Sortie cinéma. Un bébé sauvé de l’hiver et de l’Holocauste: c’est à un devoir de mémoire sur la Shoah que se livre le réalisateur Michel Hazanavicius dans son premier dessin animé, sombre et poignant, « LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES », qui sort ce mercredi 20 novembre après avoir été présenté en compétition au dernier Festival de Cannes.
« La plus précieuse des marchandises » : un dessin animé, d’une grande sensibilité et d’une grande humanité
« La plus précieuse des marchandises »
Il était une fois, dans une grande forêt enneigée d’un pays qui ressemblerait à la Pologne, à une époque qui pourrait être les années 30/40, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d’eux la guerre leur rendaient la vie bien difficile.
Un jour, la bûcheronne recueille un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse la forêt. C’est une petite fille, qu’elle ramène à la maison. Mais son mari le bûcheron est mécontent: il s’agit d’une enfant des « sans-cœurs », cette « race maudite » qu’on entasse dans les trains de passage.
Soldat gueule cassée
La bûcheronne n’abandonne pas et décide de protéger à tout prix le bébé, cette « plus précieuse des marchandises », quitte à dormir avec lui dans la grange de la maison comme le lui impose son mari, quitte à échanger ses fagots de bois contre du lait de chèvre d’un soldat gueule cassée caché dans une grotte.
Jusqu’au jour où le bûcheron se laisse attendrir par la fillette et l’adopte lui aussi, convaincu par ce que lui a dit sa femme: « les «sans-cœurs» ont un cœur ». Mais ses collègues bûcherons ne sont pas du même avis…
Tiré d’un conte de Jean-Claude Grumberg
Michel Hazanavicius, 57 ans, issu d’une famille de Juifs d’Europe de l’Est immigrée en France dans les années 1920, a toujours affirmé ne pas vouloir faire un film sur la Shoah, ou autour de la Shoah. C’est le conte écrit par le dramaturge, scénariste et écrivain Jean-Claude Grumberg, 85 ans, meilleur ami de ses parents depuis l’adolescence, qui l’a fait changer d’avis. Le livre, paru en 2019, vient d’être réédité par les Éditions Seuil.
« C’est une histoire profonde, puissante, humaniste, en même temps que délicate et modeste, et qui m’a semblé être un classique instantané quand je l’ai découverte, avant même sa publication », dit le réalisateur. « (…) On peut toujours trouver des bonnes scènes, des bons acteurs, des bonnes situations, des bons moments de cinéma, mais une véritable bonne histoire, quand vous tombez dessus, il ne faut pas la laisser passer ».
Hazanavicius dessinateur
Réalisateur éclectique des deux premiers OSS117, de THE ARTIST (2011) couronné aux Oscars, ou plus récemment LE REDOUTABLE (2017), LE PRINCE OUBLIÉ (2020) ou COUPEZ! (2022), Michel Hazanavicius dessine depuis l’âge de 10 ans. C’est donc lui qui a réalisé les dessins du film, aux traits stylisés mais réalistes, d’une simplicité et d’une beauté presque évidentes.
Après l’adoption du bébé par le couple de bûcherons, l’histoire raconte l’histoire de la fillette (avant et après) et montre notamment les camps de concentration, mais la technique du dessin animé permet de ne pas confronter directement le spectateur avec l’horreur. « Moins on montre et plus on suggère, plus le spectateur participe au récit, fait appel à son imagination, et devient actif dans le processus de narration. De cette manière, en imposant moins, on laisse au spectateur le soin de définir ce qu’il a envie d’investir dans la scène », explique le réalisateur.
« Sans-cœurs »
Ce dessin animé, d’une grande sensibilité et d’une grande humanité, n’est pas destiné aux jeunes enfants –ce n’est pas du Disney– mais sera utilement vu par les adolescents, même s’il n’évoque pas directement la Shoah, la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne, les Nazis ou les Juifs, ici qualifiés de « sans-cœurs » par leurs tortionnaires.
Pour autant, Michel Hazanavicius réfute le terme de « devoir de mémoire » pour ce dessin animé. « Non, ce n’est pas mon truc. Je ne suis pas prof, je ne me sens pas investi d’une mission, je suis réalisateur de films, je fais du spectacle, ça me va très bien de rester à ma place. J’en ai parlé avec Grumberg, qui m’a dit que ce n’était pas non plus son idée ».
Note d’espoir
Mais il ajoute quand même que « si le film appelle à se souvenir de quelque chose ou de quelqu’un, c’est des Justes. Ces hommes et ces femmes qui ont sauvé des vies au péril de la leur. C’est eux que le film célèbre. Ce n’est ni une célébration des victimes, ni une condamnation des bourreaux ».
Court (1h21), sobre et sans beaucoup de dialogues, sombre et seulement éclairé par les rires du bébé dans sa première partie, le film, beau et grave, prend ensuite une autre dimension, poignant puis se dirigeant vers une note d’espoir.
Jean-Louis Trintignant
« La Plus précieuse des marchandises n’est pas une histoire sur l’horreur, ou sur les camps, ça transcende cela », dit Michel Hazanavicius. « C’est un mouvement des ténèbres vers la lumière, c’est une histoire lumineuse, qui révèle ce que l’homme –et en premier lieu la femme– a de meilleur. (…) Ce n’est pas un film sur les massacres, la guerre, la mort, c’est un film animé par les forces de vie, ce qui peut encore nous donner des raisons d’espérer ».
Le réalisateur a fait appel, pour les rares voix des personnages, à Dominique Blanc (la bûcheronne), Grégory Gadebois (le bûcheron), Denis Podalydès (le soldat gueule cassée) et surtout Jean-Louis Trintignant (le narrateur, en voix off) dans son dernier enregistrement avant sa mort en juin 2022. Un narrateur qui, en fin de film, envoie un dernier message en référence aux révisionnistes et antisémites: « On dit que rien de tout cela n’est arrivé, que rien n’est vrai. Mais on dit tant de choses… »
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « Les «sans-cœurs» ont un cœur » (la bûcheronne, puis le bûcheron)
- A voir :« La Plus Précieuse Des Marchandises » (France, 1h21). Réalisation: Michel Hazanavicius. Avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Denis Podalydès (Sortie 20 novembre 2024)
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