Sortie cinéma. Le rock’n’roll, c’est lui. En mêlant country, rhythm’n’ blues et gospel, il a popularisé dans le monde entier un nouveau style musical qui s’imposa à la jeunesse de la seconde moitié du siècle dernier: Elvis Presley a enfin son biopic flamboyant, « Elvis », du réalisateur australien Baz Luhrmann, qui sort sur les écrans mercredi 22 juin après avoir été présenté hors-compétition au Festival de Cannes.
« Elvis » : un biopic flamboyant très rock’n’roll de Baz Luhrmann
« Je vais avoir 40 ans. Personne ne se souviendra de moi. Je ne laisserai aucune trace », dit vers la fin du film un Elvis Presley désabusé et fatigué, déçu par sa piètre carrière cinématographique, deux ans avant sa mort le 16 août 1977 à Memphis, Tennessee.
The King
Fausse modestie ou erreur de jugement? Pour le cinéma il n’a pas tort. Aucun Oscar d’honneur, c’est sûr. Mais pour la musique, il restera éternellement « The King », qui a influencé tant d’artistes et fait vibrer plusieurs générations depuis près de sept décennies –et encore aujourd’hui.
Baz Luhrmann, 59 ans, le réalisateur notamment de MOULIN ROUGE (2001), AUSTRALIA (2008) et GATSBY LE MAGNIFIQUE (2013), a choisi de construire ce biopic de manière chronologique mais via un angle original: l’histoire d’Elvis Presley est racontée, avec voix off et retours en arrière, par son impresario le colonel Tom Parker (Tom Hanks), qui restera à ses côtés jusqu’au bout.
Quartier noir
Dans sa jeunesse, Elvis Presley a vécu quelques années « dans l’un des rares logements pour Blancs d’un quartier noir de Tupelo, dans le Mississippi. C’est là que, avec quelques amis du coin, il s’est imprégné de la musique des bars équipés de juke-box et des rassemblements évangéliques pentecôtistes », explique le réalisateur.
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Devenu une petite vedette locale, il est repéré par le colonel Tom Parker –qui n’est pas plus colonel que vous et moi, mais on le saura plus tard. Celui-ci, ancien forain spécialiste de foires aux monstres et de kermesses de musique country, est séduit par ce Blanc qui chante comme un Noir.
Icône mondiale
Il va le prendre sous son aile et en faire une icône mondiale du rock’n’roll, et son unique source de revenus pendant trois décennies. Le colonel Parker est « le roi de l’enfumage et de l’entourloupe », un escroc sympathique, qui ne connaît rien à la musique mais va faire fructifier son investissement Elvis Presley, pour en en tirer le maximum.
Le film raconte l’enfance d’Elvis et sa découverte de la musique des communautés noires, les premiers contacts avec le colonel Parker qui va aussi appâter ses parents, Vernon (Richard Roxburgh) et Gladys (Helen Thomson). Puis le succès, la propriété Graceland, la fortune, les concerts, les émissions de télévision, les tournées, les controverses et les accusations de l’Amérique puritaine et ségrégationniste qui ne supporte pas ce Blanc qui se trémousse comme un Noir et fait se pâmer les jeunes filles qui, bouleversées par son jeu de jambes et son déhanché sexy, lui balancent leur culotte sur scène.
L’amour
Et il y a aussi l’amour: la rencontre d’Elvis, alors qu’il fait son service militaire en Allemagne, avec Priscilla (l’actrice australienne Olivia DeJonge), qui sera sa petite amie puis sa femme de 1959 à 1973 et la mère de leur fille Lisa Marie, née en 1968. Priscilla Presley, 77 ans aujourd’hui, a adoubé le film et affirmé sa satisfaction de la manière dont l’histoire est racontée.
Dans la deuxième partie du film, après un début très rythmé et musical, Elvis Presley reste rebelle, désobéissant parfois au colonel Parker, demeurant fidèle à la musique noire de ses débuts, refusant parfois les compromissions. Jusqu’à sa mort, d’une crise cardiaque, après une série de concerts épuisants et de médicaments pour pouvoir tenir le coup…
Biopic réussi
« Si ce film s’intitule ELVIS, il s’agit tout autant de l’histoire du colonel Tom Parker –ou, en tout cas, celui-ci en est le narrateur, bien qu’il ne soit pas toujours très fiable– et notre porte d’entrée dans l’univers d’Elvis Presley », explique le réalisateur Baz Luhrmann. Il a réussi ce biopic pas évident à réaliser, comme avant lui récemment les biopics, très réussis, sur Elton John (ROCKETMAN) ou Freddy Mercury (BOHEMIAN RHAPSODY).
Pour incarner cet Elvis mythique, il a choisi un acteur peu connu, Austin Butler, qu’on avait entre-aperçu comme faux tueur de Sharon Tate envoyé par Charles Manson dans ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD de Quentin Tarantino. Cheveux gominés, mèche brune tombant sur les yeux, yeux maquillés, costume rose à épaules noires, chemise noire, chaussures blanches à bouts et talons noirs, voix caverneuse et déhanché comme un bateau qui tangue: il est très crédible dans la scène où il devient vraiment un phénomène –et dans tout le reste du film.
Il chante vraiment
Et il chante vraiment une partie des chansons (Elvis jeune, avec cette voix grave et rock de ses débuts), laissant ensuite le maquillage le vieillir et les chansons tirées directement de la vraie voix d’Elvis.
Mais la vedette du film est Tom Hanks, le narrateur, qui navigue entre méchant cynique et gentil protecteur. Sinon l’acteur (deux Oscars, bientôt trois?), le film est fortement candidat à l’Oscar du maquillage, avec un Tom Hanks bouffi et lourd, au double menton, perruques et prothèses de tous genres qui font que, parfois, on le reconnaît à peine. Ses séances de maquillage, selon la production, ont duré entre trois heures et demie et cinq heures à chaque fois.
Réalisation tourbillonnante
Cet « Elvis » est globalement une réussite, même s’il comporte quelques longueurs au fil de ses 2h39. On comprend ainsi tout de suite l’emprise maléfique et néfaste du colonel Parker (mais le personnage n’est pas antipathique), et cela revient trop souvent dans la narration, jusqu’à la fin –OK, on a compris.
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La réalisation est brillante, tourbillonnante, avec un montage très rythmé, des écrans multiples, des scènes d’émotion et des passages très esthétiques. C’est de la belle ouvrage, le spectateur en a pour son argent.
Elvis intime
Au-delà de cette histoire de vie et mort d’Elvis Presley, le réalisateur australien a voulu décrire une Amérique qui, à l’époque, est encore très ségrégationniste. On y évoque aussi les assassinats de Martin Luther King et de Bob Kennedy, et dans la seconde moitié du film c’est un Elvis plus intime, plus torturé, plus fragile qui est décrit, mais aussi plus concerné et plus engagé. Et qui reste, pour l’Histoire, The King.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE: « Quand parler est trop dangereux, chantez! » (le conseil d’un pasteur noir).
- A voir : « Elvis » (États-Unis, 2h39). Réalisation: Baz Luhrmann. Avec Austin Butler, Tom Hanks, Olivia DeJonge (Sortie 22 juin 2022)
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