Livres/« Le Dernier rêve ». Figure essentielle et éternelle de la Movida espagnole dans les années 1970-1980, Pedro Almodóvar est, en cette fin d‘été, sur tous les fronts. Une exposition lui est consacrée à Madrid, il a reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise pour son prochain film… et on le retrouve en librairies avec « Le dernier rêve », un impeccable recueil de douze récits, tout en anxiété, ennui existentiel et mélancolie.
« Le Dernier rêve » : Superstar du cinéma mondial, Pedro Almodóvar aura donc attendu plus de trente ans pour revenir au livre
Une confidence : « J’ouvre la porte sur une partie de ma vie dont je n’ai jamais parlé ». Et encore, après avoir ressorti des histoires qui prenaient la poussière dans de vieux classeurs bleus : « Je n’étais pas satisfait de ma performance d’écrivain. Je trouvais mes récits puérils et prudes. Pourtant, quand je les ai relus, j’ai été agréablement surpris. Je m’y suis retrouvé. Finalement, je suis toujours le même ».
A 74 ans, né le 25 septembre 1949 à Calzada de Calatrava (province de Ciudad Real) et figure centrale et essentielle de la Movida en Espagne au carrefour des années 1970-1980, Pedro Almodóvar s’invite pour la deuxième fois en librairies avec « Le dernier rêve »– un recueil de douze récits- le cinéaste espagnol avait publié en 1991 un éblouissant premier livre, « Patty Diphusa. La Vénus des lavabos », dans lequel la sex-symbol toxico et « star internationale du porno » était invitée par un directeur de revue branchée à raconter ses mémoires et, comme elle ne dort jamais, avait beaucoup de choses à dire.
Superstar du cinéma mondial, Almodóvar aura donc attendu plus de trente ans pour revenir au livre. Pour « Le dernier rêve », il réunit des textes écrits de la fin des années 1960 à aujourd’hui pour, comme l’indique son éditeur français, « une incursion fascinante dans l’imaginaire baroque de l’un des plus grands réalisateurs européens ».
Dans une courte et dense introduction, l’auteur précise plusieurs données nécessaires à la compréhension, à l’appréhension de l’ouvrage. Ainsi, d’emblée, il précise : « J’ai toujours refusé d’écrire mon autobiographie (…) Je n’ai jamais tenu de journal intime : chaque fois que j’ai essayé, je n’ai pas dépassé la deuxième page. Ce livre constitue donc ma première contradiction. C’est ce qui ressemble le plus à une autobiographie morcelée, incomplète et quelque peu cryptique ».
Et là, dans le creux des douze récits (dont quatre qui sont des « captures de ma vie à l’instant où je la vivais, sans une once de distance »), on a donc tout sur Almodóvar qui prend soin d’indiquer dans une adresse au lecteur : « Ce recueil de récits (je donne le nom de récit à tout, sans faire de distinction entre les genres) montre le lien étroit entre ce que j’écris, ce que je filme et ce que je vis ».
Là en images sur écran, ici en mots dans les pages, Almodóvar est un grand et délicieux raconteur d’histoires.
Avec d’inoubliables personnages, dont certains déjà croisés ici ou là. Il y a ce jeune travesti, « cette fille de vingt-cinq ans environ qui attire l’attention des passants à cause de sa tenue extravagante » qui va affronter le prêtre qui l’a détruite pour toujours.
Il y a Leòn, bourreau des cœurs et qui s’en prend à son amant metteur en scène, et qui brille sur les planches du théâtre en se glissant dans le rôle de Blanco, version masculine de la Blanche DuBois d’« Un tramway nommé Désir »…
Au fil des pages de « Le Dernier rêve », Almodóvar note, consigne, pointe ses anxiété, mélancolie et ennui existentiel. Dans le récit magnifique qui donne titre à ce recueil, il raconte ce dernier rêve que leur mère a raconté à lui et à son frère Agustin, quelques heures avant sa mort en septembre 1999 : « Tout ce qu’elle a dit lors de cette dernière visite, à partir du moment où elle nous a demandé s’il y avait de l’orage, est resté gravé dans ma mémoire. Ce vendredi était un jour ensoleillé et la lumière entrait par la fenêtre. À quel orage ma mère faisait-elle référence dans son dernier rêve ? »
Interrogé peu avant la parution du « Dernier rêve », l’Espagnol confessa : « Dans le monde des écrivains, je me sens un peu comme un intrus. Je les admire tant… »
Et de préciser, comme pour mieux se faire comprendre : « Avoir publié ce livre ne fait pas de moi un écrivain non plus. Je n’en ai pas honte et je crois qu’il vaut la peine d’être lu. Mais la grande littérature, c’est autre chose. Moi, je veux seulement que mes livres soient divertissants ».
Serge Bressan
- A lire : « Le dernier rêve » de Pedro Almodóvar. Traduit par Anne Plantagenet. Flammarion, 240 p, 21 €.
EXTRAIT
« Je me savais écrivain depuis l’enfance. J’ai toujours écrit. Si je n’ai jamais eu de doute quant à ma vocation littéraire, en revanche je n’ai jamais été sûr de la réussite de mes écrits. Je parle de ma passion pour la littérature et l’écriture dans deux récits, « Vie et mort de Miguel », rédigé au cours de quelques après-midi entre 1967 et 1970, et « Un mauvais roman », qui date de 2023. (…) Ce sont tous des récits initiatiques (je considère cette étape toujours en cours) et beaucoup d’entre eux sont nés pour chasser l’ennui ».
Une femme qui agonise…
Partout où, depuis les dernières années 1980, il participe à un Festival, il repart après de longues séances de standing ovation pour le moins, voire avec des récompenses. Ainsi, Pedro Almodóvar a reçu 2 Oscars à Los Angeles, 4 Césars à Paris, 3 prix à Cannes, 9 Goyas à Madrid, 5 Bafta à Londres ou encore 3 récompenses à la Mostra de Venise, dont la plus récente, le Lion d’or (le deuxième après celui de 2019 pour l’ensemble de sa carrière), le 7 septembre dernier pour son nouveau film, « The Room Next Door » (en VF : « La Chambre d’à côté »)… en attendant de recevoir le 26 septembre prochain le prix d’honneur Donostia lors du Festival du Film de Saint-Sébastien.
« En plus de son talent artistique et de son style visuel reconnaissable- sa personnalité transpire depuis la direction artistique jusqu’à la bande originale-, le cinéma de Pedro Almodóvar se détache par son écriture des personnages féminins, la direction des acteurs, l’audace dans l’approche des thèmes comme l’univers LGTBIQ+ », affirment les organisateurs du festival de Saint-Sébastien.
Ce que confirme son Lion d’or reçu à Venise, une grande première pour le cinéaste espagnol puisque son nouveau film est son premier tout en anglais même s’il précise : « L’esprit est espagnol ». Méditation sur la mort et l’amitié, inspiré d’un roman de l’écrivaine américaine Sigrid Nunez (« Quel est donc ton tourment ? »), le film situé dans l’Etat de New York met en scène Martha, une correspondante de guerre atteinte d’un cancer en phase terminale (Tilda Swinton), et Ingrid, une amie romancière à succès qui accepte de l’accompagner dans ses derniers instants (Julianne Moore).
Un communiqué de la production confie que « le film aborde la cruauté sans limites des guerres et met en lumière les approches singulières des deux écrivaines pour dépeindre la réalité ». Ultime commentaire de Pedro Almodóvar après avoir reçu son Lion d’or à Venise : « Mon film parle d’une femme qui agonise dans un monde qui agonise aussi probablement »…
S.B.
« The Room Next Door » (« La Chambre d’à côté »), film de Pedro Almodóvar. Avec Julianne Moore, Tilda Swinton, John Turturro,… Prochainement en salles.
Parle avec Madrid…
Une constante. Dans les vingt-trois films qu’il a réalisés depuis 1980, Madrid est présent. Conséquence : la capitale espagnole est un véritable fil rouge dans l’exposition photos au Centre culturel Conde Duque- la première exposition que lui consacre son pays natal après les Etats-Unis et la France.
« Madrid, chica Almodóvar », c’est la ville montrée sous ses angles, avec plus de 200 clichés tous issus des longs-métrages du cinéaste espagnol. Et la preuve que, incontestablement, Madrid est la grande muse de Pedro Almodóvar.
Des pros du calcul et des pourcentages ont ainsi relevé que, de 6% pour « La piel que habito » (2011) à 100% dans « En chair et en os » (1997) ou dans « Femmes au bord de la crise de nerfs » (1988), l’action a pour décor Madrid.
Au fil de la déambulation, on y voit les lieux emblématiques du cinéaste au sein de la ville, les endroits filmés- plus de 270 localisations !- et les techniques artistiques qu’il utilise pour magnifier la capitale ibérique et cet amour qu’il lui porte.
Almodóvar a découvert Madrid au tout début des années 1970- précision de Pedro Sanchez Castrejon, commissaire de l’exposition : « Le Madrid dans lequel il débarque n’est pas celui de la Movida mais un Madrid en noir et blanc, qui contraste totalement avec les couleurs vives et totalement fictives de ses films, ces couleurs qui sont pour lui une vengeance contre Franco ».
Aujourd’hui encore, à 74 ans, Pedro Almodóvar vit à Madrid ; l’Amérique lui a, à de nombreuses reprises, offert des ponts d’or pour qu’il s’y installe- il a toujours refusé même s’il y a, en grande partie, tourné son nouveau film, « The Room Next Door ». « Sans m’en rendre compte, je suis resté, et presque cinquante ans ont passé. À présent, je peux dire qu’aussi bien moi que mes personnages, nous continuerons à vivre ici ». Quand Almodóvar parle avec Madrid…
S.B.
« Madrid, chica Almodóvar », exposition au Centre culturel Conde Duque à Madrid. Du mardi au samedi, jusqu’au 20 octobre 2024.