Livres. Pendant une vingtaine d’années, il a été l’un des photographes les plus demandés de France. Lassé de ce monde, il s’en est éloigné et a choisi le métier d’écrivain. D’une vie confortable, Franck Courtès a plongé dans l’écriture et dans la misère. Il raconte, c’est « A pied d’œuvre »– un texte nu et cru. Indispensable.
Franck Courtès : « Je me suis mis à écrire, ce qui était une vieille passion. J’ai eu un succès d’estime (…) J’ai connu la pauvreté assez rapidement, quand mes économies ont été épuisées… »
Trois lignes, les premières, et l’essentiel est dit et écrit : « Pour le dire en deux mots : j’ai cessé mon activité de photographe pour devenir écrivain. Rester écrivain est une autre histoire ». Quelques lignes plus loin, on lit aussi : « Le métier d’écrivain consiste à entretenir un feu qui ne demande qu’à s’éteindre. Un feu dans la neige. Il faudrait prévenir, mettre un panneau. Cela exige une grande volonté ».
Alors, c’est cette autre histoire qu’en moins de deux cents pages Franck Courtès, 59 ans, raconte dans « A pied d’œuvre », un texte nu et cru. Un texte qui ne rapporte ni les gémissements ni les jérémiades d’une pseudo-star- seulement, des choses et temps vus et vécus. Pas la moindre plainte avec Courtès : il assume avoir changé de vie pour vivre sa vie…
De nombreuses années durant, il a été un des meilleurs photographes sur la place de Paris. Des journaux (« Libération », « Les Inrockuptibles »,…) faisaient appel régulièrement à lui ; des maisons de disques aussi pour assurer le visuel des albums.
Alors, il gagnait chaque mois l’équivalent de 3 000 à 8 000 euros. Sur des carnets d’archives, il légendait ses photos ; sur les réseaux sociaux, il en faisait tout autant un livre. On lui suggéra de passer à l’écriture. C’était une période charnière de son existence, de sa carrière professionnelle.
Courtès supportait de plus en plus difficilement cette vie d’artifices, de paillettes où le superficiel se confond avec le quotidien et l’ordinaire. Un jour, il photographie une ministre de la Culture qui le traite comme un moins que rien. C’est décidé : il quitte le monde de la photo, décide de suivre le conseil de passer à l’écriture. Nouvelle vie… Il ignore alors qu’il a choisi la vie en mode précaire…
Présentant « A pied d’œuvre », Franck Courtès confiait : « Je me suis mis à écrire, ce qui était une vieille passion. J’ai eu un succès d’estime. Je me suis senti emporté par cette passion, par ce travail d’écriture. C’était formidable parce que je retrouvais cette liberté de mes débuts comme photographe. Malheureusement, ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’argent dans ce milieu littéraire. J’ai connu la pauvreté assez rapidement, quand mes économies ont été épuisées… »
Il écrit également : « Le succès d’estime, le plus fréquent de tous, ne suffit pas à faire vivre un auteur. Nos bas de laine ne s’emplissent que d’espoir ». En 2013, il publie « Autorisation pratiquer la course à pied » (un livre distingué par le prix SGDL du premier recueil de nouvelles) ; suivront quatre autres livres, dont « La dernière photo » qui, en 2018, lui vaudra une invitation à l’émission télé « La Grande Librairie ».
Juste une illusion, à peine une sensation, comme dit la chanson… et surtout, comme le titre du premier chapitre d’« A pied d’œuvre », « en tout cas, ne viens pas te plaindre ». Certains plumitifs toujours aussi peu inspirés ont à la hâte comparé le nouvel et sixième livre de Franck Courtès à « L’Etabli » (1978) de Robert Linhart- ils n’ont rien compris puisque Linhart, d’idéologie maoïste, a expérimenté le travail en usine avec le « peuple » alors que Courtès a choisi et sa vie, et la liberté.
Il en paie le prix, écrit : « Je me sens chassé d’un confort dont je ne mesurais pas le bonheur. Une simple balade en forêt, pourtant gratuite, devient une expérience différente par le fait que mes chaussures usées prennent l’eau et que je ne peux en acheter des neuves. Le monde autour de moi semble avoir changé. J’erre dans un autre pays, une autre civilisation ». Et aussi : les artistes « ont en quelque sorte choisi leur pauvreté »…
Sa femme et ses deux enfants sont partis vivre outre-Atlantique, il a vendu son appartement parisien, vit entre le petit studio quasi-vide que lui prête sa mère et la maison familiale en province- un gouffre financier pour la chauffer l’hiver.
Pendant le confinement consécutif à la pandémie du Covid-19, il a accepté de demander le RSA (Revenu de solidarité active, maximum à peine plus de 600 euros mensuels). Il s’est inscrit sur des plateformes pour « louer » ses services d’homme à tout faire. Manœuvre à 20 euros par jour. Garçon de café. Laveur de carreaux… Une vie de « gens de peu », une vie où la liberté se paie au prix fort.
Serge Bressan
- A lire : « A pied d’œuvre » de Franck Courtès. Gallimard, 196 pages, 18,50 €.
EXTRAIT
« Je me sens chassé d’un confort dont je ne mesurais pas le bonheur. Une simple balade en forêt, pourtant gratuite, devient une expérience différente par le fait que mes chaussures usées prennent l’eau et que je ne peux en acheter des neuves. Le monde autour de moi semble avoir changé. J’erre dans un autre pays, une autre civilisation ».