« L’Agent secret » : remarquable et captivant thriller politique brésilien

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"L'Agent secret" : Marcelo (Wagner Moura), homme au passé trouble, arrive dans la ville de Recife pour une nouvelle vie (©Victor Juca/CinemaScópio/MK Production/One Two Films/Lemming).

Sortie cinéma/L’Agent secret. C’est le seul film à avoir obtenu deux prix (mise en scène et interprétation masculine) au dernier Festival de Cannes, et les spectateurs vont voir que c’est mérité: L’AGENT SECRET (mercredi 17 décembre sur les écrans), du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, est un formidable thriller politique qui mêle suspense et nostalgie.

L’Agent secret est le seul film à avoir obtenu deux prix (mise en scène et interprétation masculine) au dernier Festival de Cannes

Le réalisateur avait 8 ans dans le Brésil de 1977 et il se souvient de l’ambiance qui y régnait, en plein cœur de la période de dictature militaire que connut le pays (1964-1985). C’est dans ce contexte que Marcelo (Wagner Moura), un homme d’une quarantaine d’années, arrive, au volant de sa Coccinelle jaune, dans la ville de Recife, dans le nord-est du pays, où le carnaval bat son plein.

Passé trouble

L’homme, veuf (sa femme est morte d’une pneumonie), vient y retrouver son jeune fils, élevé par ses grands-parents maternels. Il vient aussi faire des recherches sur le véritable état-civil de sa mère disparue. Mais surtout il semble fuir un passé trouble.

Car ce Marcelo mystérieux est accueilli dans une résidence collective dirigée par une vieille dame malicieuse (Tania Maria), qui abrite des immigrés et opposants politiques avec qui il se lie d’amitié. Sans savoir que deux tueurs à gages sont à ses trousses…

Thriller politique

L’AGENT SECRET est un thriller politique mais la dictature des années noires brésiliennes n’en est pas le sujet, elle n’est jamais montrée directement. « Ce qui m’intéresse, c’est quand un thème est omniprésent sans qu’on le nomme directement. La dictature, dans L’AGENT SECRET, est comme une ombre: elle imprègne chaque geste, chaque silence. On la sent dans l’air, sans qu’il soit besoin de la montrer. Dramatiquement, c’est plus fort, plus mystérieux », explique le réalisateur dans une interview dans le dernier numéro du mensuel Première.

Un des meilleurs films de 2025

Remarquable, riche, assurément un des meilleurs films de 2025, c’est surtout un film d’ambiance, dans lequel défilent un cadavre abandonné sous des cartons dans une station-service (superbe scène d’ouverture); un autre cadavre dans un sac, qu’on sort d’un coffre de voiture pour le balancer d’un pont dans la rivière; une jambe humaine retrouvée dans les mâchoires d’un requin; une mystérieuse autre « jambe poilue », légende urbaine symbolisant la répression contre les marginaux; un étonnant chat à deux têtes; un commissaire et ses deux fils qui ne se ressemblent pas; un mystérieux tailleur allemand aux blessures de guerre (un des derniers rôles du grand acteur Ugo Kier, décédé le 23 novembre dernier à 81 ans); deux jeunes femmes qui consultent des archives sonores et une étudiante qui fait des recherches historiques –un des fins mots de l’histoire, qu’on comprendra à la fin.

Fausses pistes et retours en arrière

Le suspense et les rebondissements s’accompagnent de scènes où alternent burlesque, horreur, romantisme ou amour familial –des fausses pistes, des retours en arrière, des moments célébrant la vie, plus forte que tout. Au début on ne comprend pas tout et il y a quelques longueurs, mais soudain cela change de rythme, l’histoire s’accélère et les explications tombent pour le spectateur –et l’on constate alors que le Prix de la mise en scène à Cannes est parfaitement mérité.



Le Prix d’interprétation pour Wagner Moura n’est pas usurpé non plus, tant l’acteur (vedette des saisons 1 et 2 de la série NARCOS, dans le rôle de Pablo Escobar) est omniprésent et interprète avec subtilité et conviction, avec ou sans barbe, cet opposant non-violent au régime au pouvoir.

Hommage au cinéma

Dans sa reconstitution du Brésil des années 70 et de sa ville natale de Recife, et les allusions émues à ses souvenirs qui résistent au temps qui passe, Kleber Mendonça Filho a parsemé son film, réalisé avec une virtuosité rare, de chansons brésiliennes et tubes internationaux de l’époque (If You Leave Me Now, I Love To Love), et de références à des films (LES DENTS DE LA MER, KING KONG, LE MAGNIFIQUE). Ceux-ci sont une forme d’hommage au septième art, à côté d’autres détails: le beau-père de Marcelo est projectionniste, et à la fin du film un bâtiment de don du sang est installé dans une ancienne salle de cinéma.

« Quand j’étais enfant, aller au cinéma était une expérience totale. Ce n’était pas seulement voir un film: on allait dans le centre-ville, on regardait les voitures, on sentait les odeurs… », raconte-t-il dans la même interview. « C’est ce que j’appelle la logique du temps. C’est ça que j’ai essayé de capturer. La logique du temps telle que je la percevais il y a 50 ans, et qui est bien différente de celle du Brésil actuel ».

Jean-Michel Comte

LA PHRASE : « Ne fais pas demain ce que tu peux faire après-demain. Vive la procrastination! » (un crieur de rue, pendant le carnaval).


  • L’Agent secret (« O Agente Secreto ») (Brésil, 2h38). Réalisation: Kleber Mendonça Filho. Avec Wagner Moura, Gabriel Leone, Maria Fernanda Cândido (Sortie 17 décembre 2025)
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