nicolas barral sur un air de fado
Nicolas Barral. Photo Rita Scaglia /Dargaud

Interview /BD. Nicolas Barral publie « Sur un air de fado », un roman graphique dont l’histoire se déroule à Lisbonne en 1968, avant la Révolution des œillets au Portugal, qui a mis fin aux 40 années de dictature de Salazar. C’est le récit du parcours d’un médecin quadragénaire entre engagement dans la résistance et repli dans une vie plus légère et frivole. Une histoire très personnelle qui s’inscrit pleinement dans la grande histoire de son pays.


Nicolas Barral: « Sur un air de fado » raconte le long cheminement de libération intérieur du personnage qui mène à l’engagement. Etre un héros ça ne se décrète pas et les circonstances peuvent faire d’un individu sans engagement une personne qui décide d’agir »


Nicolas Barral se lance pour la première fois dans une BD dont il est le scénariste et le dessinateur. Il avait jusque là collaboré avec de nombreux scénaristes comme Pierre Veys ou Tonino Benacquista et pris la succession de Tardi dans l’adaptation du Nestor Burma de Léo Malet. Roman graphique, « Sur un air de fado » est son premier ouvrage en solo.

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Nicolas Barral. Photo Rita Scaglia/Dargaud

Comment avez-vous été conduit à vous intéresser à la dictature de Salazar au Portugal ?

Nicolas Barral : J’ai épousé une femme d’origine portugaise et, dans le trousseau de mariage, il y avait un certain nombres de livres parmi lesquels « Pereira prétend » d’Antonio Tabucchi, un italien lusophone. Ce roman traitait de la dictature de Salazar dans les années 30. Il y était question d’un personnage un peu falot, un veuf qui passait son temps à ressasser ses années de mariage et qui ne faisait pas beaucoup de politique. Je me suis demandé ce que je ferais, moi, si je me trouvais dans cette situation. Et si mon pays connaissait un jour la dictature, est-ce que je serai un héros ou un salaud ?  Est-ce qu’on est forcément un salaud si on aspire à une certaine légèreté dans l’existence et qu’on choisit de se tenir à l’écart de la politique ? J’ai donc bâti un récit qui me permettait de réfléchir à voix haute à cette question. J’ai mis en scène un médecin, Fernando Pais, qui ne fait pas de différence entre les méchants et les gentils. Il a parmi ses patients un policier de la PIDE, la police politique, le bras armé de Salazar dont la dictature a duré 48 ans, de 1926 à 1974, mon histoire se situant, elle, en 1968.

Pourquoi avez-vous choisi cette période, juste avant la révolution des œillets ?

Nicolas Barral : C’est le hasard des lectures qui m’a conduit à faire ce choix. Je me suis beaucoup documenté. C’est une histoire que je porte depuis 2005 et j’ai mis 10 ans à me décider à m’y attaquer. Je manquais de documentation et, dans la première version que j’avais écrite, je traitais de la dictature de façon trop générale. Cette histoire continuait à me hanter jusqu’en 2015 où s’est ouvert à Lisbonne un musée de la résistance à Salazar. J’y ait rencontré une documentaliste à qui j’ai parlé de mon projet. Elle m’a orienté vers un certain nombre d’ouvrages qui étaient parus récemment comme l’histoire de l’opposition à la dictature d’Irène Pimentel. Pendant ces 10 années j’ai moi-même muri et j’ai attaqué le problème de façon moins frontale en traitant de ces zones de gris, de ces gens qui font un peu ce qu’ils peuvent dans ces circonstances tragiques.



Quelle a été le parcours de Fernando Pais, le personnage central de votre histoire ?

Nicolas Barral :  Dans le passé mon personnage était tombé amoureux d’une pasionaria et a accompagné le mouvement d’opposition à Salazar. Cette expérience ne s’est pas bien terminée. Il en a gardé une blessure qui l’a éloigné de sa femme et de la politique. Cette histoire raconte donc le long cheminement de libération intérieur du personnage qui mène à l’engagement. Etre un héros ça ne se décrète pas et les circonstances peuvent faire d’un individu sans engagement une personne qui décide d’agir.

Quel est le rôle de ce jeune Gavroche lisboète que vous avez introduit dans cette histoire ?

Nicolas Barral : C’est un petit garçon qui vient défier la police politique et l’histoire nous apprend qu’il a de très bonnes raisons d’en vouloir à la PIDE qui s’en est pris à sa famille pour des raisons tout à fait injustes. Ce garçon va être l’élément déclenchant car il va donner une leçon à Fernando Pais, médecin quadragénaire. La bobine va se dérouler, le passé va ressurgir. Cette rencontre va donc être déterminante dans la vie de cet homme.

planche sur un air de fadoComment avez-vous procédé pour mettre en valeur les paysages de Lisbonne ?

Nicolas Barral : Lisbonne s’est gentrifié et l’Alfama n’y fait pas exception. Ce quartier a été réhabilité et il est maintenant propre comme un sous neuf. Mais il a gardé son charme, ses bars à fado et son tram. Je suis allé plusieurs fois à Lisbonne et j’avais envie de repérer les points de passage de mes personnages de façon à être le plus crédible possible. J’ai lu des livres d’histoires, pris des photos et fait des croquis car je voulais immerger le lecteur jusque dans la couleur de Lisbonne, cette couleur de fin de journée qui procure une sensation de douceur que connaissent bien ceux qui ont la chance d’y aller. A l’époque où se déroule mon histoire cette douceur était trompeuse car dans les coulisses se jouaient des destins tragiques.

Avez-vous adopté un dessin aussi précis dans ce roman graphique que dans vos précédentes BD ?

Nicolas BarralJe ne suis pas né avec le roman graphique. A mes débuts dans la BD on racontait des histoires à suivre dans des albums de 46 pages avec un dessin très léché. Quand on a travaillé de cette façon pendant des années on ne peut pas se renier. Mais j’ai tenu compte de l’évolution du public qui s’est habitué à des dessins pas forcément aussi finis et je me suis laissé aller à un dessin donnant l’impression d’un croquis sur le vif, sans avoir l’obsession du beau trait.  lisbonne BDAvez-vous prévu d’éditer également ce livre au Portugal ?

Nicolas Barral : Je tenais beaucoup à ce que le livre paraisse en même temps au Portugal. Dargaud y a donc trouvé un éditeur qui travail avec un quotidien qui s’appelle Publico. L’album a paru en novembre 2020 sous la forme d’un supplément à ce quotidien. Il y sortira en librairie à la fin mars. Les Portugais étaient contents car la fiction portugaise a peu abordé la période de la dictature. La publication m’a aussi ouvert des portes dans la communauté portugais en France où le livre a été très bien accueilli.



Pourquoi avez-vous attendu aussi longtemps pour écrire et dessiner seul un album ?

Nicolas Barral : J’ai toujours eu en tête d’écrire mes histoires mais je ne savais pas par quel bout prendre les choses. Un de mes prof de l’école à Angoulême m’avait dit qu’il fallait commencer par vivre. Je l’ai écouté, j’ai vécu, j’ai dessiné des BD et rencontré des scénaristes brillants qui m’ont beaucoup appris. Cet album est venu au moment où il devait venir.

Pensez-vous donner une suite à « Sur un air de fado » ?

Nicolas Barral : J’ai en effet très envie de continuer et de donner une suite à cette histoire. J’ai obtenu le feu vert de mon éditeur et j’ai donc commencé à me documenter et à rechercher de nouveaux témoignages. Car j’ai envie de transmettre ce que j’apprends. C’est aussi à ça que sert la bande dessinée. J’ai surtout envie d’une bande dessinée qui fait réfléchir comme le faisait les albums que je lisait quand j’étais un jeune lecteur de Bilal et Christin ou de Tardi. Ces auteurs ne me considérait pas comme un enfant. C’est une BD qui faisait grandir. Avec cet album et celui qui va suivre j’espère proposer des histoires qui font un peu plus que divertir et qui font grandir les jeunes lecteurs.

Entretien réalisé par Yves Le Pape


« SUR UN AIR DE FADO » DE NICOLAS BARRAL

nicolas barralPour son premier ouvrage en solo il a choisi la forme du roman graphique qui lui permet de traiter une histoire au long cours, celle de Francisco Pais, un médecin quadragénaire qui vit à Lisbonne sous la dictature de Salazar. A travers « Sur un air de fado », Nicolas Barral s’interroge sur l’engagement dans la résistance à un régime dont il nous montre les rudes méthodes de la police politique. Il nous fait découvrir un personnage avec toutes ses ambiguïtés et prend le temps de nous raconter une fiction où l’histoire très personnel de ce médecin s’inscrit pleinement dans la grande histoire de cette si sombre période du Portugal.

Le dessin de Barral nous transporte dans Lisbonne et ses quartiers si attachants. L’auteur est allé les observer avec précision et son talent de dessinateur permet au lecteur de retrouver dans ce livre l’atmosphère si particulière de cette ville. Ce roman graphique est donc une belle et profonde fiction qui rappellera à ceux qui les ont connus ces tristes moments de l’histoire du Portugal et les fera découvrir aux jeunes générations qui ne les ont pas vécus. C’est «une BD qui fait grandir» comme l’a voulu son auteur.


 

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