Avignon 2023. Il y a des moments où l’on ressent vraiment toute la magie du festival d’Avignon. C’est ce qui se passe quand au cours d’une semaine on a pu retrouver Serge Rezvani en pleine forme dans la cour du Musée Calvet, admirer une nouvelle fois une création d’Eric Bouvron au théâtre des Halles, découvrir le talent de la chorégraphe Mathilde Roux dans un spectacle jeune public et passer six heures en pleine nature avec Clara Hédouin et sa troupe qui font vivre « Que ma joie demeure » ce formidable texte de Giono.
« Que ma joie demeure »
Pour assister au spectacle de Clara Hédouin le rendez-vous est fixé à 5 heures du matin au départ des bus qui emmènent le public en pleine campagne, au dessus de Barbentane, non loin d’Avignon. A 6 heures le jour se lève et le spectacle débute par une première balade qui nous conduit à la première séquence de ce spectacle qui va durer jusqu’à midi. On alterne tout au long de la matinée des déplacements et du théâtre à travers champs d’oliviers, forêts de pins et champs moissonnés. Au début on arpente des espaces dégagés puis de plus en plus ombragés, en même temps que monte la canicule de cet été le plus chaud. Pour Clara Hédouin « ces temps de marche sont aussi des respirations qui permettent de prendre le temps de découvrir un texte dense ».
Il est très dense effectivement ce livre de Giono publié en 1935 sur lequel Clara Hédouin a travaillé avec Romain Becdelièvre. On y découvre ou on retrouve un utopiste qui fut proche du parti communiste avant de s’en éloigner et de devenir un précurseur admiré par bien des soixante-huitards puis par les écologistes d’aujourd’hui. Agriculteurs pour la plupart, ses personnages rêvent de la fin de la propriété privée, de la création d’une sorte de parc naturel régional et un changement de relation avec les animaux et la nature . Giono écrit dans une langue formidablement évocatrice, la langue d’un poète. Il fait par moment de la science fiction, se fait cuisinier, zoologue, anthropologue puis, de façon très crue, c’est de l’horreur dont il nous parle.
Tous les acteurs, et Clara Hédouin elle-même en alternance, rendent admirablement la puissance de ces personnages et la force de cette écriture. On est ébloui, ému, enthousiasmé, bouleversé. C’est intense et inoubliable.
« Braconniers »
On s’était enthousiasmé ici pour le Lawrence d’Arabie de l’auteur et metteur en scène Eric Bouvron, très présent dans cette édition du Off. Cette année il présente « Braconniers » au Théâtre des Halles, un texte co-écrit avec Benjamin Penamaria. Très modestement le spectacle se déroule sur une petite scène en plein air et avec peu de moyens et de très grands acteurs, le metteur en scène réussit une nouvelle fois un spectacle époustouflant.
Il suffit qu’un acteur se saisisse de 2 bouteilles pour imiter les cornes d’un rhinocéros et nous faire sentir la présence de l’animal en plein coeur d’Avignon. En quelques mouvements des lèvres c’est une girafe qui apparaît sur la scène. Mais ce spectacle est surtout une véritable mise en scène symphonique qui a recours aux gestes de la danse, du théâtre ou du mime pour nous offrir un voyage romanesque au sud de l’Afrique où Eric Bouvron a voulu « explorer au plus près les relations entre ces communautés qui cohabitent dans l’Afrique du Sud de l’après-apartheid ».
Dans cette lointaine contrée il est aussi question de protection des animaux, de braconnage, de rhinocéros… On se bat, on se rapproche, on se hait, entre blancs et noirs, entre générations. Mais les situations sont présentées dans toute leur complexité et cette histoire, géographiquement si lointaine, résonne sur la scène d’Avignon comme si elle était toute proche. Une fois encore, Eric Bouvron sait faire de l’universel avec le plus lointain.
« Vassilissa et Baba Yaga »
Le jeune public a aussi sa programmation dans le Off d’Avignon et le Totem est un lieu très sympathique où on peut trouver le meilleur de ce type de créations. Nous avons choisi d’y assister à la création de Mathilde Roux, chorégraphe à la tête de la compagnie Buzzing Grass. Elle a monte un spectacle autour d’un vieux conte russe qui raconte l’histoire d’une rencontre entre la jeune Vassilissa et la sombre sorcière Baba Yaga.
Cette histoire est dansée de façon contemporaine par Mathilde Roux elle-même et une autre artiste. Et la chorégraphe a eu l’idée géniale d’associer à son projet une plasticienne qui travaille en direct avec un rétroprojecteur. Elle crée ainsi les décors qui s’affichent sur l’écran de fond ce scène. Elle les peint, les dessine, joue des peintures qui se déforment dans un récipient plein d’eau, projette des plantes aux formes mystérieuses. Avec ses partenaires Mathilde Roux a créé un spectacle qui émerveille les plus petits et éblouit les plus grands.
Serge Rezvani, joyeux retour en Avignon
Serge Rezvani, auteur du « Tourbillon et de La mémoire qui flanche » était venu en auto-stop assister au tout premier Festival d’Avignon en 1947. Quelques décennies plus tard, il est de retour, mais sur scène cette fois avec Dominique A, Léopoldine HH, Carole Poulain et quelques autres artistes à l’occasion de la sortie d’un nouvel album de ses chansons initié par Françoise Canetti. Le spectacle était organisé et retransmis en direct par France Culture dans le chaleureux jardin du musée Calvet, archi comble pour l’évènement.
Les deux chansons les plus connues de Rezvani ont été lues par deux jeunes lycéens qui ont fait ainsi ressortir la force poétique de ces textes. Et puis les artistes présents et Rezvani lui-même ont repris quelques unes de ses chansons. Ils ont fait vivre un répertoire qui ne vieillit pas et que les nouvelles générations reprennent avec bonheur. Léopoldine HH qui a joué un rôle important dans la réalisation de ce nouvel album, les chantent avec un grand talent et une joie évidente.
A cent ans moins cinq comme il aime à la dire, Rezvani est en pleine forme et très heureux de pouvoir faire connaître en ce 14 juillet 2023 sa version humaniste de la Marseillaise. Rendez-vous est pris pour fêter les 100 ans de l’artiste au même endroit. On y sera !
Yves Le Pape
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