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Patrice Leconte publie "Monsieur Bouboule, son 7è roman" (photo) Térèze Wysocki

Interview. Il n’arrête jamais. Cinéaste, scénariste de BD, metteur en scène pour le théâtre ou l’opéra, Patrice Leconte est aussi écrivain. Il publie son 7ème roman, « Monsieur Bouboule », un « livre léger sur un sujet lourd ». L’occasion d’une rencontre toute emplie d’empathie et de bienveillance.


Livre. Patrice Leconte : « Monsieur Bouboule, ça aurait pu être moi ! »


Tout commence dans une pharmacie de la rue Lepic, Paris 18ème arrondissement. Un homme entre, la pharmacienne lui demande ce qu’il veut, il répond : « Je voudrais me peser », elle est interloquée, il poursuit : « Oui, savoir combien je pèse, quel est mon poids, me peser, quoi ». Autrefois, dans les pharmacies, on pouvait se peser- ce temps-là est passé. Le client dit aussi : « Je comprends, mais c’est fâcheux », et de saluer l’apothicaire qui lui suggérait de faire « l’acquisition d’une bascule pour chez vous »

Nous voilà embarqués dans le septième roman de Patrice Leconte, 74 ans, cinéaste, metteur en scène de théâtre et d’opéra, scénariste de BD et aussi écrivain, c’est « Monsieur Bouboule », sous-titre : « Rencontres avec un très gros homme ». Monsieur Bouboule, Jean-Dominique Giraudy pour l’état-civil, 33 ans, accuse 176 kilos sur la balance- il travaille dans l’administration, assis derrière son guichet, et assure que, lorsqu’il aura atteint 180 kilos, il se suicidera.

Un jour, le narrateur doit régler quelques affaires administratives à l’égard desquelles il nourrit une certaine incompréhension, voire phobie. Il s’adresse à Monsieur Bouboule qui, en un rien de temps, lui règle l’histoire. Reconnaissant, le narrateur l’invite à boire un verre au café du coin quand il aura fini sa journée de travail.



Se noue alors, au fil des jours, une amitié. Par petites touches, presque impressionnistes, Monsieur Bouboule se dévoile. Le narrateur lui suggère d’arrêter de manger, il lui répond que ce n’est pas possible, il aime manger. Ah ! l’escalope lorraine…

En seize chapitres d’un livre court et léger (c’était bien le minimum !), homme d’élégance et de modestie, Patrice Leconte manie l’humour noir et la fantaisie tragique comme personne. Avec « Monsieur Bouboule », il conte l’histoire d’un très gros homme. Surtout, il magnifie l’amitié et la bienveillance. La tolérance, aussi. Et le droit à la différence. Rencontre.

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Patrice Leconte : « un roman, c’est comme un Lego » (photo) Térèze Wysocki

Comment ce Monsieur Bouboule est arrivé jusqu’à vous ?

Patrice Leconte : Je ne voulais pas faire n’importe quoi ! L’histoire me trottait dans la tête depuis un moment. Je savais que je souhaitais un livre court, et je tournais autour. Les images de Monsieur Bouboule me venaient, et l’envie de raconter était toujours là. Pendant le premier confinement au printemps 2020, j’ai eu du temps. J’ai écrit.

Il était évident, pour vous, que « Monsieur Bouboule » était un roman, et non pas un film ?

Patrice Leconte : Quand les idées ou les envies me viennent, je ne me pose pas la question. Ça devient tout simplement ce que ce doit être, et « Monsieur Bouboule », aucun doute, c’était un roman. J’ai écrit à mon rythme, j’ai laissé reposer, j’y suis revenu… Quand j’écris un livre, quand je réalise un film, je sais si ça me plaît. A chaque fois, j’y ai cru. Et cette fois encore, j’y crois !

Pour l’écriture de son histoire, Monsieur Bouboule vous tenait la main ?

Patrice Leconte : D’abord, on ne peut pas travailler avec des certitudes. Ensuite, je ne voulais pas un texte trop long. Mais, avant même le commencement de l’écriture, je savais comment ça allait se terminer. Un roman, c’est comme un Lego. En gros, je sais où je veux aller mais j’ignore comment y aller ! Et j’ai besoin de me surprendre…

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Patrice Leconte : «Je me suis ingénié à écrire un livre léger sur un sujet lourd » (photo) Térèze Wysocki

Monsieur Bouboule, c’est vous ?

Patrice Leconte : Ça aurait pu être moi, oui ! Enfant, j’étais rondouillard… et croyez-moi, être rondouillard, c’est agaçant… Je suis toujours surpris par les gens qui se laissent aller à être très gros. Il y a, chez eux, comme une démission. Chez Monsieur Bouboule, oui, il y a eu démission. Et des Monsieur Bouboule, j’en connais plusieurs, je les croise dans la rue.

A la lecture, on comprend que Monsieur Bouboule, 176 kilos sur la balance, ne s’aime pas…

Patrice Leconte : Tous les très gros sont ainsi, ils ne s’aiment pas, ils se détestent et on se moque tant d’eux. Parfois avec mesquinerie pour celui qu’on qualifie de « bon gros », parfois avec méchanceté. Je me suis ingénié à écrire, sans faire de jeux de mots, un livre léger sur un sujet lourd. J’ai écrit un livre qui fait montre d’une forme de bienveillance. Un livre qui rappelle qu’il faut être attentif à la différence…

Le narrateur de votre roman s’interroge : Monsieur Bouboule est-il gros parce qu’il est malheureux, ou malheureux parce qu’il est gros ?

Patrice Leconte : Je n’ai pas de réponse définitive. Il est les deux à la fois. Gros et malheureux, il a lâché la rampe, il s’est abandonné… Ne dit-on pas qu’il vaut mieux faire envie que pitié ? Monsieur Bouboule a honte d’être arrivé à ce poids absurde. Adolescent, il a fugué sur un coup de tête. Il est revenu au bout de deux jours chez ses parents : être seul et sale, ne pas pouvoir se nourrir, c’est désespérant et dérisoire.



Un des beaux et grands moments du roman se passe dans ce café où Monsieur Bouboule et son ami le narrateur boivent régulièrement du chablis. Ce moment où Monsieur Bouboule invite son ami à danser, là, sans musique…

Patrice Leconte : La danse, elle m’est venue pendant l’écriture. Ça me plaisait, cette idée, un gros homme qui danse le rock… Une façon de dire aussi, pour Monsieur Bouboule, que s’il devait se préoccuper du regard des autres, il ne s’en sortirait jamais. Avec Monsieur Bouboule, on apprend à se moquer du regard des autres, le plus important est de tenter, d’essayer. Il a admis le fait qu’il est spectaculairement gros et s’il est sensible au regard des autres, il ne fait plus rien…

Votre héros est aussi terriblement émouvant. Quand il invite son ami le narrateur à venir chez lui, il lui montre sa chambre. Sur le lit, il y a des dizaines d’animaux en peluche…

Patrice Leconte : …mais Monsieur Bouboule est resté un gros enfant. Si on lui demande pourquoi ces peluches, il ne répond que par deux mots : « c’est doux »… Ces peluches, c’est une compagnie dérisoire, mais pour cet homme, c’est une compagnie.

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Patrice Leconte : « Dans ma tête, on est peut-être plusieurs ! » (photo) Térèze Wysocki

On ne dévoilera pas la fin de votre roman… Disons simplement qu’elle n’est pas vraiment légère…

Patrice Leconte : Il m’était impossible d’envisager un happy end. Dans la vie de Monsieur Bouboule, il y a quelque chose d’inéluctable. Et franchement, je n’ai pas cherché une fin heureuse.

Dans une récente Bande Dessinée qu’ils vous ont consacrée, les auteurs Nicoby et Joub s’interrogent à votre sujet. « Il est quand même incroyable, écrivent-ils. Il est combien, ce cinéaste ? Plusieurs probablement »

Patrice Leconte : J’ai la prétention d’avoir assez d’idées pour ne pas recycler ! Dans ma tête, on est peut-être plusieurs ! En fait, je travaille beaucoup, je ne me ménage pas. J’ai des envies. Nombreuses. Mais je suis tout seul. Et plutôt organisé. C’est Jean Rochefort qui, à mon sujet, disait : « Patrice, quand il s’assied- ce qui est rare, il ne sait pas qu’il a deux fesses… » Je suis un hyperactif. Me transformer en limace, certainement pas !

patrice leconteSerge Bressan

  • A lire : « Monsieur Bouboule » de Patrice Leconte. Arthaud, 194 pages, 18,50 €.

EXTRAIT 

« Depuis toujours, cet homme hors normes, dont personne ne pouvait estimer le poids avec exactitude, se faisait appeler Bouboule, ou, plus précisément, on l’appelait Bouboule, ce qui était un pléonasme un peu simpliste, comme si on avait mis un coup de Stabilo sur sa morphologie, mais ça ne lui plaisait ni ne lui déplaisait, en fait il s’en tapait, il trouvait même ce surnom presque affectueux, en fait, il s’en accommodait… »


 

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