deux fois dans le même fleuve
"Deux fois dans le même fleuve" : le nouveau livre de Sofi Oksanen (c) Toni Harkonen

Livres. Surnommée « la punk éthique » et considérée comme l’une des plus brillants écrivains scandinaves, la Finlandaise Sofi Oksanen a écrit un essai aussi rageur que rigoureux, à la morale rigoriste. Avec « Deux fois dans le même fleuve », à travers l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elle cible Poutine dont l’armée pratique la violence sexuelle… Un livre aussi indispensable qu’essentiel.


« Deux fois dans le même fleuve » : Pour Sofi Oksanen, aucun doute : dans la Russie de Poutine, l’égalité est en déclin


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« Deux fois dans le même fleuve » : Sofi Oksanen (c) Toni Harkonen

  Un père finlandais, une mère estonienne. Des études à l’Ecole supérieure de théâtre d’Helsinki. Un look extravagant… A 46 ans et traduite dans une cinquantaine de langues, Sofi Oksanen est l’une des plus brillant.e.s écrivain.e.s scandinaves, l’un des auteur.e.s majeur.e.s de la littérature internationale.

On la surnomme « la punk éthique », doit sa réputation à son écriture et son style tout en rage, rugosité et morale rigoriste. Ce qu’on retrouve, une nouvelle fois, dans son nouveau livre aussi indispensable qu’essentiel, « Deux fois dans le même fleuve »– avec un sous-titre suffisamment explicite : « La guerre de Poutine contre les femmes ».

Au tout commencement, il y eut une conférence organisée le 22 mars 2023 par l’Académie suédoise. Le thème : les facteurs menaçants la liberté d’expression et la démocratie. Y participent l’écrivaine indienne, l’historien américain Timothy Snyder… et Sofi Oksanen. Laquelle a intitulé son discours « La Guerre de Poutine contre les femmes », et le public, à son écoute, est enthousiasmé.

Conséquence : l’auteure finlandaise, née à Jyväskylä- grosse ville du centre du pays avec ses 150 000 habitants, décide de l’approfondir, de le compléter, de l’étayer. Résultat : « Deux fois dans le même fleuve », un titre inspiré par les mots de l’historien et géographe grec Hérodote : « Nous ne saurions entrer deux fois dans le même fleuve, car ce n’est déjà plus le même fleuve, et nous ne sommes plus nous-mêmes »

Dès les premières lignes du « Prologue », l’auteure de « Purge », « Les Vaches de Staline », « Norma » ou encore « Le Parc à chiens » évoque le thème de la misogynie « comme outil de pouvoir en Russie. La violence sexuelle exercée en Ukraine est une composante essentielle du génocide visant les Ukrainiens. Sur le plan intérieur, la misogynie ambiante protège le régime en empêchant les femmes d’accéder au pouvoir. A l’international, c’est un instrument d’impérialisme. Ces trois objectifs soutiennent la mission primordiale de Poutine : consolider le pouvoir central ».

Au fil des pages, Sofi Oksanen ne fait pas dans le demi-ton. Le 24 février 2022, la Russie de Vladimir Poutine envahissait l’Ukraine présidée par Volodymir Zelenski. « La Russie n’est jamais considérée comme une puissance coloniale, c’est une des clés de l’incompréhension occidentale. Partant de là, tout s’éclaire : Poutine et les Russes ne sont pas fous, ils se conduisent comme une puissance coloniale », expliquait récemment l’auteure finlandaise.

Aujourd’hui, avec ce livre, elle se rappelle sa grand-tante qui « n’était pas muette de naissance. Au début de la seconde occupation soviétique de l’Estonie, elle fut emmenée pour subir toute une nuit d’interrogatoires, après quoi elle cessa définitivement de parler. En rentrant à la maison le matin, elle paraissait à peu près en forme, mais elle ne dit plus jamais rien d’autre que ‘’Jah, ärä’’ »– en français : « Oui, arrêtez »

Ce souvenir de la grand-tante, cet épisode de sa vie, c’est l’ouverture de « Deux fois dans le même fleuve », avec ce premier chapitre intitulé « Quand la violence sexuelle devient une arme ».

Ainsi, l’auteure explique que la Russie poutinienne a ressorti une feuille de route qui rappelle celle de l’impératrice Catherine la Grande en Crimée en 1783 ou celle de l’URSS de Staline.



Toujours le même modus operandi avec Catherine la Grande, Staline ou aujourd’hui Poutine : pour appuyer une politique impérialiste, anéantir les adversaires et développer la propagande, utiliser la violence sexuelle dans le cadre de la guerre.

Pour Sofi Oksanen, aucun doute : dans la Russie de Poutine, l’égalité est en déclin. Pis : la Russie impose le silence aux femmes, utilise le viol comme arme et n’hésite pas à humilier ses victimes dans la sphère publique avec la menace de représailles…

« Deux fois dans le même fleuve », ce sont des pages aussi implacables que glaçantes sur les crimes sexuels des soldats de Poutine. C’est également un sacré coup de poing adressé à ce monde qui, un temps, a trouvé le maître du Kremlin, folklorique.

Serge Bressan

  • A lire : « Deux fois dans le même fleuve » de Sofi Oksanen. Traduit par Sébastien Cagnoli. Stock, 306 pages, 21,90 €.

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EXTRAIT

     « Les viols sont d’autant plus difficiles à chiffrer que les femmes ne sont pas toujours en mesure de dire combien de fois l’acte a été commis, combien étaient les agresseurs. Les violences peuvent être si nombreuses qu’elles perdent la faculté de compter. Les actes peuvent s’enchaîner pendant des jours, des semaines, des mois, des années. Les victimes ne sont pas forcément conscientes, elles peuvent être droguées ou enfermées dans une cave. Elles peuvent avoir la tête dans un sac ou sous une capuche. Malgré cela, les chercheurs, les autorités et les journalistes veulent connaître les chiffres. Toujours… »


 

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