eve ensler
Eve Ensler, auteure du "Monologue du vagin", aujourd'hui augmenté de onze nouveaux monologues. Photo Olivier Dion

Livres We Culte. Pour commencer cette semaine de lecture, on replonge dans le texte essentiel d’Eve Ensler, augmenté de 11 monologues inédits. On enchaîne avec le dictionnaire amoureux du parfum concocté par Elisabeth de Feydeau, puis on se glisse dans le sillage de Nora Hamzawi pour une douce mélancolie 2.0, on réfléchit sur le Bien avec Axel Kahn et on termine avec Gilles Leroy pour un beau roman en souvenir d’une jeune amie disparue tragiquement. Voici nos cinq suggestions de lecture pour la semaine.       

monologue du vagin eve enslerEVE ENSLER : «Les monologues du vagin»

Un rappel dès les premières lignes de l’introduction : « La première fois que j’ai joué « Les Monologues du vagin », j’étais persuadée que quelqu’un allait me tirer dessus. C’est peut-être difficile à croire, mais il y a vingt ans, personne ne prononçait le mot « vagin ». Ni à l’école. Ni à la télé. Pas même chez le gynécologue… » A 67 ans, l’Américaine Eve Ensler, ancienne avocate, en est toujours tout étourdie : depuis sa création voilà vingt-cinq ans, « Les Monologues du vagin » a été présenté et joué dans 140 pays, traduit en près de cinquante langues. Un véritable phénomène en vingt monologues- et un souvenir de l’auteure après les premières représentations : « Mais personne ne m’a tiré dessus. A la fin de chaque représentation, il y avait de longues files de femmes qui voulaient me parler… » Elle pense que ces femmes souhaitent lui parler de désir, de satisfaction sexuelle; à sa grande surprise, elles lui parlent d’agressions, de viols.

La pièce réunissait, originellement, onze monologues- dans la nouvelle version, arrivée ces temps-ci dans les librairies francophones, l’auteure a ajouté onze nouveaux monologues. Onze nouveaux monologues parce qu’aujourd’hui, vingt-cinq ans après, elle ne souhaiterait « rien d’autre que de pouvoir dire que les féministes antiracistes radicales ont gagné ». Eve Ensler souhaiterait mais ce n’est pas le cas, « le patriarcat, tout comme le suprémacisme blanc, est un virus récurrent ». Alors, s’enchaînent les « nouveaux Monologues du vagin »– aux titres implacables, cinglants, désespérés : « Le souvenir de son visage », « Sous la burqua », «J’en ai marre», « Ma révolution commence dans le corps » ou encore « Et nous avons commencé à sauter »… A la parution du livre dans la foulée des premières représentations au théâtre, le « New York Times » avait écrit : « Probablement l’œuvre politique la plus importante de la dernière décennie ». C’est toujours, terriblement, vrai…

«Les monologues du vagin» d’Eve Ensler. Traduit par Lili Sztajn. Denoël, 194 p, 17 €.

dcitionnaire amoureux du parfum élizabeth de feydeauELISABETH DE FEYDEAU : «Dictionnaire amoureux du parfum»

Elle le dit « enchanteur, conteur, séducteur ». Elle avoue également : « Le parfum m’attire depuis bien des années le nez et l’esprit. A moins que cela ne soit tout d’abord l’odeur et ce de manière inconsciente ». Historienne et écrivaine, Elisabeth de Feydeau est une des plus brillant.e.s expert.e.s français.e.s en parfum, dont elle a découvert à 16 ans la puissance émotionnelle en sentant « L’Heure Bleue » de Guerlain… Normal, donc, qu’on la retrouve aujourd’hui auteure de l’impeccable « Dictionnaire amoureux du parfum ». Pas moins de 880 pages pour flâner de A à Z, d’Absolue à Zut– un ordre alphabétique un peu bousculé puisque l’ouvrage commence par un article, sur vingt-quatre pages (!), à « N°5 », créé en 1921 par Gabrielle « Coco » Chanel (1883-1971) et Ernest Beaux (1881-1961) – tout simplement, « le parfum du siècle » selon l’auteure.  Ainsi, d’évoquer et de vanter l’audace et la liberté, l’instinct de création, un langage universel, une révolutionnaire sobriété sans oublier une communication d’avant-garde pour un parfum devenu mythe…

Evoquant ce « Dictionnaire amoureux… » introduit par les mots de Gustave Flaubert« Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés » (in « Le Testament de saint Antoine »), l’auteure rappelle que « nous avons dès l’âge de bronze les premières traces de rituels qui font intervenir des matières que l’on brûlait pour leurs odeurs, en Mésopotamie ou en Iran, comme le démontrent les premières fouilles archéologiques » et aussi que longtemps « le parfum était réservé aux dieux ». Nommé « cette haute puanteur » par Michel de Montaigne, le parfum ne peut être résumé à une marchandise. Parce qu’il possède avant tout une dimension esthétique. Ce que, au fil de ses différents articles, montre parfaitement ce « Dictionnaire amoureux… », un texte qui se lit. Qui se respire, aussi…

«Dictionnaire amoureux du parfum» d’Elisabeth de Feydeau. Plon, 880 pages, 27 €.

35 ans dont 15 avant InternetNORA HAMZAWI : «35 ans dont 15 avant Internet»

En 2016, il y eut « 30 ans (10 ans de thérapie) ». Cinq ans plus tard, en ce printemps naissant, Nora Hamzawi est de retour en librairies avec « 35 ans dont 15 avant Internet ». Une fois encore, l’humoriste multi-média (radio, télé, presse écrite) décode l’époque, pointe l’air du temps. Dans ce livre nouveau, elle a rassemblé nombre de ses chroniques, les a retravaillées pour la plupart. Défilent alors, dans ces pages, ses addictions 2.0. il y a, c’est la « marque de fabrique Hamzawi », de l’humour mais aussi de l’autodérision et de la lucidité. Hier, il y avait les cigarettes en chocolat, le Nokia 3210 ou encore Snake, aujourd’hui ce sont la cigarette électronique, l’Iphone 11 ou encore Instagram… Avec gourmandise et (apparente) légèreté, Nora Hamzawi s’amuse à relever les absurdités de l’époque. Une époque où le « like » des réseaux sociaux constitue une nouvelle hiérarchie sociale et de notoriété, où le détachement et le naturel sont devenus des denrées rares… En quarante-cinq chapitres-chroniques, l’auteure promène les lectrices et lecteurs par exemple chez son psy qu’elle a quitté (mais pas ses angoisses !), chez son coiffeur, dans une pub Herta ; elle peut aussi souhaiter la « bienvenue dans ma maison de retraite », annoncer qu’elle veut voir la neige ou qu’elle a voulu redécorer son appart. Il y a aussi les poilues, les couples d’amis, Angela Bower, la working girl de la série télé « Madame est servie »… et, bien sûr, le grand projet : être la fille au paréo ! Dans « 35 ans dont 15 avant Internet », flotte une douce mélancolie- on y entend les Spice Girls, on y porte des t-shirts Waikiki. On essaiera de ne pas dire « à mon époque »

«35 ans dont 15 avant Internet» de Nora Hamzawi. Editions Mazarine, 210 p, 18 €.

axel kahn et le bien dans tout ça?AXEL KAHN : «Et le Bien dans tout ça ?»

Chercheur en campagne, il pense en cheminant. A réfléchi à l’homme, au libéralisme et au bien commun (ce fut le titre d’un de ses précédents livres). En cette triste période covidienne, il est de retour en librairies avec « Et le Bien dans tout ça ? ». A 76 ans, Axel Kahn déroule un CV à donner le vertige- on résume : médecin généticien, directeur de recherche à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), ancien directeur de l’Institut Cochin (centre de recherches biomédicales), président de l’université Paris-Descartes et depuis 2019, président de la Ligue nationale contre le cancer. On y ajoute qu’il est également grand marcheur, des Ardennes au Pays Basque et même jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans ce nouvel essai dédié « à toutes les personnes fragiles, c’est-à-dire à toutes et à tous », Axel Kahn s’est placé sous le signe de l’humain et la raison, se référant ainsi à la formule que lui a laissée son père, le philosophe Jean Kahn, avant de suicider : « Sois raisonnable et humain ! »

Ainsi, en sept chapitres denses, il propose une belle réflexion sur le Bien, sa place dans la vie publique (en a-t-il une, d’ailleurs). Réflexion qu’il prolonge des remarques étayées sur l’humanité, la diversité, le progrès, les robots intelligents, les fragilités… Dans ces pages de haut niveau, il est aussi question de transhumanité, d’immortalité- également, de cette pandémie de la Covid-19 aux allures d’« épidémie banale, désastre sociétal », avec des sujets essentiels qui (re)surgissent, tels l’éthique en temps de crise, la protection et l’accompagnement à l’heure de la Covid-19 ou encore la sécession et la déraison… En forme d’épilogue, Axel Kahn boucle cet essai d’une grande richesse intellectuelle par les mots de l’écrivaine Colette : « Il va falloir vivre- ou même mourir- sans que ma vie ou ma mort dépendent d’un amour ». C’est « la naissance du jour »…

«Et le Bien dans tout ça ?» d’Axel Kahn. Stock, 362 pages, 20,50 €.

gilles leroy requiem pour la jeune amieGILLES LEROY : « Requiem pour la jeune amie »

Ce fut une jeune femme furieusement libre. Ils se sont aimés d’amitié. Un jour d’été 1984, le narrateur apprend qu’Agathe a été retrouvée morte dans un parking à Vincennes, après avoir été violée. Trois décennies, devenu écrivain, son ami narrateur écrit « Requiem pour la jeune fille ». C’est le nouvel et beau roman de Gilles Leroy, auteur de grande sensibilité, arrivé dans le monde des livres en 1987 avec « Habibi » et remarqué pour, entre autres, « Alabama Song » (prix Goncourt 2007) ou « Nina Simone, roman » (2013). Au hasard des pages, on lit : « Je l’idéalisais… et alors ? Il est possible que je l’idéalise aujourd’hui encore dans ces lignes. Au sordide du drame, on peut préférer sans rougir le roman d’un passé réécrit et provisoirement embelli ». Et aussi : « On est pudiques, la jeune amie et moi, on a nos timidités. Je respecte ses silences, elle respecte mes secrets. On s’épanchait peu ou alors sans le souligner, observant un retrait prudent sur ce que l’autre vivait sexuellement et amoureusement »

Pendant six ans, le narrateur et Agathe ont travaillé et fait la fête ensemble- ils ont vécu, au choix, une amitié amoureuse ou un amour amical. Pour la première fois une soirée de fin d’été 1978, ils se croisent dans l’appartement parisien, ils ont 19 ans- Gilles, le narrateur, est alors compagnon d’un acteur et rêve de devenir écrivain, Agathe rénove des appartements, « l’affinité était si puissante, immédiate et déroutante qu’un coup de foudre me semble la bonne image- une foudre amicale, alors, si une telle chose existe, sans les blessures et la dévastation qui suivent ». Soudain, un jour, Agathe a disparu. Peu après, elle est retrouvée dans ce parking de Vincennes… A la « jeune amie », Gilles Leroy adresse une prière tout en racontant une époque. Cette amie, cette époque qui méritaient bien un requiem- ce que n’a pas manqué de signer Gille Leroy avec une élégance aussi raffinée que distinguée…

«Requiem pour la jeune amie» de Gilles Leroy. Mercure de France, 226 pages, 18,80 €.

Serge Bressan

 

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