Lynda Lemay
Lynda Lemay : "Dans mon répertoire, la fiction et l’autobiographie se côtoient, se chevauchent"

Interview. Après «Décibels et des silences» sorti en 2016, Lynda Lemay revient avec un projet fou: 11 albums de 11 chansons originales, enregistrés aux Studios Piccolo à Montréal, pour lesquels elle s’est accordé un délai de 1111 jours ! Depuis sa belle province, l’artiste québécoise nous raconte «Il était onze fois»

Quatre ans après « Décibels et des silences« , l’artiste québécoise revient avec un projet fou : écrire et composer 11 albums de 11 chansons sur une période de 1111 jours ! Quatre sont déjà disponibles, « Il était onze fois », « Des milliers de plumes », « A la croisée des humains » et « De la rosée dans les yeux », et un cinquième « Haute mère » est paru le 7 mai pour célébrer la fête des mères.

On se souvient que Lynda Lemay nous avait fait partager ses envies de maternité dans « La marmaille« , les angoisses d’une femme trompée avec ses fameux « Souliers verts« … mais c’est celle qui chantait « Le plus fort c’est mon père » qui nous bouleverse ici. Un père dont la disparition a donné naissance à cette œuvre pharaonique. Comme toujours, la plume de Lynda plonge dans l’intime et l’universel, le grave et le léger avec des mots justes, une empathie et des notes d’espoir qui évitent le mélo. Depuis sa belle province, elle nous raconte « Il était onze fois ».


Lynda Lemay: « Je ne me sens loin d’aucune réalité ! J’ai l’impression d’avoir le monde entier à l’intérieur de moi. Il y a une part de moi dans chaque personne que je rencontre, peu importe son vécu, ses expériences »


lynda lemayDans vos dédicaces, vous remerciez votre père, à l’origine de ce projet ?

Lynda Lemay: Si je dis que mon père a donné le coup d’envoi à ce projet, c’est qu’à quelques semaines de son décès, nous avons vécu ensemble des moments d’une rare complicité. Avant qu’il ne tombe malade, il n’est presque jamais arrivé que nous passions des moments seuls tous les deux. A l’hôpital, nous nous sommes relayées avec mes sœurs et ma mère et lorsque venait mon tour d’être face à lui, j’étais presque intimidée. Mon réflexe a été de me réfugier dans la création, et d’inviter papa dans mon paradis des mots.  Pendant que j’écrivais des histoires qui dédramatisaient la dure réalité qu’il traversait, papa me trouvait des rimes, avait les yeux qui brillaient, faisait équipe avec moi, s’improvisait poète… A un moment, après avoir écrit 4 chansons, je me suis exclamée :  « papa, on devrait faire un opéra ou quelque chose de grandiose avec tout ça ». Quelques jours plus tard, il était passé à l’autre étape. Je n’aime pas dire qu’il est parti parce que je le sens toujours aussi présent. J’ai l’impression que ce flash qui m’est venu de faire ces onze albums n’est pas étranger à ce rêve qu’on a fait ensemble. Je le sens fier et fort: « le plus fort » !

Il y a aussi cette histoire d’alarme sur le cellulaire de votre fille qui explique le symbole du chiffre 11 ?

Lynda Lemay: Quelques mois à peine après le décès de papa, j’étais assise au Spot (café) et le téléphone de ma fille Ruby, s’est mis à sonner. Je l’avais avec moi car elle n’avait pas le droit de l’apporter en classe. Une alarme sonnait chaque jour à 11:11, j’imagine que ce chiffre avait une signification pour elle. Quand ça sonnait, c’était écrit :  « Make a Wish ».  Incroyable que ma fille soit ainsi liée à la naissance d’un projet aussi important pour moi. 11-11. Onze albums, onze chansons. C’était écrit que ça devait exister !



Comme toujours, vous évoquez des thèmes graves en évitant le mélo…

Lynda Lemay: Écrire le malheur, c’est la seule façon de le rendre joli. La poésie et la musique ont cette faculté d’alléger les cœurs qui souffrent. C’est comme en trapèze volant, dans le mouvement, on ne sent plus le poids du corps. Quand nos souffrances se transforment en chansons, elles peuvent bouger, voler. Elles deviennent moins lourdes, moins étouffantes, plus faciles à analyser, à soigner…Quand je les décris, c’est justement pour trouver de la beauté et de la lumière, même dans les parties sombres de nos vies. C’est peut-être pour ça que je ne sombre pas dans le mélo dans ma poésie et dans ma musique. Je n’aime pas le malheur alors je n’aime pas me vautrer dedans.

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Lynda Lemay. (photo) Sébastien St Jean

Il paraît que Gustavo de la Cruz, avec qui vous faites un duo, est votre nouvelle idole… 

Lynda Lemay : Je l’ai rencontré au Mexique (il est argentin et réside en Espagne). Il chantait à l’hôtel où je séjournais et, quand j’ai entendu sa voix (j’avais perdu mon idole Johnny dans l’année), j’ai eu un choc. C’était comme si j’entendais dans sa voix toutes celles que j’ai aimées dans ma vie: Johnny Hallyday, Johnny Cash, James Blunt, James Taylor, Cat Stevens, Elton John, Tom Waits, Ed Sheeran… En même temps, nul autre que Gustavo ne possède ce timbre qui résonne aussi fort en moi. J’appelle ça un coup de foudre artistique. C’est comme si mon Johnny m’avait envoyé son successeur !

Pour ce projet, vous vous êtes fixé une méthode de travail ?

Lynda Lemay : Je savais que si je l’annonçais avant qu’il soit « prêt » ça me mettrait de la pression, et c’est tout ce que je ne voulais pas. Il fallait qu’avant la sortie du premier album, les autres soient déjà enregistrés. Et c’est ce que j’ai fait. J’étais en studio, presque nuit et jour. J’y ai mis toute mon énergie, tout mon amour, mes économies, mes idées folles… Je me suis entourée d’une équipe exceptionnelle de musiciens, techniciens audacieux qui se sont lancés dans le vide avec moi !  Et on a bien rempli le vide ! Le noyau de mon équipe : Yves Savard (guitares), Dominique Messier (batterie, arrangements de cordes), Pierre Messier (piano, claviers, sax, accordéon), Sébastien Dufour (guitares), Francis G. Veillette (guitares, pedal steel), Maurice Williams (basse), Gabriel Dubuc (ingénieur son) … et il y a tant d’autres grands complices sur cet immense projet (mes harmonicistes Guy Bélanger et Pascal Per Veillette, Philippe Dunnigan et Christine Giguère aux cordes, Violet Hébert à la trompette…)



Dans la chanson « La scène aux pieds« , vous dites que vous vous nourrissez des histoires des autres. Quelle est la part de fiction et d’autobiographie dans ce projet ?

Lynda Lemay : C’est un peu comme dans le reste de mon répertoire: la fiction et l’autobiographie se côtoient, se chevauchent. Parfois il y a des parts de moi dans des chansons qui peuvent sembler parler de mon contraire. Je ne me sens loin d’aucune réalité ! J’ai l’impression d’avoir le monde entier à l’intérieur de moi. Il y a une part de moi dans chaque personne que je rencontre, peu importe son vécu, ses expériences. Quand je les décris, c’est  comme si je les avais vécues, senties. Merci à mon imagination et mon empathie, j’imagine !

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(photo) Sébastien St-Jean

Dans « La peur », vous évoquez le virus en disant que s’il nous infecte d’une conscience, il n’aura pas été vain ?

Lynda Lemay : J’ai écrit « La peur » pendant le premier confinement, alors que nous étions bombardés par des informations contradictoires, et j’analysais cet effet que la peur avait sur le monde et sur moi-même. On cherche des solutions, on cherche l’espoir, notre cerveau a du mal à accepter un tel drame. Des gens ont perdu des proches à qui ils n’ont pas pu dire au revoir. Ça fait ressortir le beau et le laid chez l’être humain. En même temps, pour une majorité de personnes, ça a été le moment de revoir ses priorités. On a eu le temps de se décrasser les yeux, d’écouter un peu mieux. Le fait d’avoir peur nous fait prendre conscience de la peur qui est le quotidien de plusieurs hommes, femmes et enfants autour de nous, tout près, aussi bien que sur d’autres continents, dans d’autres pays où des peuples attendent de l’aide qui ne vient pas. Ça crée un éveil des consciences qui ne peut qu’apporter du bon en bout de ligne. J’ose espérer qu’on en retirera beaucoup de positif. Je demeure optimiste.

La chanson « Mon drame » raconte l’histoire d’une femme enfermée dans un corps d’homme, dont vous proposez une version dans chaque album ?

Lynda Lemay: Cette chanson est un sous-projet à mon grand projet. Passionnant comme exercice : j’ai décidé de choisir un texte et d’écrire onze musiques, totalement différentes pour porter le texte. J’ai aussi décidé, vu le thème, de mélanger une voix d’homme à ma voix féminine pour illustrer le combat. Chaque version de la chanson est donc faite en duo avec un de mes chanteurs préférés. L’histoire de « Mon drame » revient donc, différemment, sur chacun de mes onze albums !



Vous écrivez aussi « Je le trouve touchant le monde, j’me dis qu’y va s’calmer, qu’y va s’laver les côtés sombres…« . C’est le message que vous souhaitez faire passer ?

Lynda Lemay : Oui, «Il était onze fois» tente d’expliquer où se trouve le bonheur dans ce monde que l’on habite. « Le monde » est la première chanson mais aussi un peu le résumé de cette longue recherche de sens et d’espoir. Le premier album deviendra un film, qu’on est en train de finaliser avec l’équipe de Parce Que Films. Ce document en dira long aussi sur ma démarche artistique et philosophique.

Vous avez hâte de rechausser vos souliers pour la scène ?

Lynda Lemay : Oh oui, je m’ennuie de la scène ! Je prépare en ce moment (prise trois) mon nouveau spectacle « La vie est un conte de fous » (les deux premières versions ayant été annulées ou reportées), mais comme le temps passe, je modifie le show sans arrêt. Quand je pourrai retrouver le public, je serai la plus heureuse des chanteuses. Je rêve au 11.11. 2021. Ces retrouvailles à l’Olympia, je sens que ça va être FOU !!!

Entretien réalisé par Annie Grandjanin

logo annie all musicAlbums déjà disponibles : « Il était onze fois », « Des milliers de plumes », « A la croisée des humains » et « De la rosée dans les yeux » et « Haute mère » (Productions Caliméro).

 

1 COMMENTAIRE

  1. Bravo Lynda…merci de laisser parler votre coeur a travers les mots…………..Merci pour votre grande sensibilité qui nous rejoint tant…..bonne chance dans vos projets…….

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