Les livres de la rentrée (4). Pour cette rentrée littéraire d’été 2024, 459 romans francophones et étrangers (une petite trentaine de moins qu’en 2023) sont annoncés en parution d’ici la fin octobre. En toute subjectivité, We Culte a retenu le roman-événement de Justin Torres… et aussi ceux d’Emma Becker, Vera Bruck, Philippe Jaenada, Rebecca Lighieri, Arturo Pérez-Reverte, Inge Schilperoord. Soit sept romans indispensables.
JUSTIN TORRES : « Blackouts »
Homme rare, il sait faire patienter. Il avait frappé un grand coup dans le monde des livres en 2012 avec « Vie animale ». Et le voici, douze ans plus tard, qui ressurgit avec un nouveau roman, tout autant étourdissant, enivrant de bonheur de lecture. On tient là, c’est certain, un des livres-événements de cette rentrée d’été 2024. Le titre ? « Blackouts ».
L’auteur : Justin Torres, 43 ans, résidant dans l’Etat de New York, contributeur de « Granta » et du « New Yorker ». Présenté comme un OLS (objet littéraire singulier), « Blackouts » est habité par Nene, un jeune homme de 27 ans d’originaire portoricaine.
Il vit dans « le Palais »- lieu fantomatique, peut-être un hospice, voire un hôpital… Ce soir-là, il est « convoqué » par Juan, un vieil homme qui attend la mort- ils se sont connus des années auparavant dans un hôpital psychiatrique.
Juan demande alors à Nene de poursuivre sa mission : mener à bien ce sur quoi il travaillait, et se plonger dans l’histoire de Jan Gay, née Helen Reitman (1902- 1960), cette sociologue qui, dans les années 1930, a enquêté sur les pratiques homosexuelles. Il lui fallait une caution médicale, le docteur Henry s’accapara de ses travaux qui, dans un rapport- « Sex Variants », paru en 1941- définirent l’homosexualité comme une « maladie mentale »…
- « Blackouts » de Justin Torres. Editions de l’Olivier, 336 pages, 25,50 €.
EMMA BECKER : « Le mal joli »
Pour le moins, voici un roman incandescent. Peut-être même le plus incandescent de tous parus (et à paraître) en cette rentrée d’été. Avec « Le mal joli », Emma Becker confirme ainsi qu’elle est bien la romancière française spécialiste de l’amour, voire des extases sexuelles.
En 2019, elle avait déjà (mini)scandale en publiant « La Maison » livre dans lequel elle relatait son séjour dans un bordel berlinois. Expérimentant la veine de l’autofiction, elle poursuit le récit- on pourrait appeler cela « La vie sexuelle de Emma B », en référence à un texte de Catherine Millet.
Ainsi, Emma Becker, 35 ans, mère de deux enfants et vivant dans le Sud de la France, tombe amoureuse d’un homme bien plus âgé, parisien, de droit et lettré. Et le « mâle joli » devient le mal joli…
- « Le mal joli » d’Emma Becker. Albin Michel, 416 pages, 21,90 €.
VERA BRUCK : « Les Enfants loups »
Allemande vivant à Zurich, elle est présentée comme la « sensation du polar » germanophone. Après « Runa »– un premier livre multi-primé, Vera Bruck signe un deuxième roman tout aussi étincelant : « Les Enfants loups ».
Pour décor : une nature sauvage, des montagnes, des forêts avec des loups, le village de Jakobsleiter. La jeune Rebekka rêve d’un ailleurs, de s’enfuir. Elle disparaît. Elle n’est pas la première, d’autres jeunes filles se sont « évaporées ».
Ce qui trouble Smila, jeune stagiaire au journal local- d’autant que, dix ans plus tôt, sa meilleure amie a disparue et qu’elle est persuadée qu’elle a été enlevée… Elle se lance dans une enquête durant laquelle elle va mettre à jour des secrets enfouis dans les montagnes. Un thriller haut de gamme.
- « Les Enfants loups » de Vera Bruck. Gallmeister, 480 pages, 25,50 €.
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PHILIPPE JAENADA : « La désinvolture est une bien belle chose »
Du fait divers au roman, il n’y a qu’un pas. Surtout quand, depuis une quinzaine d’années, l’affaire est supervisée par Philippe Jaenada. En maître du genre, il s’est donc intéressé à une bande de jeunes qui, dans les premières années 1950, squattait du côté de Montparnasse un bar appelé Chez Moineau.
Observés d’un coin de la salle par Guy Debord, les membres de ladite bande avaient la vingtaine, buvaient du whisky, n’attendaient rien du lendemain- des punks « no future » avant l’heure.
Au cœur de « La désinvolture est une bien belle chose », une beauté irradiante : Jacqueline Harispe, dite Kaki. Le 28 novembre 1953, elle se jette par une fenêtre. Suicide. En effectuant un tour de France dans une voiture confortable, Jaenada pense à cette bande, à cette Kaki. Il raconte…
- « La désinvolture est une bien belle chose » de Philippe Jaenada. Editons Mialet-Barrault, 496 pages, 22 €.
REBECCA LIGHIERI : « Le Club des enfants perdus »
Un roman à deux voix. Un père et une fille se répondent. Sujet principal du nouveau roman de Rebecca Lighieri, « Le Club des enfants perdus ». Il y a un couple people, Armand et sa femme Birke, tous deux comédien.ne.s ; il y a Miranda, leur fille à présent adulte.
Pour son père, elle demeure un mystère. Déjà enfant puis ado, elle trimballait un mal-être. Entre le père et sa fille, c’est un dialogue de sourds- les sujets reste sans réponse : famille disloquée, interrogations sur la sexualité et le genre, peut-être même maltraitance des parents…
Au fil des pages, la tension monte, l’auteure épaissit la noirceur. Moyen, certainement, pour que les protagonistes dévoilent leurs fracas, leurs malheurs- sans oublier une dose de paranormal instillée par Rebecca Lighieri…
- « Le Club des enfants perdus » de Rebecca Lighieri. Editions P.O.L., 528 pages, 22 €.
ARTURO PÉREZ-REVERTE : « L’Italien »
Souvent, évoquant sa trentaine de livres, il dit s’intéresser aux héros méconnus. C’est encore le cas avec « L’Italien »– son 29ème roman. Arturo Pérez-Reverte, 72 ans, ancien journaliste spécialité terrains de guerre, aujourd’hui écrivain de belle renommée et grand lecteur de Joseph Conrad, y met en scène à Gibraltar entre 1942 et 1943 une histoire dangereuse d’amour.
Celle d’une libraire espagnole, Elena Arbuès, et un plongeur de combat italien, Teseo Lombardo- sa mission : balancer au fond de l’eau des bâtiments de la Royal Navy. L’auteur enchaîne les pages d’action et d’aventure, d’héroïsme et d’honneur tout en traitant avec honnêteté ces relations amoureuses le plus souvent sincères mais aux implications et aux conséquences sans retour, voire catastrophiques…
- « L’Italien » d’Arturo Pérez-Reverte. Gallimard, 448 pages, 24 €.
INGE SCHILPEROORD : « Le ciel était vide »
Journaliste et psychologue judiciaire à La Haye où elle vit, Inge Schilperoord avait signé en 2017 un premier roman enthousiasmant : « La Tanche ». On la retrouve avec son deuxième texte, « Le ciel était vide ». Un roman cinglant, tout aussi abrasif qu’incitant à la réflexion.
Sophie a 16 ans, elle vit avec sa tante- sa mère est morte alors qu’elle était encore bébé, son père est décédé depuis peu. Avocat, il avait défendu Isra, une jeune partie faire le djihad en Syrie, lui avait évité la prison au motif que c’était « une erreur de jeunesse » et qu’elle ne présentait aucun danger pour la société. Sophie, elle, est convaincue que la mort de son père est liée à ce procès… Elle va s’intéresser à l’islamisme radical. Et aussi tenter de retrouver Isra qui a menti à son père…
- « Le ciel était vide » d’Inge Schilperoord. Belfond, 192 pages, 21 €.
Serge Bressan