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Guillaume Martin, champion cycliste et philosophe ©JF PAGA

Interview. Guillaume Martin est champion cycliste et philosophe. A 28 ans, en 2021, il a fini son quatrième Tour de France en 8ème position. Il est titulaire d’un master de philosophie obtenu en 2015 à Paris-Nanterre et a déjà publié « Socrate à Vélo » en 2019, un livre où il tire partie avec humour de sa double compétence de philosophe et de cycliste professionnel. Il est également l’auteur de « Platon vs. Platoche », une pièce de théâtre présentée au festival Off d’Avignon en 2019. Il publie ce mois-ci chez Grasset « La société du peloton, philosophie de l’individu dans le groupe » où il approfondit sa réflexion sur la société à partir de son expérience au sein du peloton cycliste.


Guillaume Martin : un philosophe en roue libre


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Guillaume Martin : titulaire d’un master de philosophie, à 28 ans, en 2021, il a fini son quatrième Tour de France en 8ème position (M. L’Azou/Cofidis)

Quel était votre projet en écrivant ce livre ?

Guillaume Martin : J’ai voulu partir de mon expérience personnelle, vécue au quotidien dans un peloton cycliste, pour essayer, par analogie, de parler de la société en général. J’ai voulu aborder la question du lien entre l’individu et le collectif. On dit en effet que le cyclisme est un sport individuel pratiqué en équipe, une situation sans doute équivalente à celle qu’on peut retrouver dans les entreprises. A partir du moment où il y a une société il faut savoir penser à soi et penser en même temps au bien commun. Mais cette réflexion  vaut aussi quand on pense au réchauffement climatique : on a tous notre existence quotidienne, le confort immédiat, l’envie de manger des fruits exotiques et dans le même temps on participe à une réflexion collective sur l’avenir de la planète. Comme le dit Nicolas Hulot, on doit penser à la fin du mois et à la fin du monde.



Quel est le sens de cette éthique de l’égoïsme pour laquelle vous plaidez ?

Guillaume Martin : Il y a dans notre société un paradoxe et une hypocrisie. Il y a d’un côté un hyper-individualisme dont plus personne n’a honte. C’est vrai dans le sport qui est un vrai star-système. En même temps on valorise la notion de collectif et on dit souvent que le groupe est plus important que l’individu. Ce double discours est contradictoire. Pour être plus honnête, plus authentique, je parle effectivement d’une éthique égoïste en ce sens que l’ego est premier qu’on le veuille ou non. C’est l’idée que je développe dans la première partie de mon livre. Mais dans la deuxième partie je montre que, bien sûr, on ne peut pas vivre tout seul. On est des animaux sociaux et, pour notre bien propre, on est obligé de s’associer. Dans la troisième partie je développe cette idée d’éthique égoïste qui consiste à se concentrer sur soi-même en toute lucidité, sans oublier les autres, en privilégiant les relations de personne à personne. Je trouve en effet que notre société standardise beaucoup trop les relations humaines. C’est ce qui se passe dans les entreprises où les gens sont traités comme des objets. Je pense qu’il faut repartir des individus, tous particuliers. Et que chacun réapprenne à développer des relations avec les autres, dans l’expérience du quotidien, sans tenir compte des livres de recettes et des conseils de management.

Pensez-vous que le sport peut donner un sens à votre vie ?

Guillaume Martin : Ni la religion, ni la science, ni le progrès ne permettent de donner un sens à sa vie. Mais je choisis pourtant de donner un sens à la mienne au travers du sport. Je donne une très grande importance au sport, presque la même importance qu’une religion, à ceci près que dans la religion « on se prend au sérieux » et on considère qu’il y a des valeurs d’absolu. Dans le sport, parce que c’est un jeu, parce qu’il y a des règles arbitraires, on n’est pas dupe. Parce qu’on est lucide, en toute conscience, on choisit de donner un sens à sa vie par le sport. Comme on le dit parfois, il faut savoir faire les choses sérieusement sans jamais se prendre au sérieux.



Le sport cycliste a-t-il commencé à prendre en compte son bilan carbone ?

Guillaume Martin : Le vélo est neutre en carbone mais dans une course cycliste nous sommes entourés de véhicules motorisés et, entre les courses, nous avons énormément de déplacements très polluants en avion. Les ravitaillements utilisent beaucoup d’emballages plastiques et, au total, notre mode de vie est beaucoup moins écologique que la moyenne nationale. C’est un des paradoxes du cyclisme. Ma position c’est qu’il ne faut pas être culpabilisateur et rechercher un idéal inatteignable. Il vaut mieux essayer d’avancer progressivement dans la décroissance en réduisant le nombre de véhicules qui nous accompagnent et en diminuant les déchets que nous rejetons. Il ne faut pas baisser les bras sans se faire pourtant trop d’illusions. Le cyclisme peut certainement améliorer son bilan carbone et je pense que, pour un sponsor, avoir une équipe qui adopterait cette démarche écologique pourrait être très intéressant.

Guillaume Martin publie « La société du Peloton, philosophie de l’individu dans le groupe »

La philosophie peut-elle expliquer que vous êtes en ce moment le champion cycliste qui abandonne le moins au cours des compétitions ?

Guillaume Martin : Si j’abandonnais quelques courses de temps en temps ça me serait sûrement profitable sur le plan des résultats. Sur le plan sportif il faudrait donc que j’apprenne à abandonner  un peu plus. En revanche, d’un point de vue philosophique, ce refus de l’abandon a son origine dans l’importance que j’accorde au sport d’un point de vue presque métaphysique. Abandonner sur une course cycliste c’est presque abandonner par rapport à la vie.

Entretien réalisé par Yves Le Pape


  • A lire : « La société du peloton, philosophie de l’individu dans le groupe » par Guillaume Martin. Editions Grasset, 2021, 192 pages, 17,90 euros.

 

 

 

 

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