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"Elizabeth Finch", le nouveau roman de l'écrivain britannique Julian Barnes. (photo) Marzena Pogorzaly

Livres. Découvert en 1996 avec « Le Perroquet de Flaubert », le Britannique Julian Barnes revient avec « Elizabeth Finch », un roman d’un amour indicible et de l’évocation de l’empereur romain Julien l’Apostat. Un texte éblouissant. Une leçon d’écriture.


« Elizabeth Finch » : un roman cérébral et éblouissant de Julian Barnes


Une entrée en matière d’une limpidité éblouissante. Pas d’effets de manche (ou de plume) comme on a pu en voir et lire dans de récents romans fragmentés. Là, on lit : « Elle se tenait devant nous, sans notes, livres, ni trac. Le pupitre était occupé par son sac à main. Elle laissa errer son regard sur nous, sourit, immobile, et commença. ‘’Vous aurez remarqué que le titre de ce cours est ‘’Culture et Civilisation’’. Ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas vous bombarder de graphiques et de diagrammes. Je ne vais pas essayer de vous gaver de faits comme on gave une oie de maïs…’’ »

La femme, la cinquantaine, est professeure. A l’auditoire, elle dit aussi : « Je m’adresserai aux adultes que vous êtes sans nul doute. La meilleure forme d’éducation, comme les Grecs le savaient, est collaborative. Nous pratiquerons donc le dialogue… Mon nom est Elizabeth Finch. Merci. »



Elle est l’auteure d’un essai sur les anarchistes féminines de Londres entre 1890 et 1910 et la mode, elle n’en a que faire : hiver comme été, c’est jupe à ourlet, collants et corsages opaques. Elle est, aussi, le personnage principal, central d’« Elizabeth Finch », le nouveau roman du Britannique Julian Barnes. Lequel, en deux cents pages bien serrées et trois mouvements-chapitres, nous éblouit de son art narratif. A vrai dire, ce n’est pas une surprise- il suffit, auparavant, d’avoir lu « Le perroquet de Flaubert » (1996), « Une fille, qui danse » (2013)  ou encore « L’Homme en rouge » (2020)…

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Certains fielleux et autres foutriquets de la chose écrite vont crier qu’« Elizabeth Finch » est un roman décousu et prétentieux, empli de références culturelles. Qu’ils passent leur chemin, un texte de Julian Barnes se mérite !

Tout comme l’amitié ou l’amour d’Elizabeth Rachel Jane Finch, comme l’explique Neil, le narrateur. Il a 30 ans, est comédien de télé et de doublage et « roi des projets inachevés », a vingt ans de moins qu’Elizabeth F.- une femme polyandre.

Deux ou trois fois par an, tous deux se retrouvent dans un restaurant italien de l’Ouest londonien- Neil qualifie ce moment de « radieux ». N’ose avouer qu’elle l’intimide et qu’il aimerait tant lui plaire. Encore Neil pour évoquer cette relation : il éprouvait pour la mystérieuse et secrète Elizabeth Finch un « amour romantico-stoïque ». Elle mourra d’un cancer.

Avant de partir, Elizabeth Finch a légué à Neil ses papiers, dans lesquels le jeune homme découvre la passion intellectuelle de la professeure défunte pour Julien l’Apostat. Neil envisage d’écrire la biographie de la professeure à la vie traversée de zones d’ombres ; finalement, il va grandement s’intéresser à ce Julien l’Apostat qui fascinait Elizabeth F.

La légende assure que ce Julien (331- 363 de notre ère) aurait pu changer le cours de l’Histoire, lui Julien II l’empereur romain pendant vingt mois (361-363). Né Flavius Claudius Julianus (331 ou 332- 26 juin 363), surnommé également Julien le Philosophe, il s’élevait contre le christianisme sectaire dans son texte « Contre les Galiléens » et ambitionnait le rétablissement du polythéisme- ce fut en vain.

Parmi ses leçons, il répétait : « Connais ton ennemi ». Et Neil de noter que, fidèle aux préceptes de Julien l’Apostat, à elle l’enseignante de l’art de penser par soi-même, le préfixe « mono » lui faisait horreur- monothéisme, monogamie, monotonie, etc : « Rien de bon ne commence par cette façon ». Au quotidien, Elizabeth Finch mettait en opposition, d’une part, les dieux grecs et romains « de lumière et de joie » et le Dieu des chrétiens, lui « de ténèbres, de souffrance et de servitude ».



    Livre des amours manqués, de l’amour indicible, « Elizabeth Finch » est un roman cérébral aussi impressionniste qu’exigeant, quasi pointilliste. Pour certains, ce nouveau roman de l’auteur britannique paraîtra désincarné- parce que, plus qu’au corps, il s’adresse principalement à l’esprit ?

Grand admirateur de Gustave Flaubert qu’il tient pour un de ses maîtres en écriture, Julian Barnes signe là l’un de ses meilleurs romans, un texte qui peut mener à la liberté et au bonheur. Qu’on se le dise !

Serge Bressan

  • A lire : « Elizabeth Finch » de Julian Barnes. Traduit par Jean-Pierre Aoustin. Mercure de France, 210 pages, 19 €.

EXTRAIT

« Une lettre de notaire m’a informé qu’Elizabeth Finch m’avait laissé « tous ses papiers et ses livres » afin que j’en dispose à mon gré. J’ai été flatté mais perplexe. Les deux livres qu’elle avait écrits étaient depuis longtemps épuisés. Le rêveur en moi se demandait si elle avait laissé quelque chef-d’œuvre tardif que je pourrais avoir l’honneur de faire connaître au monde. Le voyeur en moi se demandait si elle avait laissé un journal intime contenant de cinglantes révélations sur elle-même ; parfois, mon imagination clinquante ne valait pas mieux que celle de ses ex-élèves les plus louches ».


 

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