patrick chamoiseau le conteur la nuit et le panier

Livres We Culte. Pour cette semaine de lecture, direction les chemins de l’écriture et la fierté créole en l’excellente compagnie de Patrick Chamoiseau. On enchaîne avec Philippe Grimbert pour l’histoire d’un psychanalyste spécialiste des questions du deuil et qui veut continuer à converser avec sa femme morte dans un accident. Et avec Maylis de Kerangal, on plonge dans un recueil étourdissant réunissant une novella et sept courts récits. Voici nos trois suggestions de lecture.        

patrick chamoiseau le conteur, la nuit et le panierPATRICK CHAMOISEAU : « Le conteur, la nuit et le panier »

Dans les premières pages, on lit : «Comme tout artiste, l’écrivain s’invente une voie qui n’aboutit jamais, une voix qui cherche toujours son chant. C’est ainsi qu’il demeure désirant…» Des mots signés Patrick Chamoiseau (prix Goncourt 1992 pour Texaco) dans son nouvel et indispensable texte «Le conteur, la nuit  et le panier». Un texte pour aller au bout des langues, pour apprendre à conter… Sous le haut patronage des éternels Aimé Césaire et Edouard Glissant, Chamoiseau déroule un livre qui déambule entre fierté créole et chemins de l’écriture. Il explique : «La résistance s’est faite par la création», il ajoute : « On n’a pas besoin d’universel, on a besoin de Relation». En quatre grandes séquences (« l’énigme d’une la-ronde», «l’énigme du conteur», « l’énigme de la nuit » et « l’énigme du panier »), l’auteur déroule une réflexion l’esthétique, les langues armées, le sorcier et le conteur, l’organisme narratif inconnu, la transmutation de la cale, le feu de l’expérience ou encore la littérature monde… C’est aussi l’histoire d’un gamin des Antilles habité par la vocation de l’écrivain. Au fil des pages, transpire la question : «Qu’est-ce que l’Ecrire ?» Ne trouverait-on pas son essence au plus profond de la culture orale- avec le conteur créole, celui qui à Chamoiseau et quelques autres demeure la « haute source d’écriture » ? Pour boucler son livre, l’auteur nous gratifie de «quelques exemples de ma sentimenthèque »– on y croise Joyce, Garcia Marquez, Hugo, Villon, Proust, Saint-John Perse ou encore le Conteur Créole…

  • «Le conteur, la nuit et le panier» de Patrick Chamoiseau. Seuil, 272 pages, 21 €.


couverture les morts ne nous aiment plusPHILIPPE GRIMBERT : «Les morts ne nous aiment plus»

Il y a le drame. La technologie et ses sirènes. Et aussi le deuil… Il y a le sixième roman de Philippe Grimbert, également psychanalyste réputé- roman au titre joli : « Les morts ne nous aiment plus ». Grimbert, auteur de l’impeccable Le secret (2004) mais que l’on avait laissé en 2014 avec le très ordinaire « Nom de Dieu ! » et retrouvé en 2015 avec l’éblouissant « Rudik, l’autre Noureev », est donc de retour pour un texte aussi sensible qu’émouvant. Le personnage principal, Paul, est psychanalyste- spécialiste de la question du deuil, il enchaîne les conférences. Avec sa femme Irène, ils coulent une vie tranquille. La mort rode, Paul est victime d’un arrêt cardiaque, on lui pose une pile qui aide son cœur malade– il se demande : « Est-il écrit que nous devons tous mourir d’une blessure d’enfance dont nous n’avons pas su guérir ? » La mort encore, Irène se tue dans un accident de voiture. Paul inconsolable. Le temps du deuil pathologique, le psychanalyste plonge- et dire qu’il est spécialiste de cette question du deuil… Alors, pour rester en contact avec sa femme tant aimée, un an plus tard, il va céder aux fameuses sirènes de la technologie et à la promesse d’un aussi inquiétant qu’énigmatique inventeur d’une méthode qui permet aux inconsolables de communiquer avec leurs chers disparus. Ainsi, il est dévoré par le vertige, son cœur artificiel bat pour une virtuelle à l’intelligence artificielle… Heureusement pour Paul, il y a l’écriture- le meilleur moyen pour préserver et entretenir le souvenir. Revisitant le mythe d’Orphée, un roman de belle intelligence…

  • «Les morts ne nous aiment plus» de Philippe Grimbert. Grasset, 196 pages, 17 €.

LIRE AUSSI : Livre. Angélique Kidjo : en marche avec une femme de bonne volonté…


couverture canoes maylis de karangalMAYLIS DE KERANGAL : «Canoës»

On la connaît pour ses romans- six, parmi lesquels les formidables «Naissance d’un pont» (2010) ou encore « Réparer les vivants » (2014). On la retrouve avec un recueil de nouvelles, simplement titré «Canoës». Maylis de Kerangal prévient ses lectrices et lecteurs : « J’ai conçu « Canoës » comme un roman en pièces détachées : une novella centrale, « Mustang », et autour, tels des satellites, sept récits. Tous sont connectés, tous se parlent entre eux, et partent d’un même désir : sonder la nature de la voix humaine ». Lauréate du prix Médicis 2010, l’auteure pour la première utilise le « je » dans son nouveau livre : « Il m’a semblé que l’usage du « je » était important pour ces textes, voire décisif, que c’était le moment ». Ainsi, pour «Mustang», novella d’une soixante-dizaine de pages, le « je » est en résonance avec un séjour aux Etats-Unis pendant lequel elle a commencé à écrire et l’accident spectaculaire dont elle a été victime. Un travail sur la voix, « j’ai eu envie d’aller chercher la mienne », dit encore Maylis de Kerangal. Huit récits dont le sujet principal, central est donc la voix- avec toutes ses variations, ses inflexions jusqu’à même la voix du silence… Sept narratrices, un narrateur confronté.e.s au doute, au trouble, à la fragilité, en observation constante de tout ce qui les entoure, cet homme qui, « cinq ans, un mois et vingt-sept jours » après la mort de sa femme, ne parvient toujours pas à changer le message de son répondeur téléphonique… et Maylis de Kerangal, en une novella et sept récits, signe un parfait recueil qui chemine sur la voie de la voix…

  • «Canoës» de Maylis de Kerangal. Verticales / Gallimard, 178 pages, 16,50 €.
Serge Bressan

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