Musique/Interview. Avec « In Extremis », son premier opus, Claude conjugue légèreté et férocité, sur des textes directs portés par une techno joyeuse ou mélancolique. A 25 ans, le francilien fait une entrée fracassante sur la scène française.
Claude : « Un jour, je dirai pourquoi je m’appelle Claude. Mais le moment n’est pas venu. Désolé ! »
« Bientôt la nuit » extrait de son premier projet, mix émouvant, entre techno et chanson française, exalté par un superbe clip donnait le ton. L’album de 13 titres, auquel Alexis Delong, producteur de Zaho de Sagazan a participé, confirme !
Son écriture, qui prend essor dans l’intime pour tendre vers l’universel, emprunte à la fois au naturalisme et à la poésie, à l’image d’« Addition » où il admet ses peurs de l’engagement ou de « Micro-ondes » qui dénonce la solitude égoïste.
S’il évoque les premiers émois sexuels avec humour (« Baisodrome ») et son hypocondrie (« Signes vitaux »), il émeut sur la magnifique chanson de deuil (« Contresens »).
Ses tourments sont ceux d’une génération qui se rue déjà, sans grands tapages médiatiques, à ses concerts. Rencontre avec Claude, l’une des plus étonnantes révélations du moment.
Vous réalisez actuellement une partie de vos rêves : partir en tournée. Comment se passe-t-elle ?
Claude : Cette tournée est assez dingue et pourtant je l’appréhendais. Je stressais beaucoup car au tout début j’étais seul sur scène. Je n’arrivais pas à être complètement moi-même, complètement libéré. Et forcément, je ne pouvais pas vraiment défendre ma musique. En ce moment, je tourne avec des musiciens qui sont aussi devenus des amis, c’est très libérateur. Mes chansons sont augmentées et prennent une autre dimension sur scène. Le live est pour moi une belle révélation.
Le disque « In Extremis » commence par un morceau instrumental (« Réveille-toi ») Pourquoi ?
Claude : J’aime le format album, j’ai grandi avec. Avec un album, on prend le temps de présenter son sujet, de créer un fil rouge et d’embarquer dans une histoire complète. « Réveille-toi » est un peu stressant, extrêmement pressant. Il introduit l’atmosphère du disque. Il dit : préparez-vous pour ce qui arrive, rentrez dans mon univers grâce à cette musique. A la fin du morceau, on entend la sonnerie de mon réveil un peu comme si nous allions ensemble, passer une journée complète.
Quelles sont vos principales influences ?
Claude : Mon père écoutait beaucoup de musique classique. Cela m’a certainement inspiré de façon inconsciente. Ma mère écoutait de la chanson française. C’est un genre que je rejetais car pour moi il appartenait aux adultes. Je consommais en revanche abondamment de musique britannique, américaine ou japonaise sur mon ordinateur.
Japonaise ?
Claude : Oui, quand j’ai commencé à découvrir la musique électronique, je suis tombé sur plein de compositeurs et compositrices japonaises. Il s’agissait de musique avec synthétiseur qui se prêtait à l’ambiance un peu jeux-vidéos.
Dans « Addition », vous évoquez la peur de l’engagement dans une relation. (J’ai peur si tu restes/ J’ai peur de tes gestes, qui disent qu’on avance ensemble/J’ai peur de tes lèvres/ Qui m’embrassent pour la millième fois, ça veut dire quoi, ça veut dire quoi /J’ai peur des sms/Qui s’entassent depuis des années, dans nos téléphones, c’est terrifiant/)…
Claude : Je pointe du doigt des éléments qui prouvent qu’une relation progresse. C’est une peur irrationnelle. Je suis peut-être quelqu’un d’un peu trop individualiste et égoïste. Quand on s’engage dans une relation, qu’on partage un appartement, des vêtements, des vacances, il faut ne pas oublier de garder du temps pour soi.
Dans cet album, il est souvent question d’angoisse. Vous êtes au début d’une carrière : comment le vivez-vous ?
Claude : Je crois à ma capacité à faire des choses, mais j’ai peur de ne pas y arriver. Je ne veux pas brûler les étapes, je suis entouré d’une équipe qui veille à ça. Des professionnels qui tempèrent mes emballements. Quand je trouve tout naze ou bien génial, ils remettent les choses à leur place.
Un titre s’intitule « Changement à Mannheim » : Les transports vous inspirent-ils ?
Claude : Oui, j’écris beaucoup dans les transports : R. E. R, métro et TGV. Pas dans le bus, sinon je vomis. Dès que je suis dans un train, j’écris tout ce qui me passe par la tête. J’écoute en même temps de la musique sans parole. Les transports sont devenus des lieux privilégiés d’écriture et de progression sur des textes.
Pourquoi ce nom d’artiste Claude ?
Claude : Quand j’écrivais mes premiers textes, je travaillais en résidence avec un artiste allemand à Leipzig. Il m’a beaucoup aidé. Il s’appelait Claude. J’ai voulu lui rendre hommage. Pardon, tout ça est faux. A chaque journaliste, je fais une réponse différente. Il y a une raison très personnelle que je garde pour moi pour l’instant. Un jour, je dirai pourquoi je m’appelle Claude. Mais le moment n’est pas venu. Désolé !
Que vous ont apporté vos études de commerce ?
Claude : Je suis allé jusqu’au bout en étant finalement persuadé que je ne voulais pas continuer dans cette voie. Si je m’étais inscrit en fac, le choix aurait été plus dur ? Je n’aurai pas pris une décision aussi radicale de faire de la musique. Et d’arrêter les études.
Un titre s’intitule « La Nausée » S’agit-il d’un hommage au livre de Jean-Paul Sartre ?
Claude : Oui ! Je ne suis absolument pas cultivé. J’écris mais je bouquine très peu. Je suis comme pas mal de jeunes de ma génération : pour moi la porte de sortie du plaisir, ce sont l’ordinateur, centre du divertissement, les séries et les films. Mais l’un des rares livres que j’ai lu ces dernières années, c’était « La Nausée ». Il est m’a marqué car il évoque la déréalisation, la dépersonnalisation, le fait de se sentir étrange dans le monde. Et que tout puisse paraitre factice car nous sommes trop autocentrés et introspectifs.
A en croire la chanson « Signes vitaux », vous êtes hypocondriaque ?
Claude : Je suis terrifié par la maladie, la mort, le corps en général. Lorsque j’avais une douzaine d’années, je me suis blessé avec une hache en coupant des branches. Mon père, que j’adore, en rentrant de l’hôpital m’a dit pour plaisanter : « J’espère que tu ne vas pas avoir la gangrène ! » Je suis allé sur l’ordinateur de la famille et j’ai découvert pour la première fois un forum médical. J’ai paniqué. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que le corps était fragile. Je suis devenu hypocondriaque. Et me suis dit qu’il fallait dans la vie faire beaucoup de choses et le plus vite possible.
Comment envisagez-vous votre carrière ?
Claude : Je me vois faire de la musique pendant mes quinze prochaines années seulement. Après un certain âge, et quelques albums, on a du mal à se renouveler. Enfin, c’est extrêmement rare. Idéalement, moi j’arrête à quarante ans. Je fais trois quatre albums, voire un cinquième médiocre. Et ensuite, je ferai autre chose.
Le dernier titre (« Contresens ») est le plus personnel. Il évoque la disparition d’un proche. Le plus difficile à écrire aussi ?
Claude : Le titre trainait dans mes notes sur téléphone depuis des mois. Il a été à la fois très dur et très simple à faire. Très dur parce que je j’en repoussais toujours le moment. Et très simple par ce qu’on l’a improvisé tous ensemble. Pendant ce temps j’ai dit tout ce qui me passait par la tête. On a enlevé ce qui était en trop pour garder le meilleur. La musique est un exhausteur de sentiment. Ça ne soigne pas mais ça aide à explorer ses émotions.
Entretien réalisé par Christian Panvert
- Album : Claude « In Extremis » (Microqlima)