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Mathieu Sapin. Photo Joël Saget/Afp

Bande dessinée. Le dessinateur Mathieu Sapin publie chez Dargaud « Comédie française: voyages dans l’antichambre du pouvoir », qui est à la fois une sorte de reportage sur la présidence d’Emmanuel Macron et une réflexion historique sur la relation entre l’artiste et le pouvoir. Nous l’avons interrogé sur cette publication et du même coup sur le bilan qu’il pouvait tirer de son expérience de dessinateur investi dans les allées et les coulisses du pouvoir.

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Mathieu Sapin. Photo Dargaud

Mathieu Sapin, auteur de BD, s’est fait connaître dans les années 2000 avec Supermurgeman un anti-héros très parodique. Il a beaucoup publié pour les enfants en participant par exemple à la longue série Sardine de l’espace. En 2010, il publie Feuille de Chou, une sorte de reportage sur le tournage de Gainsbourg, vie héroïque, le premier long-métrage du dessinateur Joann Sfar.

Il débute ainsi dans la BD documentaire qu’il va poursuivre en passant six mois dans les coulisses du quotidien Libération puis en suivant Gérard Depardieu dans quelques voyages. Au même moment il débute un reportage en bande dessinée sur la campagne de François Hollande qui débouche sur la publication de Campagne présidentielle en 2012. Il entame ensuite une longue plongée dans la vie de l’Elysée qu’il décrit avec beaucoup d’humour et de détails très journalistiques dans Le Château – Une année dans les coulisses de l’Élysée en 2015.

Cette plongée dans la vie politique se conclut en 2020 avec Comédie française : voyages dans l’antichambre du pouvoir qui lui permet de raconter quelques voyages du président Macron. Il en profite pour réfléchir à la relation de l’artiste et du pouvoir politique en se plongeant dans l’histoire. Pour cela il se penche longuement sur le dramaturge Jean Racine dont il raconte la relation avec Louis XIV. Nous lui avons demandé quel bilan il tirait de cette expérience de dessinateur en plongée dans les arcanes du pouvoir.

Vous avez dit récemment que la réalité est souvent plus inventive que la fiction. C’est bien votre point de vue aujourd’hui ?

Mathieu Sapin: Quand on écrit on cherche des idées et on se creuse un peu la tête pour être original. Et pourtant dans la vraie vie tout est plus fort. Pour ces 3 livres j’ai toujours été surpris par la tournure que prennent les évènements. Avec François Fillon et Emmanuel Macron la dernière campagne présidentielle a connu beaucoup de coups de théâtre et des rebondissements incroyables.

mathieu sapin planche comdie françaiseDans Comédie française vous analysez la relation au pouvoir de Racine et des artistes de l’époque de Louis XIV. Est-ce que les choses ont vraiment changé depuis ?

Mathieu Sapin: La situation est bien différente aujourd’hui. Sous Louis XIV les artistes étaient payés par le pouvoir. Le malentendu aujourd’hui c’est que les artistes souhaitent être indépendants du pouvoir. Dans Comédie française je compare les deux époques et on voit bien que sous Louis XIV c’était un peu comme dans un régime communiste. Les artistes ne pouvaient pas s’exprimer de façon très personnelle même s’il y avait aussi des manières de contourner cet obstacle.

Pensez-vous, comme  un de vos interlocuteur dans ce livre, que les politiques ont besoin des artistes car ils manquent eux-mêmes d’imagination ?

Mathieu Sapin: C’est un communicant, habitué de la politique qui me l’a dit. Le politique a besoin de donner une image positive de lui-même et il a donc besoin que les artistes lui assure un certain crédit. Mais ça n’est pas aussi simple car on achète pas un crédit comme ça.

On dit souvent qu’il y a du Shakespeare dans la vie politique. Avec vous on pencherait plutôt pour Molière. La dimension dramatique de la vie politique n’est donc plus ce qu’elle était au temps de Shakespeare ?

Mathieu Sapin: Cet aspect existe effectivement mais il est plus feutré qu’à l’époque de Shakespeare. A son époque les coups de couteaux étaient réels et la tragédie à ciel ouvert. J’aime montrer le côté ridicule des situations qu’on observe beaucoup dans les milieux politiques et le lien avec Molière me plaît donc bien.

planche comedie française: voyages dans l'antichambre du pouvoirOn emploie parfois l’image de la « mort politique ». Ca n’est pas ce que vous avez observé avec ce qui est arrivé au conseiller élyséen Aquilino Morelle ?

Mathieu Sapin: Certes la « mort politique » est une réalité mais tant qu’on est pas vraiment mort il y a toujours un espoir de pouvoir revenir. Mais c’est vrai, il y a des morts symboliques qui sont impressionnantes et sur un quinquennat il y a beaucoup de monde qui reste sur le carreau. Je connaissais Aquilino Morelle et j’ai été vraiment marqué de voir quelqu’un qui, du jour au lendemain, passe d’un des postes les plus puissants, les plus enviés, au statut de pestiféré à qui personne ne veut plus parler.

La politique serait pour vous une affaire de désir et de séduction. C’est bien ce que vous voulez dire en évoquant cette poignée de main et ce clin-œil d’Emmanuel Macron lors d’une de vos premières rencontres ?

Mathieu Sapin: Je parle en effet beaucoup de la séduction en politique. Un bon politique c’est quelqu’un qui séduit et j’ai voulu montrer qu’il n’y a pas de pouvoir sans séduction. La poignée de main fait partie de ce rituel. Elle est une composante de ce rapport au corps, de l’incarnation du corps. C’est la question de savoir comment le corps engage, donne de l’importance aux actes et l’on retrouve ça même à l’époque romaine. Dans cette époque de Covid où on ne peut plus se serrer les mains, il y a une gêne. Je pense que cette question de la poignée de main n’est pas anodine. Et il y a aussi bien sûr le regard qui va avec cette poignée de main pour donner à chacun l’impression qu’on est bien là avec vous. François Hollande fait ça très bien et il s’est sans doute inspiré de Jacques Chirac. C’est ce qui a été la cause de la défaite d’Edouard Balladur qui n’aimait pas serrer les mains et il paraît même qu’il mettait des gants pour le faire. Les gens y sont très sensibles car on pense que si on ne serre pas les mains c’est qu’on ne les aime pas.

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Mathieu Sapin. Photo Dargaud

Dans Comédie française vous évoquez un repas chez François Hollande qui avait alors quitté l’Elysée. Il vous avait donc séduit vous aussi ?

Mathieu Sapin: Cette scène a eu beaucoup de succès. J’étais conscient que ça n’était pas banal mais je ne pensais pas qu’elle susciterait autant d’intérêt. Je ne peux pas dire que François Hollande m’ait séduit mais au moment de ce repas je n’étais plus dans le même rapport avec lui. Je n’étais plus une sorte de journaliste, un observateur privilégié qui tente de rester objectif pendant la période passée à l’Elysée. Dans cette scène je me trouvais dans la sphère privée et on ne peut plus  prétendre à l’objectivité. François Hollande est sympathique, c’est vrai. Je n’ai jamais rencontré Nicolas Sarkozy qui doit être sympathique lui aussi dans la sphère privée. Cela reste des gens qui ont des qualités et des défauts. Ce ne sont pas des surhommes même si, pour faire une campagne il faut d’extraordinaires qualités physiques. C’est ce que les gens ne pardonnent pas : on met en position suprême quelqu’un qui n’est pas un superman. Et on est très vite déçu quand on se rend compte que cette personne est faillible et ne règle pas tous les problèmes car on est dans un monde complexe et la tâche est immense.

Entretien réalisé par Yves Le Pape

  • Lire: « Comédie française : voyages dans l’antichambre du pouvoir »  Dargaud, 22,50€, 168 pages, 2020. Scénario et dessin : Mathieu Sapin
  • « Le Château – Une année dans les coulisses de l’Élysée » Dargaud, 19,99€, 128 pages, 2015. Scénario et dessin : Mathieu Sapin – Couleurs : Clémence Sapin
  • « Campagne présidentielle » Dargaud, 15€,  80 pages, 2012. Scénario et dessin : Mathieu Sapin – Couleurs : Clémence Sapin

album comedie française: voyage dans l'anti-chambre du pouvoirNotre avis: « Comédie française : Voyages dans l’antichambre du pouvoir »

Après avoir plongé dans la campagne présidentielle de François Hollande puis observé pendant deux ans la vie à l’Elysée, Mathieu Sapin avec Comédie française, observe le candidat Emmanuel Macron en campagne puis tente de s’en rapprocher à la présidence de la république. Ce livre est d’abord une réflexion sur la relation entre l’artiste et le pouvoir politique. A cette fin l’auteur dresse un parallèle entre sa propre démarche et celle de Racine, l’auteur de Britannicus, qui devient un jour l’historiographe de Louis XIV.

Si le dessinateur en reportage est fasciné par le pouvoir en action, l’humour lui permet certainement de garder plus de distance que le dramaturge-courtisan ne pouvait le faire auprès du « Roi soleil ». Le dessin de Mathieu Sapin est surtout celui d’un observateur sans concession qui se met lui-même en scène avec une autodérision des plus réjouissantes. C’est en tout cas une lecture qui peut être appréciée tout autant par les habitués de BD que par ceux qui s’en seraient éloignés depuis leurs albums d’adolescents.

 

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