elif shafak
Elif Shafak ©Leonardo Cendamo/Leemage

Livre. Romancière turque vivant à Londres, Elif Shafak publie son douzième roman, « L’Île aux arbres disparus ». Un texte aussi magique que bouleversant avec, en toile de fond, le conflit gréco-turc dans les années 1970 à Chypre. Un roman d’amour, d’exil dont l’un des personnages est un figuier…


Elif Shafak publie « L’Île aux arbres disparus », son 12è roman


Elif Shafak
Elif Shafak ©Ferhat Elik

       Pas moins de trois grands noms de la littérature contemporaine y sont allés de leurs compliments : Colum McCann, William Boy et Margaret Atwood. Le premier assure que « les mots de l’auteure créent un nouveau monde à notre attention », le deuxième évoque « un roman magique et merveilleux qui lève le voile sur notre histoire récente » et la dernière parle d’ « un roman proprement bouleversant sur les sombres secrets de la guerre civile et les méfaits de l’extrémisme ».

Voilà donc des éloges parus avant même l’arrivée de la VF de « L’Île aux arbres disparus », le douzième et enthousiasmant roman d’Elif Shafak. A 50 ans, la romancière turque vit à Londres, puisque le régime d’Ankara dirigé par Recep Tayyip Erdoğan la tient, depuis de nombreuses années, sous haute surveillance pour deux raisons : elle est une opposante, et ne s’en est jamais cachée, une opposante au régime en place, et a fait son coming out en révélant publiquement sa bisexualité…

L’île aux arbres disparus, c’est Chypre, cette île-pays méditerranéen partagé en deux, dans une guerre civile dans les années 1970, entre Grecs et Trucs. « L’Île aux arbres disparus », c’est aussi un cri qui ouvre le texte d’Elif Shafak, et un rêve qui l’achève. Ce sont également des mots de Pablo Neruda : « Qui ne connaît pas la forêt chilienne ne connaît pas cette planète. C’est de ces terres, de cette boue, de ce silence que je suis parti cheminer et chanter à travers le monde » (in « J’avoue que j’ai vécu »), et de William Shakespeare : « Cela appelle le sang, dit-on. Le sang appelle le sang. On a vu des pierres bouger et des arbres parler » (in « Macbeth »).



C’est aussi quatre personnages : Kostas Kazantzakis- il est Grec et chrétien ; Defne-Turque et musulmane ; Ada- leur fille, et un arbre, un figuier. A 16 ans, dans un lycée de Londres, durant un cours d’histoire, Ada pousse un cri- elle vit seule avec son père… Plus tard, il y aura une renaissance.

Entre le cri et la renaissance, l’histoire de Kostas et Defne- ils étaient jeunes, ils se rencontrent, c’est un amour impossible dans cette Chypre des années 1970, le garçon est Grec et chrétien, la fille Turque et musulmane… C’est le temps de l’amour, de l’insouciance. Le temps des amours clandestines, et des retrouvailles le soir venu à la taverne joliment appelé Le Figuier heureux- sauf que la guerre… ce sera le temps de la séparation, de la liberté retrouvée à Londres avec la voix de leur fille Ada.

Grande magicienne de l’art d’écriture, Elif Shafak nous avait enchantés dans le passé avec « La Bâtarde d’Istanbul » (2007), « Soufi, mon amour » (2010), « L’Architecte du sultan » (2015) ou encore « 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange » (2018). Une fois encore avec « L’Île aux arbres disparus », elle inonde d’humanité et de générosité les pages du roman.

Il y a aussi des failles et des doutes, des élans et des contraintes, de la haine et de la violence. Et Ada, jeune fille de 16 ans, est là- au plus profond d’elle-même, subsistent les déchirures et les entailles de ses parents… Il y a aussi, dans ce récit qui mêle allègrement poésie et insolite, un arbre. Un figuier.

Un arbre témoin d’ l’histoire, scrutateur des conflits qu’aliment les hommes au moindre prétexte- commentaire de la romancière : « J’ai rencontré à Chicago et dans le Michigan des Italiens d’origine qui enterraient leur figuier dans le jardin quand il faisait trop froid, jusqu’au printemps. De tout le pourtour méditerranéen, des familles sont parties emmenant avec elles, dans le monde entier, leur environnement naturel et leur culture. Cette métaphore d’enterrer et de déterrer les secrets est très importante dans ce roman ».



Evoquant son nouveau roman, Elif Shafak confiait dans un récent entretien : « Nous sommes tous des êtres pluriels ». A un autre interlocuteur, elle disait que « le rôle de l’écrivain est de donner une voix aux silences » et que « la littérature possède une résistance intérieure ».

Et, beauté ultime, on relèvera la dédicace que la romancière a placée en ouverture de « L’Île aux arbres disparus » : « Aux émigrants et aux exilés de tous les pays, les déracinés, les ré-enracinés, les sans-racines. Et aux arbres que nous avons laissés derrière nous, enracinés dans nos mémoires… »

Serge  Bressan

  • A lire : « L’Île aux arbres disparus » d’Elif Shafak. Traduit par Dominique Guy Blanquet. Flammarion, 434 pages, 22 €.

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Elif Shafak : couverture de son 12è roman

EXTRAIT   

« Il était une fois un souvenir, à l’autre bout de la Méditerranée, où s’étendait une île si belle et si bleue que les nombreux voyageurs, pèlerins, croisés, marchands qui en tombaient amoureux souhaitaient ne plus jamais en repartir, ou tentaient de la remorquer par des cordes de chanvre jusque dans leur pays.

        Des légendes, peut-être.

        Mais les légendes sont là pour nous dire ce que l’histoire a oublié.

        Cela fait bien des années que j’ai fui cet endroit à bord d’un avion, à l’intérieur d’une valise en souple cuir pour ne plus jamais revenir. Depuis j’ai adopté un autre pays, l’Angleterre, où j’ai grandi et prospéré, mais sans que passe un seul jour où je ne rêve d’y retourner. Chez moi. Ma terre natale ».


 

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