Livre. Après l’éblouissement de « La Fabrique des salauds », l’Allemand Chris Kraus nous revient. Et nous offre un enthousiasmant roman, dans lequel font bon ménage l’insolence et l’acide, la légèreté et l’allégresse…
Avec légèreté et allégresse, dans un mix follement cocasse d’anecdotes et d’événements de son histoire personnelle et de l’Histoire, Chris Kraus dans « Baiser ou faire des films », emmène son héros du côté du « Zelig » de Woody Allen. Le promène aussi dans des contrées familières à Kerouac, Ginsberg ou encore Burroughs. « Peace and love » et aussi insolence et acide à tous les étages !
Dans des vies précédentes, il a pratiqué le journalisme et l’illustration. Puis il a suivi les cours de l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin- souvenir : « Je faisais à la Deutsche Film- und Fernsehakademie Berlin des études d’un académisme ennuyeux: pas de sang, pas de chair, rien que de la théorie », et scénarisé et réalisé plusieurs films primés dont « Quatre minutes » (2006)- un film qui a ensuite été adapté au théâtre, « Die Blumen von gestern » (2016, avec Adèle Haenel), ou encore « Rosakinder » (2012), un documentaire sur Rosa von Praunheim, l’écrivain, réalisateur et militant LGBT très en vue en Allemagne.
Depuis peu, Chris Kraus s’est glissé dans le monde des livres, d’abord avec un texte immense- « La Fabrique des salauds » (2020), et on le retrouve, à 58 ans, avec l’enthousiasmant « Baiser ou faire des films », son deuxième roman dont le titre originel est très différent : « Sommerfrauen, Winterfrauen » (« Femmes d’été, femmes d’hiver »). Evoquant le cruel dilemme face au choix entre baiser ou faire des films (il est aussi possible- et envisageable, de faire les deux en même temps !!!), l’auteur confie : « Après » La Fabrique des salauds », j’ai recherché plus de légèreté dans ma vie personnelle et créative. Je me suis pris à repenser à ce passé de ma jeunesse ». Tant pour ses films que pour ses romans, il s’est souvenu du conseil de son maître Rosa von Traunheim : » Toujours partir « des choses de votre vie que vous connaissez le mieux ». Et en ouverture de « Baiser ou faire des films », il rappelle les mots de Boris Vian : « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre »…
Ainsi, une fois encore, l’ombre nazie plane sur le nouveau livre de Kraus– le jeune héros allemand de « Baiser… », Jonas Rosen, est hanté par le passé de sa famille. Etudiant en cinéma à Berlin, il écrit dans un de ses carnets retrouvés et révélés par sa fille Puma : « Je ne tournerai pas un film à la con sur les nazis ! ». Alors, à la demande de son professeur, il part en septembre 1996 à New York. Sa mission : organiser la logistique d’un tournage sur le sexe, donc entre autres trouver un logement gratuit pour cinq des camarades dans une ville où tout est payant… Et puis, et surtout, trouver la réponse à LA question : comment filmer le sexe ? Avec légèreté et allégresse, dans un mix follement cocasse d’anecdotes et d’événements de son histoire personnelle et de l’Histoire, Chris Kraus emmène son héros du côté du « Zelig » de Woody Allen. Le promène aussi dans des contrées familières à Kerouac, Ginsberg ou encore Burroughs. « Peace and love »… et aussi insolence et acide à tous les étages !
Serge Bressan
- Lire : « Baiser ou faire des films » de Chris Kraus. Traduction de Rose Labourie. Belfond, 338 pages, 22,50 €.
EXTRAIT
« Je me dis : Fais donc un film génial ou raté inspiré par Lila von Dornsbusch, champion du dilettantisme, penche-toi sur le mystère total, qui va bien au-delà du lobe d’oreille, propre à cet organe tragiquement sous-estimé. Décris la joie sexuelle qu’il te procure. Abandonne-toi au bonheur et non au malheur. Au bien. Et non au mal. A l’humain. Et non à l’inhumain.
On ne fait pas un film pour se donner mal à la tête ou envie de vomir.
A partir de maintenant, je passerai chacune de mes minutes à New York à penser aux oreilles. Et au sexe avec les oreilles, évidemment. Même si ce n’est pas facile ».