Livres/« La colline qui travaille ». Philippe Manevy a publié « La colline qui travaille » aux éditions Le bruit du monde. Né à Clermont-Ferrand, il vit actuellement au Québec mais à Lyon c’est un « gone », un enfant du pays en quelque sorte. Après un passage à la télévision dans La Grande Librairie d’Augustin Trapenard, il était invité à Lyon par la librairie Vivement Dimanche, au cœur de la Croix-Rousse, ce quartier où il a situé la plus grande partie de son livre. Une belle rencontre animée par Etienne Kern, écrivain lyonnais, Goncourt du premier roman 2022, en présence des parents de l’écrivain. We Culte a pu le rencontrer à cette occasion et échanger avec lui sur son parcours et sur son livre.
« La colline qui travaille »: le récit de Philippe Manevy a pour décor la Croix-Rousse, ce quartier de Lyon où il a situé la plus grande partie de son livre
Après de belles études secondaires à Clermont-Ferrand, Philippe Manevy « monte » à Paris pour rejoindre une khâgne du lycée Lakanal. Il intègre avec succès l’Ecole Nationale Supérieure qui s’installait alors à Lyon pour y poursuivre des études en lettres modernes. Il commence ensuite une carrière d’enseignant d’abord à la Duchère, un quartier très populaire de Lyon puis dans plusieurs établissements lyonnais.
Il vit avec la romancière québécoise Mélikah Abdelmoumen qui a raconté dans « Douze ans en France » les années lyonnaises du couple qui ont été pour elle une expérience douloureuse. C’est donc à Montréal qu’ils vont s’installer. Philippe réussit à s’intégrer sans difficultés et y enseigne maintenant le théâtre et le français, une expérience qui le passionne. Il a raconté cette installation dans son premier livre « Ton pays sera mon pays » (Leméac, 2021).
L’éloignement et la distance le conduisent à s’emparer de l’histoire de sa propre famille, un choix littéraire qui est à son avis mieux considéré au Québec qu’en France. Il reconnaît toutefois que l’histoire intime et familiale des « Champs d’honneur » de Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, l’ont influencé dans sa démarche.
L’arbre généalogique de l’auteur, un guide de lecture très utile publié dans les premières pages du livre, fait apparaître une branche paternelle très auvergnate et une branche maternelle tout à fait lyonnaise. C’est à cette dernière que nous nous sommes particulièrement attachés. Quand on vit dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon on est bien sûr passionné par le récit qui se situe dans ce quartier. Un quartier marqué par l’histoire et la révolte des canuts chantée par Aristide Bruant, une chanson si bien reprise ensuite par Yves Montand.
Les canuts tissaient la soie dans des appartements conçus pour l’installation de leurs métiers à tisser. Alice, la grand-mère de Philippe a vécu une vie de tisseuse alors que René, son grand père était ouvrier typographe puis linotypiste. C’est donc à un parcours dans l’histoire d’un couple d’ouvriers que nous invite Philippe. Son récit a été construit à partir de ses propres souvenirs mais aussi des récits de sa mère et des photos qu’il a pu découvrir dans une famille très attachée à la conservation de ces documents.
Mais, il en convient, son écriture l’a conduit parfois à imaginer certains épisodes et la fiction vient alors rendre plus vivant encore son récit. On traverse par exemple la grève de 1936 et le front populaire vécus chez les tisseuses de la Croix-Rousse. Dans un moment très touchant on découvre par exemple Charlotte, la leader des grévistes, entonner le Temps des cerises, repris en chœur par ses collègues, mais celles-ci ne la suivent pas quand elle veut enchaîner par une Internationale plus révolutionnaire.
Philippe Manevy aborde également le sujet de la religion qui divise par moment le couple que forme ses grands parents. A partir d’un fait avéré qui « fait partie de la légende familiale », il écrit un moment qui devient épique quand on voit René refuser tout seul de s’agenouiller le jour de son mariage à l’église où il avait douloureusement accepté de se rendre pour répondre au désir de sa fiancée. Influencé par les événements de l’actualité contemporaine, l’écrivain imagine « un abus possible ou probable » dont son grand-père aurait pu être victime et qui expliquerait comment un jeune enfant de chœur soit devenu soudainement un anti-clérical très vindicatif.
Philippe Manevy cite volontiers les écrivains qui l’ont influencé. On a déjà cité « Les champs d’honneur » de Jean Rouaud qui ont été une « révélation » Il y a aussi l’ « écriture magnifique » de l’écrivaine québécoise Gabrielle Roy (Prix Femina 1947). Mais il va plus loin dans son livre où il rend un bel hommage à Annie Ernaux dont il « admire par dessus tout le livre « Les années » ».
Le chapitre qui lui est consacré est la conséquence d’un « coup de la colère » face aux réactions négatives provoquées par son prix Nobel de littérature. Philippe Manevy fait alors un rapprochement saisissant entre l’écrivaine et sa propre mère, ces femmes nées pendant la guerre ou juste après qui ont connu une forme d’ascension sociale qui n’efface pas leur origine sociale modeste et les enferme dans les « cachots empilés » que resteraient en France les classes sociales.
Très rapidement après la publication de son livre Philippe Manevy était invité à le présenter à La Grande Librairie, l’émission d’Augustin Trapenard où il recevait de chaleureux éloges de Gérard Mordillat, Leila Slimani et Jean-Christophe Grangé, les autres invités.
Son ami romancier Etienne Kern insiste de son côté sur la générosité et la bienveillance qui irriguent ce livre. Et on sent bien à la lecture toute la beauté que Philippe Manevy veut trouver « au sein de la réalité » mais aussi « son exigence morale de ne rien enjoliver ». Il démontre, après tous les grands auteurs qui l’ont influencé, que les gens qu’ont dit « ordinaires » peuvent devenir grâce à l’écriture de beaux personnages de littérature. Il nous invite aussi peut-être à regarder d’un œil neuf notre propre histoire familiale pour y découvrir sans doute une sorte de dimension romanesque.
Yves Le Pape
- « La colline qui travaille », Philippe Manevy. Edition Le bruit du monde, 370 pages – 22,00 €