Un personnage peut faire un film. Ainsi Aurélien Deschamps, un jeune homme diagnostiqué Asperger, méritait bien qu’une caméra amie, celle du réalisateur Diego Governatori, capte les éclats de sa brillante pensée dans « Quelle folie ». Un documentaire dont on sort éclairé, ravivé, étrangement conquis.
À travers « Quelle folie », la parole d’Aurélien se fait spectacle, dans ses rebonds, ses double-fonds transparents, ses passerelles étincelantes, ses cabrioles de jeune rivière. C’est triste et gai, profond et pas dénué de légèretés
Le syndrome de l’autisme Asperger a récemment connu une certaine célébrité, à travers la figure de Greta Thunberg. Nul doute que le terme se galvaude déjà, et se videra de sens comme « bipolaire » dans les textos d’ados et les déj entre copines (la Terre elle-même n’est-elle pas bipolaire, après tout ?). Une mode comme une autre dans la psycho de bazar… Heureusement, il y a encore des gens pour qui les mots ont un sens, et qui s’efforcent de l’explorer, de le développer, plutôt que de l’aplatir.
Postulat de départ : parmi ses amis, le réalisateur
Diego Governatori connaît un jeune homme diagnostiqué Asperger, qui s’appelle
Aurélien Deschamps. Fasciné par sa pensée, il a l’idée de le filmer, de laisser libre cours aux idées d’Aurélien, extraordinaires au sens premier. Extraordinaires car extralucides (sensiblement plus que Madame Irma notre voyante préférée). Aurélien n’a pas besoin d’un travail sur lui pour traverser les apparences, les codes sociaux, les danses que l’on danse.
Il est tombé dans la marmite de la potion magique philosophique. Il est la fourmi qui a conscience de la fourmilière, et son regard laser perce la surface des choses visibles et dicibles. À la place du cœur, il a un cristal pur, dont les angles font parfois un peu mal – on dirait du Boris Vian.
Le naturel du film, son apparente décontraction découlent de cinq ans de préparation. Il fallait apprivoiser. Pour nous offrir ce luxe d’approcher Aurélien dans une pinède qui surplombe la mer. On le suit dans un no man’s land, une colline aux allures de chantier inachevé. Peu à peu, au fil de phrases fulgurantes, on descend avec lui vers Pampelone en fête. Où l’on ne peut que se demander de quel côté se pose le mot « folie ». Les taureaux lâchés dans les rues, le chaos, l’absurdité, les grimaces, la soûlographie industrielle, le théâtre de la souffrance, de la mort… Aurélien se détache de la foule, certes. Mais ici, tout porte à croire que cette foule est folle, absurde et bonne à enfermer. Intrigués par la caméra, des passants viennent vers lui, présumant d’une célébrité. Il ne joue aucun jeu, ne dit que la vérité, mais sa vérité leur reste terriblement opaque. Comment pourrait-il en être autrement ?
Plutôt qu’un documentaire sur le syndrome Asperger, « Quelle folie » nous propose donc une balade dans les absurdités du monde, parfaitement admises et dites normales. La parole d’Aurélien se fait spectacle, dans ses rebonds, ses double-fonds transparents, ses passerelles étincelantes, ses cabrioles de jeune rivière. C’est triste et gai, profond et pas dénué de légèretés. En tout cas c’est d’une intelligence qu’il fait bon fréquenter, fut-ce pendant une heure trente de cinéma.
« Quelle folie » de Diego Governatori, 1h27.