Livre. Poète né au Vietnam et arrivé aux Etats-Unis à l’âge de 2 ans, Ocean Vuong publie, à 33 ans, son premier roman. Dans une longue lettre qu’analphabète, elle ne lira jamais, il évoque autant le déracinement que le trauma causé par les bombes ennemies ou encore la découverte du désir. Un texte de toute beauté dont l’écriture est emplie du pouvoir de rédemption.
« Un bref instant de splendeur »– premier roman à l’écriture et poétique et grandiose d’un jeune homme à la peau trop claire pour être Vietnamien et trop foncée pour être Américain. Ocean Vuong a écrit un grand livre du langage
Il est né à Saïgon (Vietnam) en 1988. Deux ans plus tard, il est arrivé aux Etats-Unis avec sa mère, fille d’un soldat américain et d’une paysanne vietnamienne. Elle est analphabète, parle à peine anglais et, très vite, elle trouve un job dans un salon de manucure aux États-Unis- elle est ce qu’on appelle « le pur produit d’une guerre oubliée ». A cette femme, à cette mère, Ocean Vuong envoie une longue lettre dans laquelle il retrace l’histoire familiale, il lui dit : « Maman, s’exprimer dans notre langue maternelle, c’est parler seulement partiellement en vietnamien, mais entièrement en guerre ». Il sait que cette lettre, elle ne la lira jamais, c’est « Un bref instant de splendeur »– premier roman à l’écriture et poétique et grandiose d’un jeune homme à la peau trop claire pour être Vietnamien et trop foncée pour être Américain. On lit : « Le corps jaune et sans nom n’était pas considéré comme humaine, parce qu’il ne tenait pas dans une case sur un morceau de papier. Parfois, on vous efface avant de vous avoir laissé le choix d’affirmer qui vous êtes »…
Dans ces pages de cette missive de toute beauté, de toute splendeur, Ocean Vuong confie à sa mère que « certains prétendent que l’histoire progresse en spirales, plutôt que de la façon linéaire qui nous est familière. Nous voyageons dans le temps suivant une trajectoire circulaire, ne nous éloignant de l’épicentre que pour mieux revenir, un cercle plus loin ». Dans ces pages, il y a des traumatismes, le déracinement consécutif à la guerre, la violence, la pauvreté. Et aussi la grand-mère schizo qui trimballe le trauma des bombes ennemies au Vietnam, la mère et ses poings qui s’écrasent sur le corps du gamin… Et également le premier amour de l’auteur de la lettre, les découvertes du désir, de son homosexualité et, grâce ultime, cette écriture au pouvoir unique, celui de la rédemption.
Avec « Un bref instant de splendeur », poète reconnu et auteur multi-récompensé pour ce premier roman, Ocean Vuong a écrit un grand livre du langage, « une vaste tentative » d’en tester les limites. Et d’expliquer que, pouvant paraître désordonné parce que, à toute page, débordant, ce roman « s’attaque à la plus grande question de notre espèce : quel est le prix à payer si on passe toute sa vie à vivre côte à côte avec les gens qu’on aime sans pouvoir leur parler, sans pouvoir leur dire exactement ce qu’on ressent ? »
Serge Bressan
- A lire : « Un bref instant de splendeur » d’Ocean Vuong. Traduction de Marguerite Capelle. Gallimard, 304 pages, 22 €.
EXTRAIT
« Tu es une femme. Une mère, et ton fils est couché sous les pins tandis que tu es attablée dans une cuisine à l’autre bout de la vile, attendant une fois de plus. Tu viens de réchauffer, pour la troisième fois, la casserole de nouilles frites et de ciboules. Ton souffle fait de la buée sur le verre tandis que tu regardes fixement par la fenêtre, guettant l’apparition fugace du sweat orange des New York Knicks du garçon, puisqu’il doit être en train de courir, vu qu’il est si tard. Mais ton fils gît immobile sous les arbres, aux côtés du garçon que tu ne rencontreras jamais… »