Rubirola ne voulait pas être tête de liste de la gauche pour les municipales à Marseille mais elle seule faisait l’unanimité. Elle a donc été «contrainte» d’accepter et, contre toute attente, a été élue. Au bout de quelques mois, elle a craqué et a abandonné le poste de maire », explique Robert Guediguian. « Il y avait chez elle un refus du pouvoir alors qu’elle a milité toute sa vie pour y accéder ou, du moins, pour que ses idées prennent le pouvoir. Son attitude m’a intrigué et m’a donné l’idée d’interroger le rapport que nous entretenons aujourd’hui avec l’action politique à travers quelques personnages de différentes générations ».

« Et la fête continue! » : un film métaphorique et poétique

Et d’ajouter: « Michèle Rubirola m’a inspiré, à son insu, le motif central du film. Ça s’arrête là. Je n’ai fait ni enquête, ni interview. Nous avons immédiatement écarté l’hypothèse d’une reconstitution de son histoire. Il n’y a pas de bureau de vote, pas de scrutin, pas de campagne électorale, etc. Je voulais quelque chose qui ne serait ni historique ni journalistique, mais métaphorique, voire poétique ».

À 69 ans, Robert Guédiguian n’abandonne pas le cinéma militant et engagé, et ses films font souvent penser à ceux du réalisateur britannique Ken Loach. Mais cela ne l’empêche pas de raconter des destins individuels, des histoires d’amour (ici entre Rosa et Henri mais aussi entre Sarkis et Alice), des moments de poésie et de tendresse, et de la mélancolie à propos de ses origines arméniennes (du côté de son père).

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Lutte collective

Le message global de « Et la fête continue! » reste certes celui de la nécessité de se battre collectivement contre les inégalités, la pauvreté, l’injustice. « En ces temps étranges de régression et d’égoïsme qui touchent toutes nos sociétés, un cinéaste ne peut se contenter de décrire la misère du monde, il doit aussi montrer des voies nouvelles grâce auxquelles les idées de partage et de démocratie peuvent l’emporter, de l’Arménie agressée à SOS Méditerranée, du statut des réfugiés au logement social, de la défense de l’hôpital et de l’école, de la réinvention de la gauche à l’horizontalité des luttes de quartier », dit Robert Guédiguian.

Le réalisateur de « MARIUS ET JEANNETTE » (1997) garde ici l’espoir que l’on peut changer les choses dans les urnes (les dirigeants de l’actuelle Nupes seraient bien avisés d’aller voir le film), et se montre moins sombre, moins désabusé et moins pessimiste, pour la nouvelle génération, que dans certains de ses films précédents comme LA VILLA (2017) et GLORIA MUNDI (2019).

Double message

Ariane Ascaride, sa compagne depuis les années 70, présente dans pratiquement tous ses films et comme lui militante de gauche, est ici le symbole parfait des deux faces de son personnage et du message du film: celle pour qui la vie amoureuse n’est pas terminée malgré une famille déjà nombreuse, celle pour qui la vie militante n’est elle non plus pas finie malgré l’approche de la retraite. Une double énergie qu’elle résume dans une réplique: « Il faudrait avoir deux vies: la première pour s’aider soi-même, la deuxième pour aider les autres ».

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore, rater mieux » (citation attribuée à Samuel Beckett, écrite par Henri sur une carte postale envoyée à sa fille Alice).

• A voir : « ET LA FÊTE CONTINUE! » (France, 1h46). Réalisation: Robert Guédiguian. Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark (Sortie 15 novembre 2023)

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