le nageur pierre assouline
"Le Nageur" : une biographie de Pierre Assouline sur le champion Alfred Nakache (c) Francesca Mantovani

Livres. Biographe reconnu et romancier d’élégance, Pierre Assouline avec « Le Nageur », plonge dans le grand bain. Et rend un bel hommage à un champion hors du commun. Un sportif du plus haut niveau revenu des camps. Une vie d’exception pour un roman de la plus belle facture…


« Le Nageur »: un texte de Pierre Assouline où se mêlent avec bonheur la rigueur biographique et la fièvre romanesque


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Pierre Assouline (c) Francesca Mantovani

Des mots de Franz Kafka : « 2 août 1914 : L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie – Après-midi : Ecole civile de natation », puis l’incipit, imparable : « Si je le revois je le tue ». C’est à Rome, est-il précisé et on apprend que cette phrase, « des années qu’il le dit. De rares proches témoignent de cette colère qui n’explose qu’en privé. Pas du genre à fanfaronner, et moins encore à clamer un désir de meurtre. Rien d’une vengeance ruminée et encore moins préméditée ».

Ouverture du nouveau roman de Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt- simplement titré « Le Nageur ». Héros et personnage principal du livre : Alfred Nakache, multi-champion de France de natation (nage libre et papillon) dans les années 1930- 1940, champion du monde universitaire, champion d’Europe, deux participations aux Jeux olympiques (1936 et 1948)… Un champion hors du commun…

Né à Constantine (Algérie) le 18 novembre 1915, Nakache est aujourd’hui encore une légende de la natation française. L’an passé, un livre lui fut consacré- il en est sorti une adaptation théâtrale sans grande saveur.


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Avec Pierre Assouline, il en va tout autrement. Parce qu’on a là un écrivain, un vrai- pas un faiseur qui écrit avec un marteau-piqueur. Biographe parmi les meilleurs (pour mémoire, ses impeccables biographies consacrées à Albert Londres, Gaston Gallimard, Hergé ou encore Georges Simenon), il sait aussi évoluer avec élégance dans le monde du roman- à preuve ses très réussis « Lutetia » (2005) et « Sigmaringen » (2014). Ce qu’il démontre, une nouvelle fois, avec « Le Nageur ». Un texte où se mêlent avec bonheur la rigueur biographique et la fièvre romanesque.

Comme dit facilement, Alfred Nakache était un personnage de roman. Un personnage né sur l’autre rive de la Méditerranée dans un environnement profondément marqué par la culture judéo-arabe, et le conseil qui figure dans le Talmud : à son enfant, apprendre à nager.

Alfred Nakache nage ; à ses débuts, dit-on, dans l’eau il n’avait ni grâce ni élégance mais il avançait avec force et obstination. Brun et râblé, celui qu’on surnomma « Artem » (poisson, en hébreu) aura, pour adversaire, dans les bassins et lignes d’eau Jacques Cardonnet, bond et grand natif de Boulogne-sur-Mer. Pas franchement amis, les deux nageurs… Le blond jaloux du brun et de ses succès sportifs.

La rivalité fait rage dans les années 1930 finissantes. Nakache, pourtant, n’est pas autrement inquiet de ce drôle de climat qui s’installe. En 1936, il participe aux Jeux Olympiques de Berlin, termine 4ème du relais 4×200 m nage libre avec l’équipe de France et, pour signifier son opposition à Hitler, baisse la tête quand les autres, sur le podium, le salut nazi. Plus tard, il refusera de porter l’étoile jaune. Lorsqu’éclate la Deuxième Guerre mondiale, il file en zone libre, se pose à Toulouse, s’y marie avec Paule, ils auront une petite fille…

Soudain, l’histoire bascule. Il est dénoncé, en janvier 1944 déporté à Auschwitz avec femme et enfant, lesquelles sont gazées dès leur arrivée. Lui, il est envoyé en janvier 1945 dans un autre camp de l’horreur et de la mort à Buchenwald. Un an dans les camps, on lui tatoue sur le bras le matricule 172763. Les gardes prennent un plaisir sadique à le faire nager dans des réservoirs d’eaux croupies en lui jetant des objets : « Va chercher, Artem ! Allez, le grand nageur, ramène ! »

Il reviendra à la vie, se refera un corps, reprendra l’entraînement et participera, en 1948 à Londres, au 200 m brasse papillon et à la compétition de water-polo des Jeux Olympiques. Mais, toujours cette phrase, ces mots : « Si je le revois je le tue ! » Alfred Nakache est convaincu que Jacques Cardonnet l’a dénoncé, lui qui donnait priorité à la grande vie plutôt qu’à l’entraînement, lui qui n’avait jamais caché sa sympathie pour l’extrême-droite et rejoint le régime de Pétain, et qui sera même ministre des sports du gouvernement de la France occupée… 

« Si je le revois je le tue ! » Retour en France, il apprend la mort de sa femme et de sa fille à Auschwitz. Après un séjour dans l’île de la Réunion, il revient à Cerbère (Pyrénées-orientales, à la frontière franco-espagnole). Le 4 août 1983, Alfred Nakache meurt, à 67 ans, victime d’un malaise alors qu’il effectuait son kilomètre quotidien de nage dans le port…

Serge Bressan

  • A lire : « Le Nageur » de Pierre Assouline. Gallimard, 260 pages, 20 €.

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Extrait

« S’il y a une leçon à méditer de l’enseignement des Anciens, c’est bien celle-ci : l’éducation d’un homme n’est pas complète s’il ne sait pas nager. Alfred sait nager désormais ; du moins croit-il savoir. Pour l’heure il nage faux, dans tous les sens, sans ligne de conduite. Forcément, quand on le fait à l’instinct. Il prend goût à la force de réveil de la fraîcheur de l’eau. Il ignore encore que dans les rêves des nageurs, l’eau devient l’héroïne de la douceur et de la pureté. Lui reste à découvrir une technique, une discipline, un effort sur soi. Quand on pense que certains nageurs maniaques consacrent du temps à vérifier le caractère parfaitement droit des lignes d’eau… »


 

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