Avignon 2025. On l’a déjà écrit mais on peut le redire. Les festivals d’Avignon ont connu un grand succès en terme de fréquentation. De nombreux spectacles du In comme du Off ont été accueillis avec enthousiasme.
Dans le Festival In on gardera longtemps en mémoire l’hommage à Gisèle Pélicot et les trois heures de cette fantastique retransmission télévisée qui nous en a été offerte. Ariane Ascaride se faisant porte voix de cette femme est un moment intense et inoubliable. Dans l’impossibilité d’assister au Soulier de Satin de Paul Claudel qui est certainement un spectacle qui restera dans l’histoire du Festival, la Cour d’Honneur nous a accueilli pour une magnifique soirée avec la cap-verdienne Mayra Andrade. En conclusion de cette édition du In, c’est une autre cap-verdienne qui nous a enthousiasmé, la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas avec le RITE dansé avec Israel Galvan, un spectacle dont nous rendons compte plus loin..
Dans le Off on se souviendra de la plupart des spectacles dont nous avons parlé sur We Culte. On n’oubliera pas non plus la sympathique rencontre organisée au Village du Off avec Johann Dionnet et Baptiste Lecaplain dont le film Avignon rend si bien compte de l’ambiance vécue pendant ces trois semaines de Festival.
On sait également qu’au-delà de ces moments de fête et d’enthousiasme, le spectacle vivant traverse une phase difficile du fait des restrictions de financement qu’il connaît en ce moment. Pour certaines compagnies Avignon peut avoir des suites dramatiques. La créativité est à l’honneur à Avignon mais la diffusion reste le problème majeure de toute la filière du spectacle vivant.
Le Festival Off a décidé de se consacrer pleinement à ce sujet en annonçant les Assises de la Diffusion dont nous parlait ici-même Laurent Domingos, co-président d’ Avignon Festival et Compagnies qui encadre le Festival Off. Le travail de réflexion va se poursuivre tout au long de l’année et se conclure l’été prochain à l’occasion du 60ème anniversaire du Festival.
Lors de la troisième semaine de cette édition nous avons pu assister à quelques spectacles passionnants et rencontrer Louise Vignaud et Julien Masdoua qui ont mis en scène des spectacles dont nous avons rendu compte dans We Culte. Ces interviews y seront publiés dans les prochains jours.
- Emmanuel Noblet, Article 353 du Code pénal de Tangy Viel
C’est l’histoire d’un vieux socialiste qui se souvient de mai 81. Il est finistérien, l’Arsenal de Brest l’a licencié et il vit au bord de la Rade une quasi-retraite qui aurait pu être heureuse. Son histoire est racontée dans Article 353 du Code pénal de Tangy Viel, un polar breton dont on connaît (presque) tout de suite la conclusion. Un crime est commis par notre retraité, il passe tout de suite aux aveux et s’explique devant un juge.
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Emmanuel Noblet a adapté le roman et en a fait un grand spectacle de théâtre porté par Vincent Garanger, un immense comédien. Elève de Michel Bouquet il a joué avec les plus grands metteurs en scène et on l’a vu dans la Cour d’Honneur en 2023 où il jouait dans Welfare de Julie Deliquet. Cet Article 353 serait presque un seul en scène si Emmanuel Noblet n’était pas là lui-même, dans le rôle du juge qui interroge très discrètement le criminel.
Le roman de Viel et le spectacle de Noblet aborde plusieurs thèmes dont celui de la spéculation immobilière et de l’escroquerie qui est au cœur de l’acte criminel. Il évoque également l’attitude des élus face aux promesses mirifiques d’un Saint Tropez finistérien. Mais c’est aussi l’histoire d’une relation du père divorcé, le retraité criminel, avec son fils, une histoire de famille particulièrement bouleversante. Et il y a enfin, pour conclure, la question de l’intime conviction qui doit guider le juge au moment de sa sentence, un principe défini très précisément dans l’article 353 du Code Pénal. Cet article qui va conduire à la conclusion du spectacle au terme de l’impressionnant témoignage du retraité criminel.
- Laurent Domingos, Richard III de William Shakespeare
Cette pièce est évidemment d’abord un texte de Shakespeare dans la traduction considérée come la meilleure, celle de Jean-Michel Déprats. On s’enthousiasme toujours autant de ce récit des luttes de pouvoirs les plus perverses et sanglantes qu’a connu le royaume d’Angleterre à la fin du XVème siècle. Avec sa compagnie Les Mots, les corps, la note, Laurent Domingos a voulu mettre l’accent sur la dimension universelle de ce texte.
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Le décor est celui du chaos et Delphine Ciavaldini, la scénographe, a rassemblé un bric-à-brac de brocante et des carcasses de voitures et dresser un dispositif de sièges et d’échelle qui conduit le spectacle vers les sommets du pouvoir. Les costumes sont d’un baroque sans âge d’une grande beauté. La musique originale de Guillaume Blanc est un assemblage de sons de tous les temps qui vont du plus classique à l’électro contemporain.
Mais l’option majeure du metteur en scène a été de faire appel à 5 femmes pour endosser tous les rôles du drame sans doute pour en accentuer l’universalité. Pauline Cassan, Juliette Delhomme, Camille Demoures et Juliette Pi changent de genre et de rôle avec une grande justesse et beaucoup de virtuosité. Quant à Alexiane Torrès, elle assume pleinement le personnage de Richard III. C’est extraordinaire de puissance et de détermination. Un souvenir majeur de cette édition du Festival d’Avignon.
- Garance, Lily Luca, Louise O’sman, Nawel Dombrowsky, Yoanna – Des Sorcières comme les Autres
Elles sont cinq. Elles écrivent, composent et chantent leurs propres chansons. Elles s’appellent Garance, Lily Luca, Louise O’sman, Nawel Dombrowsky et Yoanna. Elles représentent bien cette nouvelle génération de la jeune scène de la chanson française. Elles ont voulu rendre hommage à Anne Sylvestre qui a été un exemple majeur pour chacune d’elle.
Elles ont donc conçu ensemble un merveilleux spectacle où elle redonne vie à quelques unes des meilleures chansons de leur inspiratrice. Mais elles y insèrent également quelques unes de leurs propres créations.
Cela forme un ensemble d’une belle cohérence qui démontre la grande actualité du répertoire d’Anne Sylvestre et qui montre également que le relais a bien été passé. La grande et belle chanson est bien vivante. Celle qui s’écrit, se compose et chante son époque et les émotions de toujours.
Après Avignon les cinq sorcières poursuivent leurs propres parcours mais se retrouvent régulièrement un peu partout en France pour reprendre ce spectacle magnifique, tendre, drôle et formidablement émouvant.
- Julien Masdoua, Theatrophobia
C’est par hasard que nous avons découvert Julien Masdoua en train de tracter dans la célèbre rue des Teinturiens à Avignon. Quand on a l’occasion de le voir presque tous les soirs dans Un si grand soleil, la série quotidienne de France 2 depuis près de huit ans, c’est surprenant de le croiser à cet endroit.
Il s’avère que l’acteur de télévision est aussi un homme de théâtre. Et quand on jette un coup d’oeil sur son histoire on se rend compte que le théâtre occupe une place immense dans sa vie puisqu’il écrit et met en scène un spectacle presque tous les ans.
Il présentait à Avignon Théâtrophobia, une pièce qu’il a écrite, mis en scène et joué avec la Compagnie du Capitaine, sa troupe montpelliéraine. C’est l’histoire d’un homme qui souffre de se retrouver dans une salle de théâtre. Ca ressemble beaucoup à une comédie et on rit souvent pendant le spectacle.
Mais c’est aussi une réflexion tout à fait passionnante sur le théâtre, sur ce qu’on en attend et sur ce qu’on y admire. Nous avons pu rencontrer Julien Masdoua et échanger avec lui sur ce spectacle et son parcours dans la théâtre. C’est un homme passionné et passionnant. Nous reviendrons sur cet entretien très prochainement dans We Culte.
- Israel Galvan et Marlene Monteiro Freitas, RITE
A la veille de la clôture des festivals d’Avignon, RITE, était un spectacle extraordinaire des danseurs et chorégraphes Israel Galvan et Marlene Monteiro Freitas. Ce duo a été créé en 2022 au Festival d’Automne à Paris.
Marlene Monteiro Freitas était « l’ artiste complice » de cette édition du Festival où elle a été très présente depuis Nôt, le spectacle qu’elle proposait en ouverture dans la Cour d’Honneur. Israel Galvan s’était associé de son côté au metteur en scène Mohamed El Khatib pour Israel et Mohamed, une « danse documentaire qui mêle l’intime et le politique à l’ombre des figures paternelles ».
Galvan a construit dans RITE un personnage à l’antithèse des canons masculins du flamenco traditionnel. Quant à Marlene Monteiro Freitas, elle joue la femme forte, parfois dominatrice mais toujours avec beaucoup d’humour. Autant le visage de Galvan reste impénétrable, autant le sien est expressif. Son regard est à lui seul une composante essentiel du duo. Quant à sa gestuelle elle emprunte parfois au mime et on a par moment l’impression d’y découvrir un Charlie Chaplin dansant. Tout ce spectacle est totalement iconoclaste, incroyablement drôle et magnifiquement dansé.
- Arthur Viadieu et le collectif P4, J’aurais voulu être Jeff Bezos
Quelle belle et joyeuse conclusion de notre festival Off d’Avignon, le dernier jour, le dernier soir avec le spectacle J’aurais voulu être Jeff Bezos d’Arthur Viadieu avec les acteurs du collectif P4.
C’est une satire tourbillonnante et très documentée du patron d’Amazon. C’est un formidable exemple de théâtre documentaire qui est en même temps une comédie très engagée.
Prix coup de coeur de la presse lors du Off 2024, ce spectacle a confirmé son succès en 2025 et dispose déjà d’une belle programmation dans toute la France. Comme nous le disait Laurent Domingos lors de notre entretien avec lui, Avignon peut être à l’origine d’une formidable aventure théâtrale. C’est ce qui se réalise pour Arthur Viadieu et le collectif P4. Et pour nous c’était une belle conclusion de cette magnifique édition des festivals d’Avignon.
Yves Le Pape