Interview Florence Jeux. Alors que s’ouvrent les Francofolies qui se tiennent du 11 au 15 juillet, Florence Jeux, directrice de l’événement musical de La Rochelle, nous parle de l’esprit du festival qui a toujours développé des valeurs familiales, de proximité et de partage.
Quand on regarde la programmation des festivals, on a l’impression de voir toujours les mêmes artistes. Comment font les Francofolies pour se distinguer des autres ?
Florence Jeux : On essaie de personnaliser les concerts que l’on fait. Pour les artistes, ce n’est pas toujours simple parce que cela demande du travail, d’avoir des invités, de créer des choses un peu différentes. On propose, mais ce n’est pas forcément accepté. Cette année, on a une fête à Véronique Sanson avec plein d’invités et pas des moindres (Alain Souchon, Vianney, Tryo, Jeanne Cherhal, Patrick Bruel, Christopher Stills, Stephen Stills). Ces créations-là nous permettent de nous distinguer. Ensuite, on a développé plein de choses au fur et à mesure des années sur des esthétiques différentes qui ne concernent pas forcément la diffusion-même des concerts, mais qui nous permet d’aborder la musique et la chanson autrement.
« Quand on vient aux Francofolies, on assiste à plein de choses qu’on ne voit pas ailleurs. »
Par exemple ?
Florence Jeux : Les Francos stories qui sont les diffusions de documentaires qu’on fait tous les matins. Cette année, on a l’exposition d’Albin de la Simone qui montre ses dessins pour la première fois. On a les siestes acoustiques de Bastien Lallemant dans les tours de la Lanterne avec des invités différents chaque jour. On a les conversations quotidiennes avec le journal « Le 1 », qui nous permettent aussi de mettre les artistes dans une configuration différente, de parler de leur travail, d’aborder la musique autrement. Ce sont toutes ces choses-là qui font la personnalité du festival, qui montrent qu’on est un événement assez complet sur différentes esthétiques. Quand on vient aux Francos, on assiste à plein de choses qu’on ne voit pas ailleurs.
« Les Francofolies sont la vitrine des productions francophones »
Comment définiriez-vous l’ADN des Francos qui ont beaucoup évolué depuis leur création il y a 34 ans, où on écoutait surtout de la chanson, alors qu’aujourd’hui le rap occupe une place importante dans la programmation ?
Florence Jeux : On est vraiment la vitrine des productions francophones. Mais ça, ça n’a pas vraiment changé puisque le festival a toujours été précurseur notamment sur le hip-hop grâce à Jean-Louis Foulquier (fondateur des Francofolies) qui a été le premier à organiser des soirées rap. D’ailleurs, ce n’était pas vu d’un bon œil à l’époque par la mairie… Le festival a toujours été ouvert sur différentes esthétiques. On a gardé cet esprit-là et je dirai même qu’on a renforcé cet ADN de départ. On fait de la chanson, mais aussi du hip-hop et des musiques du monde. On essaie de développer cette ouverture sur les territoires francophones – même si cela ne veut pas dire que les artistes chantent en français – qui sont extrêmement intéressants en termes de créations artistiques. A l’image du Québec, la Belgique, la Suisse, mais aussi l’Afrique, les îles. Des relations qu’on tisse avec nos festivals partenaires qui font remonter toute la création qu’il peut y avoir sur ces territoires.
« La marque, le label Francofolies a une vraie aura internationale »
Les Francofolies sont présentes en Bulgarie, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie, à Montréal, Spa… L’idée, c’est d’implanter la marque du festival un peu partout à l’étranger?
Florence Jeux : Les Francofolies ont toujours voyagé. Même du temps de Jean-Louis Foulquier, il y avait eu des éditions à Berlin, à Buenos-Aires, en Bulgarie déjà dans les années 1990. Le festival s’est toujours nourri de ces expériences. On se rend compte que la marque, le label Francofolies a une vraie aura internationale. On vient nous chercher pour tout ce qu’on fait auprès des artistes émergents à travers notre programme « Franco Educ », les actions qu’on a dans les classes, des choses que l’on développe aussi sur les territoires. On répond aux demandes quand cela nous paraît pertinent, que le projet est solide et qu’on a l’impression de se retrouver avec des gens sur des valeurs. C’est comme ça que naissent nos festivals à l’étranger.
« Les créations, pour les artistes, c’est souvent trois ou quatre mois de travail. Cette année, on a essuyé plusieurs refus »
Pourquoi n’y a-t-il pas de création à la Coursive cette année ?
Florence Jeux : Ces créations, c’est un peu compliqué à monter. Il faut trouver l’artiste qui veut s’engager dans un projet. C’est souvent trois ou quatre mois de travail pour s’approprier un répertoire. C’est aussi un risque médiatique en termes de créations pour les artistes. Cette année, on a essuyé plusieurs refus. Mais l’idée de création à la Coursive existe toujours et on va se remettre sur de nouveaux projets dès la rentrée.
» On souhaite ancrer les Francofolies dans l’avenir »
Vous avez été nommée directrice générale en septembre. Comment comptez-vous imprimer votre marque personnelle au sein des Francofolies ?
Florence Jeux : Comme j’ai été à la direction artistique pendant six ans, les Francofolies ont déjà évolué. A la programmation, on travaille à un projet et on y met sa patte. Aujourd’hui, on a envie de renforcer les valeurs du festival qu’on a toujours défendu, valeurs familiales, de proximité, de partage. Et on souhaite ancrer ce festival dans l’avenir. Un festival qui regarde devant lui, avec tout ce passé et les histoires qui le nourrissent, le rendent plus fort et lui permettent d’être un événement référent. C’est rester un festival populaire qui réunit les générations en n’en laissant aucune de côté. On fait ainsi le grand écart dans la programmation entre NTM, Juliette Armanet, Bill Deraime et Patrick Abrial.
Aujourd’hui les festivals sont devenus de véritables enjeux économiques et sont rachetés par des grands groupes financiers. Quelle réflexion vous inspire ce paysage qui est en train de profondément se transformer ?
Florence Jeux : C’est vrai qu’on le vit au quotidien parce que les interlocuteurs changent. Même au niveau des producteurs, on n’a plus les mêmes discussions. Il y encore dix ans, on était plus dans l’artistique. Aujourd’hui, tout s’est industrialisé. On le sent également auprès des artistes où c’est de plus en plus compliqué de leur demander de faire un pas de côté. Pour un artiste en tournée, c’est extrêmement difficile de l’en faire sortir pour créer, prendre des risques, etc…. Ils ont des plannings extrêmement serrés et c’est difficile de les amener à faire d’autres choses. On le ressent vraiment.
Que pensez-vous de la circulaire du ministère de l’Intérieur qui veut faire payer les frais inhérents à la sécurité par les festivals ? Cela ne risque-t-il pas d’impacter le budget des Francofolies ?
Florence Jeux : Le budget de sécurité a déjà énormément augmenté ces dernières années. On se retrouve avec des frais qu’on n’avait pas à prendre en compte avant. Forcément le budget évolue en conséquence. Entre négocier les artistes au bon prix avec les cachets qui augmentent, prendre tous ces coûts en charge, qui sont annexes mais vraiment impactant et garder un prix de billet abordable pour le spectateur, c’est compliqué. Cette équation est de plus en plus complexe.
Festival Les Francofolies du 11 au 15 juillet 2018. Infos et programmation: http://www.francofolies.fr/
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