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Edouard Louis publie "Combats et métamorphoses d'une femme". (photo) : Arnaud Delrue. - Editions du Seuil

Livre. Après son enfance et son adolescence en Picardie, l’homosexualité et un viol à Paris, puis ceux qui ont «tué» son père, Edouard Louis revient avec « Combats et métamorphoses d’une femme », un quatrième livre consacré à sa mère. Il y rapporte une rébellion, une libération. Et assure écrire «contre la littérature»…


       Après avoir évoqué son enfance et son adolescence en Picardie, la découverte et la confirmation de son homosexualité, le viol subi à Paris, il a pointé ceux qui ont « tué » son père et, là, avec « Combats et métamorphoses d’une femme» Edouard Louis fait focus sur sa mère


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Edouard Louis publie « Combats et métamorphoses d’une femme ». (photo) : Arnaud Delrue. – Editions du Seuil

Il séduit autant qu’il irrite. A 28 ans, né Eddy Bellegueule le 30 octobre 1992 à Abbeville (Somme), Edouard Louis est, avec Michel Houellebecq, l’écrivain français le plus courtisé dans le monde entier. Vedette littéraire en Allemagne, il donne cours et conférences, entre autres, aux Etats-Unis et en Suisse. On l’a découvert en 2014 avec « En finir avec Eddy Bellegueule », on l’a retrouvé en 2016 avec « Histoire de la violence » puis en 2018 avec « Qui a tué mon père ».

Il nous revient en ce printemps 2021 avec « Combats et métamorphoses d’une femme », un livre bref (à peine 120 pages) encore plus politique que littéraire, sur le thème « tout sur ma mère » qui lui vaut, de la part d’un critique-écrivain parisien, deux surnoms peu amènes : le PDG de la « victim company » et le stakhanoviste du lamento- voilà le jeune homme habillé pour plusieurs saisons ! N’empêche, il existe bien dans le monde littéraire et intellectuel francophone un « phénomène Edouard Louis », confirmé par l’accueil et les critiques (bonnes, nombreuses, et mauvaises, quelques-unes) accordés à « Combats et métamorphoses d’une femme »



Après avoir évoqué son enfance et son adolescence en Picardie, la découverte et la confirmation de son homosexualité, le viol subi à Paris, il a pointé ceux qui ont « tué » son père et, là, il fait focus sur sa mère. Incipit de son nouveau livre : « Tout a commencé par une photo. Je ne savais pas que cette image existait et que je la possédais- qui me l’a donnée, et quand ? La photo était prise l’année de ses vingt ans. J’imagine qu’elle avait dû tenir l’appareil à l’envers pour saisir son propre visage dans l’objectif. C’était une époque où les téléphones portables n’existaient pas et où se photographier soi-même n’était pas une chose évidente ».

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Édouard Louis. © Abaca

Prénommée Monique, elle avait un rêve : devenir cuisinière (« A seize ans elle s’est inscrite à l’école hôtelière de sa région, mais un an plus tard elle a dû interrompre sa formation ; elle était enceinte… »), se marie « par convenance » à peine sortie de l’adolescence, à 18 ans est déjà « mère au foyer », a vite deux enfants (un garçon, une fille) avec un homme, « un plombier qu’elle avait rencontré quelques mois plus tôt » alcoolique et infidèle qu’elle « détestait déjà, après seulement quelques années de vie avec lui », divorce, se remarie avec un homme, ouvrier à l’usine et lui aussi alcoolique, qui deviendra le père d’Eddy puis d’un garçon et d’une fille… « Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’écrire une histoire triste, alors que je me suis donné pour objectif de raconter l’histoire d’une libération ? », écrit aujourd’hui Edouard Louis… Et quelques pages plus loin : « J’avais tellement l’habitude de la voir malheureuse à la maison, le bonheur sur son visage m’apparaissait comme un scandale, une duperie, un mensonge qu’il fallait démasquer le plus vite possible ». Monique, au quotidien débordant de malheur triste…



Bien sûr, elle pense à partir mais aller où ? Avec des enfants à charge… Lui, encore Eddy Bellegueule, est parti. Le lycée d’abord à Amiens, puis les études supérieures à Paris- dans son remarquable livre « Deux jeunesses françaises » (Grasset, 2021), Hervé Algalarrondo évoque un jeune garçon « attachant et ambitieux qui a fui à Paris ». Mais chez les « gens de peu », sa classe sociale, elle, la mère, n’avait d’autre solution que rester. Pourtant, à 45 ans, elle s’est rebellée, révoltée contre cette vie, elle est partie… à Paris. D’abord, perdue dans cet univers, dans ce monde qui n’est pas le sien. Elle fait connaissance d’un homme bienveillant, son fils devenu Edouard Louis la retrouve de temps à autre- ensemble, ils vont dîner au sommet de la Tour Montparnasse, Edouard demande à Monique ce qu’elle souhaite boire, elle répond : « Une petite coupe »… elle n’est plus picarde. Un autre jour près de la place Saint-Sulpice (quartier chic parisien), elle croise Catherine Deneuve, oui l’actrice, elles échangent quelques mots et le lendemain la comédienne revient, elles fument ensemble une cigarette… Pour mémoire, « Combats et métamorphoses d’une femme », annonce le titre du livre…


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Certains ont voulu voir dans le nouveau texte d’Edouard Louis, tout comme dans les trois précédents, un bel exercice d’autofiction, dans la veine créée par Serge Doubrovsky (1928- 2017) et entretenue par, entre autres, Annie Ernaux et Christine Angot. Mais l’auteur de « Combats et métamorphoses… » assure écrire « contre la littérature » et lance : « On m’a dit que la littérature ne devait jamais tenter d’expliquer, seulement illustrer la réalité, et j’écris pour expliquer et comprendre sa vie [celle de sa mère, NDLR]. On m’a dit que la littérature ne devait jamais se répéter… » Mais voilà, phénomène du monde littéraire, il va un peu plus loin et lance : « Je ne veux écrire que la même histoire, encore et encore ». Qu’on se le dise !

Serge Bressan

livre combats et métamorphoses d'une femme


EXTRAIT

«Le matin, quand je n’étais pas à l’école, je la voyais partir faire les courses à l’épicerie, rentrer, préparer le repas du midi, servir le repas, débarrasser, faire la vaisselle, nettoyer la maison, repasser le linge, faire les lits des enfants, préparer le repas du soir pendant l’après-midi, attendre mon père, nous servir, débarrasser la table du dîner, faire la vaisselle du soir. La même répétition, les mêmes gestes, cette journée-type reconduite presque tous les jours sans exception, sauf quand elle exigeait un peu d’aide de ma sœur ou de moi pour faire la vaisselle…»


 

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