Sortie cinéma. Aborder des sujets sérieux, voire graves, sur le ton de la comédie, faire réfléchir en faisant rire: c’est la méthode et l’objectif d’Éric Toledano et Olivier Nakache, les réalisateurs d’« Intouchables » en 2011. Ils récidivent avec leur huitième film, « UNE ANNÉE DIFFICILE », sur les écrans ce mercredi 18 octobre.
« Une année difficile » : un film plaisant, drôle, rythmé, au scénario pas toujours crédible mais bien ancré dans la réalité
Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen) sont deux losers sympathiques, qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois et sont à l’affût de toutes les combines pour survivre. Le premier est bagagiste à l’aéroport de Roissy, où il passe ses nuits faute d’un domicile fixe; le second est déprimé, séparé de sa femme qu’il aime encore et de leur fils de huit ans, et sur le point d’être expulsé de son pavillon saisi par les huissiers.
Tous deux ont en commun un surendettement chronique –auprès des banques, des amis, de la famille– dont ils n’arrivent pas à se libérer. Leur première rencontre est mélodramatique et agitée, puis ils se revoient après avoir sollicité l’aide d’un bénévole spécialisé dans l’aide aux personnes surendettées (Mathieu Amalric).
Moqueurs et pas convaincus
Ils sympathisent et Bruno fait découvrir à Albert une association de militants écolos où la bière et les chips sont gratuites. Les deux compagnons d’infortune vont peu à peu s’infiltrer dans le groupe, moqueurs et pas convaincus par la cause mais attirés par les opportunités qu’ils devinent, notamment quand il s’agit de récupérer des meubles chez des riches gagnés à la cause anti-consumériste.
Là, au milieu des militants purs et durs, ils vont participer à plusieurs actions contre la société de consommation et pour la lutte contre le réchauffement climatique. Et faire connaissance –Albert surtout, qui va tomber sous le charme– de Cactus (Noémie Merlant), une jeune activiste passionnée souffrant d’éco-anxiété, qui semble vivre sur une autre planète dans son combat pour sauver la nôtre, se sent à la fois victime et coupable et, dans son combat militant, a mis de côté tout sentiment, amoureux ou autre…
Extinction Rebellion
Cactus, Pom-Pom, Antilope, Sirène, Poussin, Lexo, Quinoa: les surnoms que se donnent les jeunes militants existent dans la réalité au sein de groupes d’activistes écologistes et anticapitalistes comme Extinction Rebellion, Attac, Youth For Climate et autres AnvCop21.
Les co-réalisateurs ont employé plusieurs militants de ces associations comme figurants de scènes elles aussi inspirées de la réalité: blocage d’un grand magasin à l’ouverture d’un Black Friday; interruption de la circulation automobile; interventions dans des réunions d’actionnaires de grandes entreprises ou des défilés de mode; actions chocs dans des abattoirs, devant la Banque de France ou à l’aéroport de Roissy; déversement de fausse peinture rouge sur les escaliers du Trocadéro, etc.
Deux thèmes difficiles
Éric Toledano et Olivier Nakache ont voulu, dans UNE ANNÉE DIFFICILE, « mélanger deux thèmes difficiles: les angoisses de la fin du monde et celles de la fin du mois », c’est-à-dire évoquer à la fois deux gros problèmes créés par la société de consommation, le réchauffement climatique et le surendettement, en faisant se rencontrer les militants qui luttent contre le premier et les victimes qui se battent contre le second.
Mais, comme dans leurs précédents films SAMBA (2014), LE SENS DE LA FÊTE (2017) et HORS NORMES (2019), ils utilisent le ton de la comédie, rendant souvent la forme plus importante que le fond. « Faire rire là où nous devrions sûrement pleurer, cela nous permettait d’aborder les mêmes réflexions et le même constat par la dérision et l’humour. La comédie est un poste d’observation privilégié, un baromètre social qui provoque également un vrai examen de conscience », explique ainsi Éric Toledano.
Mathieu Amalric
Et l’humour, dans les dialogues et dans les situations, est souvent réussi, les deux co-réalisateurs étant passés maîtres dans ce domaine, à l’exemple des génériques de début et de fin (vraiment très rigolos) ou du personnage interprété par Mathieu Amalric qui, tout en cachant un petit secret, organise des réunions du genre Alcooliques Anonymes, en inculquant aux victimes surendettées de la société de consommation un code de conduite en trois questions à adopter au moment de chaque achat: « Est-ce que j’en ai besoin? Est-ce que j’en ai vraiment besoin? Est-ce que j’en ai vraiment besoin maintenant? »
Comédie à l’italienne
Après leur précédent film HORS NORMES, Toledano et Nakache ont passé quatre ans à réaliser les deux saisons de la série télé EN THÉRAPIE, avant de revenir au cinéma pour rire des malheurs du monde en s’inspirant de la comédie à l’italienne des années 70/80, comme l’explique Toledano: « C’est notre huitième film. Les sept précédents forment un cycle, où nos héros étaient plutôt aimables. Le plus grand risque étant de redonder, de se répéter, nous avions envie, cette fois, que la comédie à l’italienne ne soit plus seulement une lointaine source d’inspiration, mais un modèle. En utilisant l’ironie, la satire, la farce, tous ces éléments qui servent à mieux appréhender notre sujet pour que le fleuve soit plus tumultueux, avec plus de courants et de contre-courants, pour bousculer, déranger, déborder pour décrire une société en mutation et en déconstruction ».
Le résultat est un film plaisant, drôle, rythmé, au scénario pas toujours crédible mais bien ancré dans la réalité, qui fait un peu réfléchir et beaucoup rire. Le savoir-faire des deux co-réalisateurs s’exprime aussi par leurs choix de chansons illustrant certaines scènes, de La Valse à mille temps de Jacques Brel à The End des Doors, en passant bien sûr par The Freak du groupe Chic ou la version de Yuri Buenaventura de Ne me quitte pas.
Jean-Michel Comte
LA PHRASE : « On va vivre la fin du monde de notre vivant et on fait quoi? On fonce » (Noémie Merlant).
- A voir : « UNE ANNÉE DIFFICILE » (France, 1h58). Réalisation: Éric Toledano, Olivier Nakache. Avec Pio Marmaï, Jonathan Cohen, Noémie Merlant (Sortie 18 octobre 2023)
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