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Philippe Delerm: "Celui qui fait un selfie s’écarte un maximum pour se regarder. Cette attitude m’interroge." © Hermance Triay

LIVRE. « Les plus grandes choses n’ont besoin que d’être dites simplement » écrivait Jean de La Bruyère. Les gestes du quotidien aussi. Et Philippe Delerm s’y emploie à merveille dans « L’extase du Selfie » qui vient de paraître au Seuil. Il les décrit avec acuité, malice et vérité.  Il nous fait aimer les petits riens de l’existence. Un vrai régal.

Votre livre contient 47 « instantanés littéraires « . Dont un donne son nom à l’ouvrage : « L’extase du Selfie ». Pourquoi avoir choisi ce titre-là ?

Philippe Delerm: Le selfie est un geste de nos vies moderne. Il parle à tous. Celui qui fait un selfie s’écarte un maximum pour se regarder. Cette attitude m’interroge.

Vous évoquez ce « bras qui s’étend dans la solitude ». Le selfie est-t-il un des syndromes de notre civilisation ?

Philippe Delerm : Est-ce qu’on ne s’invente pas un peu à s’éloigner de soi ? C’est une des questions que je me pose. Autre interrogation : pourquoi cette obsession de se trouver beau, de vouloir se montrer beau ? Alors qu’il y a encore de la difficulté à revendiquer son homosexualité, on est déjà passé au stade de l’auto-sexualité. Soi est devenu celui qu’on désire ou celui qu’on aime. Dans notre société, on joue beaucoup avec soi.

Philippe Delerm: « Parmi les gestes liés au smartphone, certains sont assez esthétiques, poétiques comme le « swipe » qui consiste à effleurer avec l’index cette espèce de mini patinoire qu’est la surface du smartphone et faire surgir des moments… »

Photo Seuil

Vous écrivez « Les psychologues se régalent. Il y a tout leur arsenal, le ça, le je, le moi, dans ce théâtre du reflet ». Le smartphone permet le selfie. Cet outil a-t-il changé nos vies ?

Philippe Delerm : Incontestablement. Je luis ai consacré trois textes dans ce recueil. Il est devenu un doudou universel. Parmi les gestes liés au smartphone, certains sont assez esthétiques, poétiques comme le « swipe » qui consiste à effleurer avec l’index cette espèce de mini patinoire qu’est la surface du smartphone et faire surgir des moments, des gens qu’on aime et de les effacer au fur et à mesure qu’on les fait surgir. Le smartphone et la tablette ont aussi changé la nature de la mémoire.

Vous êtes un observateur du spectacle de la vie ?

Philippe Delerm : On peut le dire comme ça. En tout cas, je suis très content d’avoir ce territoire d’écriture, mais je suis un peu surpris d’être isolé dans ma niche.

On regarde la Joconde différemment après la lecture du texte « Les mains de Mona ». Selon vous : « ses petites mains croisées inoccupées » viennent «  sournoisement mémériser le mystère de sa beauté » 

Philippe Delerm : Oui et j’ai même pensé que c’était un peu gonflé de l’avoir écrit. A tel point que le correcteur m’a demandé de bien lui confirmer avoir voulu dire ça. La peinture me fascine depuis toujours. Peut-être qu’un jour j’écrirai un livre de réflexions inattendu sur cet art.

La nostalgie est-elle le moteur de votre écriture ? 

Philippe Delerm : Pas la nostalgie mais le passé. J’aime infiniment parler de mon présent. Mais il rencontre sans arrêt mon passé. L’un ne va pas sans l’autre. Je suis très agacé par ce qu’on appelle la mode du feel good, la promesse d’une espèce de bonheur extatique, de zénitude, de sérénité transparente. Je n’ai pas du tout envie d’être creux mais au contraire plein de tout ce que j’ai été, de tout ce que je suis. Je n’ai pas envie d’être de mon temps mais de tout mon temps. Et dans tout mon temps, il y a le passé et le présent. Je me méfie aussi des hommes sans colère. Quand on aime la vie, on a forcément envie de pousser des coups de gueule de temps en temps. On ne peut pas être dans le positivisme extatique en permanence.

L’écriture a-t-elle toujours été partie intégrante de votre vie ?

Philippe Delerm : J’ai commencé à 25 ans et depuis j’écris tous les jours, sauf lorsque je fais de la promotion. J’ai persisté pendant dix ans à envoyer des manuscrits sans être publié. Mais même si je ne l’avais pas été, je crois que j’aurais continué d’écrire. Quand j’ai connu le succès avec « La première gorgée de bière »  durant l’été 1997, je continuais de me lever très tôt le matin pour terminer « Monsieur Spitzweg » , mon deuxième roman.

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Quelle sont les inconvénients de la célébrité ?

Philippe Delerm : Elle induit des hiatus et des malentendus. On n’est plus à même de voir d’emblée les gens qui vraiment vous aiment ou pas. Elle change aussi la façon d’occuper le temps. On est moins seul dans son univers.

Dans un texte consacré au disque vinyle, vous faites un constat un peu amer : Aujourd’hui « On écoute des chansons en surimpression de la vie »

Philippe Delerm : Oui, car on veut de plus en plus être ici et ailleurs en même temps. Dans les années soixante, on écoutait les vinyles, allongés sur le lit en ouvrant la pochette. J’ai le souvenir précis d’une écoute de « The Sound of Silence » en regardant les photos de Paul Simon et Art Garfunkel, adossés à un grillage dans Central Park.

Pensez-vous que la chanson est un art majeur ?

Philippe Delerm : Absolument ! La chanson est un genre supérieur. Elle a toujours fait partie de ma vie. En tant que prof, j’ai adoré pouvoir l’introduire dans mes cours de français. Avec mon épouse, nous emmenions notre petit garçon voir des chanteurs qui n’étaient pas pour son âge à priori.

Qui par exemple ?

Philippe Delerm : Angelo Branduardi, le formidable auteur-compositeur-interprète de « Va où le vent te mène » ou « La Demoiselle » (qu’il chante). A l’époque, Vincent n’avait que 4 ans. Ça l’a marqué, car dans son dernier album, il évoque Angelo Branduardi.

Que votre fils soit devenu le chanteur doit-être pour vous un vrai cadeau ?

Philippe Delerm : Je suis content que vous disiez un cadeau. Souvent on me dit que ça doit être une fierté. C’est effectivement au-delà de ça. Je suis épaté par sa carrière. La façon dont il va vers ce qu’il est vraiment tout en restant moderne et original.

Ressortez-vous votre guitare folk de temps en temps ?

Philippe Delerm : Oui, et je fais des progrès en ce moment. Je chante du Jean-Jacques Goldman.

Quelle est votre chanson préférée de Jean-Jacques Goldman ?

Philippe Delerm : J’adore « Doux » (Il la chante avec justesse ) : « C’est pas moi qui vous ferai des plans/De loup-garou, de grand méchant/S’il faut se battre pour qu’ça vous plaise/ Malaise/ J’vous aimerai pas dans la sueur/Genre stakhanoviste du bonheur/La voix mielleuse, « alors heureuse » ? / Horreur… /Mais je serai doux/Comme un bisou voyou dans le cou/Attentionné, tiède, à vos genoux/Des caresses et des mots à vos goûts/Dans la flemme absolue, n’importe où/ Mais doux … Je serai doux. «  J’aime bien aussi « Sache que je » , ce genre de chanson elliptique. Un peu comme celle que Vincent a écrite, intitulée :  » Et la fois où tu as ».

Et vous, avez-vous écrit des chansons ?

Philippe Delerm : Oui. Il parait que les paroles n’étaient pas mal. En revanche, les musiques n’étaient pas géniales.

Quel standard auriez-vous aimé écrire ?

Philippe Delerm: La chanson la plus déchirante, la plus forte de toutes. « Mon enfance » de Barbara. Vincent me l’a chantée un soir de spectacle pour mon anniversaire.

couverture extase du selfieEt vous, chantez-vous ?

Philippe Delerm : Oui, à l’époque où mes manuscrits avaient été refusés. Je chantais dans mon collège pour gagner des sous afin de faire partir les élèves en classe de neige ou en voyage en Angleterre. Les parents d’élèves venaient. J’avais un bon public. Je garde de ces concerts d’excellents souvenirs.

  • Philippe Delerm « L’extase du selfie » et autres geste qui nous disent aux éditions du Seuil.

Philippe Delerm est l’auteur de nombreux livres à succès, dont « La Première Gorgée de bière », « Je vais passer pour un vieux con » ou « Sundborn ou les Jours de lumière » (prix des libraires, 1997″)

Lire: CharlÉlie Couture : “La poésie est comparable à la peinture” : https://www.weculte.com/featured/livre-charlelie-couture-la-poesie-est-comparable-a-la-peinture/

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