Interview. Trois ans après « Le début de la suite », Bénabar revient avec « Indocile Heureux ». Un grand album lumineux et souvent émouvant où on passe du rire aux larmes en un clin d’œil, sur fond d’arrangements très travaillés inspirés des codes de la variété des années 1970. Rencontre avec un artiste qui depuis 25 ans, n’a pas peur de faire des chansons populaires qui touchent le cœur du grand public.
Bruno Nicolini, alias Bénabar est un formidable chroniqueur de la comédie humaine. Un chanteur qui depuis ses débuts en 1997, observe avec justesse le quotidien, dont les chansons reflètent le « parcours d’un gars de la classe moyenne depuis 25 ans » sourit-t-il. Mais, Bénabar, c’est aussi plus que cela, un chanteur qui n’a pas peur de faire des chansons populaires, celles qui touchent le cœur du grand public, à l’image de Serge Lama, Michel Delpech ou Renaud. A 50 ans, l’auteur de « Le dîner », « Maritie et Gilbert Carpentier« , « L’effet Papillon » ou « Je suis de celles » revient avec « Indocile heureux », un grand album inspiré des codes de la variété des années 1970. Un disque lumineux et souvent émouvant aux arrangements très travaillés, comme on pouvait le faire à l’époque : « Il y a plus d’accords que ce qu’il avait dans les chansons de Bruno jusqu’à présent » confie Bertrand Lamblot, directeur artistique de l’album : « On a essayé de trouver un son de cuivres qui soit à la fois original dans notre époque et qui fasse référence à cette façon de faire de la musique dans la première partie des années 1970 en France. Il y a un truc très chanson vraiment à l’ancienne. Personne ne fait ça aujourd’hui » observe-t-il.
Résultat, les chansons de Bénabar vivent comme jamais dans « Indocile Heureux », dont les thèmes sur le temps qui passe, l’amour, la mort, la famille, le couple… s’ancrent dans la réalité et s’inspirent une nouvelle fois de la vie de tous les jours. Il y a du rire et des larmes, de la poésie et des moments d’émotion, de la joie, de la mélancolie et du romantisme dans ce nouvel album. Au travers de « Tous les divorcés », « Au nom du temps perdu » ou encore « Les belles Histoires », on redécouvre la sensibilité d’un chanteur qui est aussi un grand auteur, avec ses fêlures, ses sentiments tourmentés… Un registre qui parle de nous, de la société d’aujourd’hui et redonne goût à la vie, c’est plutôt rare et ça fait un bien fou !
Bénabar : « Il y a aussi cette volonté que l’on passe un bon moment en écoutant mon album. Ce qui n’empêche pas d’être touché et d’être un peu bousculé ou de sourire »
Dans le titre de votre album, il y a « Indocile ». Un mot qui pourrait faire écho à la situation d’aujourd’hui?
Bénabar : Je dirais sans faire de mauvais jeu de mots, que c’est déjà ne pas être docile. Ne pas être docile avec une pensée unique et dieu sait si elle est importante dans mon domaine. C’est un titre qui n’est pas rebelle. Aujourd’hui, il y a une espèce de culte de la fausse rébellion, de petits bourgeois surprotégés qui sur les réseaux sociaux se prennent pour des dissidents chinois. Il faut faire attention aux posture qu’on peut prendre. L’indocilité ce n’est pas ça. C’est avoir cette volonté de ne pas accepter tout ce qu’on dit, de ne pas suivre l’air du temps, d’éviter d’être un mouton…
Vos chansons s’inspirent du quotidien. Diriez-vous que vous êtes un chroniqueur de la comédie humaine ?
Bénabar : Je ne sais pas. Chroniqueur, il y a de ça dans la démarche. J’aimerais essayer de faire de la poésie appliquée la plus clandestine possible. Ce qui me travaille, c’est éviter les grandes phrases « poétisantes ». Avec cette envie de faire du divertissement réel, qui est toujours aussi présent. D’où les spectacles qui sont si importants pour moi, l’envie de divertir et sans forcément choisir cette frontière que certains ont voulu mettre entre divertissement et l’art, ce qui est parfaitement absurde. Il y a aussi cette volonté que l’on passe un bon moment en écoutant mon album. Ce qui n’empêche pas d’être touché et d’être un peu bousculé ou de sourire.
Vous avez travaillé pour la première fois avec un parolier, Pierre-Yves Le Bert. Par besoin de vous renouveler après 25 ans de carrière ?
Bénabar : C’est Bertrand Lamblot, le directeur artistique, qui a eu cette idée de co-écriture. Il se trouve qu’on s’est très bien entendu avec Pierre-Yves. Travailler à deux les chansons m’a enchanté, cela permet d’avoir un autre point de vue. Quand on commence à avoir une carrière longue, il y a toujours la limite entre le style et la facilité. Cela permet d’ouvrir, de travailler aussi quelque chose qui est mon grand cheval de bataille, parce que cette année, on a quand même assisté à l’enterrement en première classe du deuxième et troisième couplet dans les chansons de mes confrères…
C’est-à-dire ?
Bénabar : Dans la majorité des chansons, on s’aperçoit qu’il y a le premier couplet qui compte, le refrain et après le deuxième couplet, grosso modo, c’est une resucée du premier et le troisième couplet, on s’en fout. Moi, je fais l’inverse. Dans « Tous les divorcés », il y a 4 couplets avec une volonté de progression dans le texte et d’avoir des entrées différentes. Aujourd’hui, les textes sont incontestablement négligés dans la chanson française, ce n’est pas un scoop. Je le dis avec une forme de tristesse. Ce n’est même pas de la paresse, c’est de l’indifférence. On se dit que de toute façon la radio coupera la chanson avant le deuxième couplet, donc pourquoi pas s’embêter à écrire la suite. Il n’y a pas une volonté de faire des textes, comme on pouvait en avoir dans la grande variété des années 1970-80. Cela me fait de la peine en tant qu’auditeur.
Avez-vous des modèles de chanteurs?
Bénabar : Il y en a beaucoup. Renaud, Souchon, Daho. Je suis très admiratif du parcours de Catherine Ringer et la façon dont elle poursuit sa carrière. Voir comment ces gens gèrent leur carrière longue, comme Cabrel qui est un exemple parfait, avec une exigence permanente, une recherche. Il n’est jamais dans la facilité. Je suis admiratif de ces artistes qui ont su conservé cette intégrité, de ne pas être blasé et de ne pas uniquement « capitaliser », ce qui est le cas de certains, sur un nom ou sur une image, de faire à tout prix un duo avec la personne du moment… « Occuper le terrain », je trouve ça ignoble comme expression nous concernant et beaucoup de gens consacrent l’essentiel de leur temps à ça. Ils se font une espèce de hara-kiri poétique quand ils se posent ce genre de problématique.
Vous chantez « Le bain » qui évoque le Finistère. Quels rapports entretenez-vous avec la Bretagne ?
Bénabar : J’ai beaucoup de copains bretons pour des raisons qui m’échappent et la Bretagne revient souvent dans mon cercle familial. Je suis allé souvent à La pointe dans le coin de Saint-Pabu, après Brest. Il y a une chanson de mes débuts qui s’appelle « Bon anniversaire » qui se passe là-bas. J’y allais en week-end. La Bretagne, pour moi, évoque la nature, la violence de la mer, un endroit propice au questionnement intérieur. Je me suis baladé sur la plage là-bas, avant de revenir très vite pour boire du blanc avec des huitres ! Parce que les questions sur la vie et la mort, ça va cinq minutes (rires).
Dans « Tous les divorcés » vous évoquez les amours qu’on peut avoir dans la vie. Pensez-vous qu’on puisse aimer plusieurs fois ?
Bénabar : J’en suis convaincu. Après, pour les couples c’est mieux de ne pas le faire en même temps ! (rires), cela complique un peu les rapports. En fait, la chanson ne parle pas tellement du divorce mais du premier amour. Je fais partie de ceux qui entretiennent de bons rapports avec leurs ex , où il y a un truc charnel quasi familial. Toutes les histoires d’amour comptent. Je crois vraiment à ça.
Cette chanson, elle parle de votre vécu ?
Bénabar : Bah oui, j’ai eu plusieurs histoires d’amour. Je n’en ai pas eu beaucoup, mais assez longues à chaque fois. Je n’ai jamais été un grand séducteur, bien malgré moi, ce n’est pas forcément un choix, mais ça s’est passé comme ça (rires). Ces vraies histoires où on prend un appart, après quand on se sépare on pleure, on déménage. C’est toutes ces périodes, qui ont vraiment rythmé ma vie. Maintenant, je suis en couple depuis longtemps, si tout va bien, ça va durer ! (rires)
Faites-vous partie de ces romantiques dont vous parlez dans « Les belles histoires »?
Bénabar : Oui, je suis vraiment romantique, avec la volonté d’encourager ceux qui n’osent pas l’être de peur de passer pour « fleur bleue » ou mièvre. Le romantisme qui va aussi avec le romantisme littéraire des côtes de Bretagne, avec les embruns dans les cheveux, la vie, la mort et les huitres ! (rires). Jaime aussi le romantisme avec ce côté enflammé qu’on peut avoir à table, comme dans les films de Sautet avec Yves Montand, cette forme de jeu un peu spectaculaire et too much. Ne pas avoir peur des grands sentiments, j’aime ça.
Que pensez-vous du paysage musical d’aujourd’hui ?
Bénabar : Dans la chanson, la variété française, il y a quelque chose qui tire vers le bas. Il y a beaucoup de cynisme je trouve en ce moment. Ce n’est pas tant que les copains et les copines n’ont pas de talent, peut-être est-ce dû aux difficultés qu’on vit tous, mais il n’y pas cette envie de faire un disque avec plein d’arrangements. Ce qu’on a fait avec mon album, c’est une façon de travailler à l’ancienne. C’est un disque très arrangé, avec des cuivres, beaucoup d’instruments organiques. On a travaillé en amont, comme pouvait le faire Aznavour, où on a passé des journées en studio à trois ou quatre, à bosser les chansons qu’on a d’abord structurées au niveau de la mélodie et des textes, des arrangements qui viennent après.
Vous avez fait vos débuts en tant que technicien pour le cinéma. Y a t-il quelqu’un qui vous a encouragé à vous lancer dans la chanson ?
Bénabar : Il y a eu ma première manageuse Marion Richeux, à qui je dois beaucoup. A l’époque, je jouais dans les bistrots avec Patchol, devant dix personnes. Je voulais être scénariste. J’écrivais des chansons parce que ça m’éclatait comme exercice. Et Marion, qui elle voulait devenir manageuse, nous a vus et elle m’a porté jusqu’à Bercy. Sinon, on ne m’a pas encouragé. Pour beaucoup de confrères et toute une presse, ça été plutôt une volonté de m’étouffer que de me porter au pinacle. J’ai eu des vents contraires très vite, pour des raisons que je refuse de m’expliquer. Je me suis construit contre pas mal de choses. Ce n’était pas du tout destiné que je devienne chanteur, ou que je passe à la télé, on a même essayé que cela n’arrive pas. On ne m’a pas vu venir, et comme je ne faisais pas partie de la bande, ça a posé un problème. Je n’étais pas invité et je mangeais plus que les autres, ça peut énerver ! (rires).
Quand vous reverra-t-on sur scène ?
Bénabar : Avec la crise sanitaire, tout est en suspens. J’ai l’impression que ce ne sera pas avant 2022. Comme toutes les tournées se décalent, il va y avoir un embouteillage. Cela fait deux fois que j’annule. Vu la situation, je passe mon tour. Je vis ça avec une grande tristesse pour les artistes, mais aussi tous les techniciens qui n’ont plus de travail puisque toutes les salles sont fermées. Je pense aussi aux jeunes artistes, tous ceux qui commencent leur carrière, pour qui la situation est tragique. Il faut qu’ils tiennent bon pour y aller l’année prochaine, qu’ils ne lâchent pas, sinon ça peut leur couper les ailes. Ce sont eux qui doivent avoir la priorité quand cela repartira.
Entretien réalisé par Victor Hache