Sortie cinéma. C’est un double hommage au journalisme et à la France auquel se livre le réalisateur américain Wes Anderson dans son dernier film « The French Dispatch » (ce mercredi 27 octobre sur les écrans) qui, malgré son originalité et une distribution prestigieuse, se révèle plutôt ennuyeux.
Le film, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, se présente comme la mise en images d’articles tirés d’un magazine américain publié dans une ville française fictive du XXe siècle, Ennui-sur-Blasé. On est en 1975 et le rédacteur-en-chef du journal, Arthur Howitzer Jr (Bill Murray), originaire du Kansas, vient de succomber à une crise cardiaque.
Trois reportages
Toute la rédaction du magazine (dont le nom complet est The French Dispatch of the Liberty, Kansas Evening Sun) se réunit pour écrire sa nécrologie. C’est l’occasion de plonger dans les souvenirs liés à ce patron apprécié de tous, à travers trois reportages.
Ces trois récits, introduits par un carnet de voyage au cœur des quartiers louches de la ville écrit par le « Reporter à bicyclette » (Owen Wilson), se présentent comme trois courts-métrages qui se succèdent: Le chef-d’œuvre de béton, un reportage sur un peintre fou criminel, sa muse et la rapacité du monde de l’art; Refonte d’un manifeste, une chronique de l’amour et de la mort sur les barricades en pleine révolte étudiante; et La salle à manger privée du commissaire, une histoire de suspense, de drogue, de kidnapping et de gastronomie…
Filmographie brillante
C’est le 10e film de Wes Anderson, 52 ans, à la filmographie brillante et appréciée de la critique (« La Famille Tenenbaum », « La Vie Aquatique », « Moonrise Kingdom« ) et dont les deux derniers films ont été salués: le très réussi « The Grand Budapest Hotel » en 2014 et le très original « L’Île aux Chiens » en 2018.
Ici le réalisateur a voulu rendre hommage au journalisme. Pas les sites d’information d’aujourd’hui sur Internet bourrés de fautes d’orthographe et alimentés par des journalistes assis devant leur ordinateur, mais le journalisme à l’ancienne, celui de l’encre et du papier, celui des journaux et magazines qu’on achète en kiosque, celui fait de journalistes qui vont sur le terrain et ont un talent d’écriture. Le modèle en est l’hebdomadaire The New Yorker, dont Wes Anderson est un fan depuis des années (et qui, comme tout le monde, outre ses ventes au numéro, s’adapte aux temps modernes et a lui aussi un site internet).
Ode à la France
Hommage à la presse mais également ode à la France (The French Dispatch peut se traduire par La Dépêche Française), pays qu’aime le réalisateur et dans lequel il s’est installé. « The French Dispatch » est en fait trois choses mélangées: un recueil d’histoires, ce que j’ai toujours eu envie de faire; un film inspiré par le New Yorker et le genre de journalistes et d’auteurs qui ont fait la réputation du magazine; et, puisque j’ai passé beaucoup de temps en France au fil des ans et que j’ai toujours voulu faire un film français, c’est aussi un film lié au cinéma français », explique-t-il.
Pour son film il a donc choisi pas mal d’acteurs et actrices français: Léa Seydoux (vue récemment dans le dernier James Bond « Mourir peut Attendre »), Mathieu Amalric, Guillaume Gallienne, Cécile de France, Hippolyte Girardot, dans des rôles plus ou moins importants.
Impressionnante brochette de stars
La distribution se complète avec une impressionnante brochette de stars: outre Bill Murray et Owen Wilson, acteurs fétiches de Wes Anderson (présents respectivement dans 9 et 8 de ses 10 films), on voit défiler Benicio Del Toro, Frances McDormand (Oscar 2021 de la meilleure actrice pour « Nomadland »), Adrien Brody, Tilda Swinton, Timothée Chalamet (le récent héros de « Dune »), Liev Schreiber, Elisabeth Moss, Edward Norton, Willem Dafoe, Saoirse Ronan, Christoph Waltz, et Anjelica Huston dans le rôle de la narratrice.
La ville fictive du récit s’appelle donc Ennui-sur-Blasé. Ce n’est pas très gentil pour Angoulême, où ont été filmés les extérieurs, mais c’est assez prémonitoire du sentiment qui saisit le spectateur au fil du film. Car si l’on peut apprécier l’invention et la poésie de ce « French Dispatch« , ses personnages variés et singuliers (et nombreux), son ironie, son esthétisme très marqué (notamment dans les décors, une alternance de couleurs et de noir-et-blanc, avec un petit détour rigolo vers le film d’animation) et la virtuosité habituelle du réalisateur, on est globalement déçu.
Dialogues trop littéraires
Wes Anderson fait du Wes Anderson, et ici il en fait trop: on ne retrouve pas l’intensité du récit, la richesse des personnages et l’originalité de « The Grand Budapest Hotel ». Le côté rétro et vintage vire parfois aux clichés (le béret basque et la baguette sous le bras ne sont pas loin), le rythme du récit gomme toute trace d’émotion, et l’on se lasse très vite d’un humour décalé qui tombe souvent à plat et de dialogues (des monologues, souvent, et des voix off) longs et lourds, trop littéraires.
On ne voit finalement que trois courts-métrages mis bout à bout, sans moment de respiration, faits d’une succession de clins d’œil et de numéros d’acteurs qui ne parviennent pas à faire de ce « French Dispatch » un film inoubliable. Si c’était un journal, on en tournerait les pages rapidement et le refermerait sans regret –en attendant le prochain numéro.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE
« Je trouve ça nul » (Adrien Brody, à propos d’une fresque peinte par Benicio Del Toro).
A voir : « The French Dispatch » (États-Unis, 1h43). Réalisation: Wes Anderson. Avec Benicio Del Toro, Frances McDormand, Mathieu Amalric , Bill Murray… (Sortie le 27 octobre 2021)
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