Journaliste musical et ancien rédacteur en chef du magazine Rock & Folk, le célèbre critique rock Philippe Manœuvre raconte ses mémoires dans «Rock». Un roman autobiographique passionnant qui fourmille d’anecdotes et de souvenirs partagés avec les plus grandes rock stars qu’il a suivi durant plus de quarante ans.
« Rock » de Philippe Manoeuvre. Un livre passionnant qu’il présente comme un roman autobiographique. Le roman d’une vie assurément pour le célèbre critique rock, qui invite le lecteur à une plongée dans ses souvenirs
« C’est donc le temps du grand bilan, mon devoir d’inventaire à moi ». Eternel Perfecto, lunettes noires, Philippe Manœuvre, 64 ans, a décidé de raconter ses mémoires dans « Rock » (HarperCollins France), un livre passionnant qu’il présente comme un roman autobiographique. Le roman d’une vie assurément pour le célèbre critique rock, qui invite le lecteur à une plongée dans ses souvenirs ayant jalonné le parcours de celui qui fut durant près de vingt-cinq ans rédacteur en chef du magazine Rock & Folk.
Journaliste musical, Philippe Manoeuvre dit Philman a assisté à l’apogée du rock, sa passion depuis son adolescence champenoise à Châlons-sur-Marne. A partir de 1973, il a interviewé toutes les stars du rock, Patti Smith, Lou Reed, Deep Purple, AC/DC, Status Quo, Bob Marley, Neil Young, Yoko Ono, David Bowie…. « Rock » est un ouvrage qui fourmille d’anecdotes vécues auprès des artistes qu’il admire, auxquels il s’est souvent identifié. Le voici dans le bus des Stooges, le groupe d’Iggy Pop, dont il est un fan absolu: « Etre dans le bus d’un groupe, c’est en quelque sorte la plus haute marque de béatitude dans ce métier » s’amuse-t-il. Le rock n’roll ? « C’est ça. Aller de ville en ville pour rejouer des chansons magiques de notre adolescence ».
Il se revoit à quatorze ans, acheter avec son argent de poche ses premiers 45 tours des Rolling Stones, des Doors, des Kinks, des Who. En province, à cette époque, on se sent éloigné de tout, alors il se change les idées au ciné-club où il découvre «Cléo de 5 à 7 » d’Agnès Varda, « A bout de souffle » de Jean-Luc Godard, « Alexandre Nievski » en russe non sous-titré ou encore « Baisers volés » de François Truffaut. Il fume ses premiers joints avec sa bande de potes, histoire de planer en écoutant Jimi Hendrix ou Grateful Dead.
Bien sûr il y a les Beatles, mais il écoute surtout les Stones qui le marquent définitivement : « Ils sont méchants, teigneux » dit-il. Et puis, ils ont l’arme secrète, le riff pédale Fuzz qui tue balancé sur « Satisfaction ». Un morceau qui traversera trois décennies avec trois notes, comme un appel aux armes vers des érections renouvelées ».
Philippe Manoeuvre: « En bon chef du rock, Mick Jagger me surprend toujours. Quand on lui parle, on se sent plus grand, plus riche, plus splendide »
Etre journaliste musical, c’est faire un choix. Soit, on reste à distance avec les groupes que l’on rencontre pour ne pas créer de confusion des genres et garder un esprit critique. Soit on franchit le miroir pour vivre à fond son métier auprès des artistes et obtenir ainsi des infos exclusives. Manœuvre a choisi cette façon d’exister, mêlant le journaliste et le fan. Ce qui n’était pas pour déplaire aux rockers qui ont senti la passion qui l’animait. Les Rolling Stones ? Il les a interviewés à de nombreuses reprises entre 1979 et 2010, Keith Richard bien sûr, amical et facile dans la conversation, à l’opposé de Mick Jagger moins aisé à cerner «c’est Mick l’insaisissable et c’est pour ça que je l’aime. En bon chef du rock, il me surprend toujours. Quand on lui parle, on se sent plus grand, plus riche, plus splendide ».
Philman remonte le temps. Voici Joe Strummer, le leader des Clash, les Sex-Pistols, les Ramones et le mouvement punk, dont il a établi un dictionnaire. On le sait moins, mais il a été aussi rédacteur en chef de la revue de bande dessinée de science-fiction Metal Hurlant, aux côtés de Jean-Pierre Dionnet, Moebius, Philippe Druillet…et a animé la collection Speed 17 au sein de la maison d’édition Humanoïdes associés, qui publia pour la première fois en France Charles Bukowski. Il a travaillé également pour la revue Playboy en tant qu’interviewer. Epoque où il rencontre Serge Gainsbourg chez lui rue de Verneuil à Paris, avec qui il passe trois jours passablement arrosés « avec Gainsbourg, je découvre l’alcoolisme, le vrai ».
Aujourd’hui, promo oblige, les artistes donnent des interviews à la chaîne où ils répètent la même chose ou presque à tous les journalistes. Les tête- à-tête sont réduits à une demi-heure, voire trois-quarts d’heure tout au plus, quand l’attachée de presse frappe à la porte pour vous dire de stopper l’entretien. Tout le contraire des années 1970-1990. L’industrie du disque n’était pas aussi formatée et les interviews pouvaient durer une ou deux heures si l’artiste se sentait en confiance avec le journaliste. Ce fut le cas pour Philippe Manœuvre dont le feeling était apprécié des rock stars qu’il a approchées. A l’image de Johnny Hallyday qu’il a toujours aimé : « Beaucoup de gens ne comprennent pas mon respect pour Johnny. C’est pourtant simple : il est notre Elvis. Le premier à avoir osé. Celui qui a terminé Tino Rossi. Celui qui a repoussé l’accordéon au nom de la guitare électrique et du rock ». Ouvert aux expériences médiatiques, Manœuvre aura tout fait, animé des émissions pour la télé («Les enfants du rock », « Sex Machine », «Top Bad » ou la radio. Il a également fait partie du jury de la Nouvelle Star avec Lio, André Manoukian et Sinclair et a participé joyeusement aux Grosses Têtes de RTL, car pour lui, le rock c’est d’abord la déconne.
Mais ce qui l’a guidé et aidé à grandir, ce sont ses innombrables rencontres avec les stars de la pop-rock qu’il a suivi tels Michael Jackson, Madonna ou Prince « si on peut considérer que les rockers sont venus pour choquer, épater et casser les vieux codes bourgeois, on conviendra que ces trois-là, Madonna, Prince et Michael Jackson, ont fait leur part du job ». Souvenirs encore avec Michel Polnareff, à qui il rend visite chez lui en Californie, pour un projet de livre ou avec Joey Starr qui l’emmène dans des virées nocturnes très rap and drug du côté de Stalingrad à Paris.
« Rock » est un livre où il dit tout ou presque, comme si Philippe Manœuvre avait voulu laisser une trace pour sa famille, pour l’histoire de la musique qu’il a contribué à populariser pendant plus de quarante ans, et les générations suivantes de rock critics
Los Angeles, New-York, Londres… il a effectué des dizaines de voyage de presse pour aller recueillir la parole de ses héros et farfouiller chez les disquaires du monde entier, d’où il a ramené des pépites en collectionneur averti. Et il y a les voyages personnels, comme au Caire en Egypte, une ville qui le fascine et le rêve fou d’apprendre à « lire les hiéroglyphes ».
« Rock » est un livre où il dit tout ou presque, comme si Philippe Manœuvre avait voulu laisser une trace pour sa famille, pour l’histoire de la musique qu’il a contribué à populariser pendant plus de quarante ans, et les générations suivantes de rock critics.
On le sent d’ailleurs ému et nostalgique quand il évoque à la fin de l’ouvrage son départ en retraite de Rock & Folk en 2017 : « Voilà, c’est fini. Je ne suis plus un chef du rock écrit-il. Se souviendront-ils de moi ? Est-ce la fin de mon adolescence ? Sans doute aussi ». Après avoir vécu des années à Paris, il vit désormais avec ses proches dans une vieille ferme retapée en Picardie à la frontière du Vexin. Une existence moins speed où il prend désormais le temps de vivre, de classer ses disques, d’écrire, de lire et d’écouter du rock très fort. On ne se refait pas !
Livre « Rock» par Philippe Manœuvre, 490 pages Editions HarperCollins France
Lire: Philippe Manœuvre « Johnny était un mégachanteur populaire »: https://www.weculte.com/interview/philippemanoeuvrejohnnyetaitunmegachanteurpopulaire/