Le Book club de We Culte/« La petite bonne ». Dans ce remarquable premier roman, Bérénice Pichat raconte la rencontre entre une femme de ménage et une victime de la Grande guerre. Écrit en vers libres et en prose, il touche au cœur et vient d’être couronné par le Prix des Libraires et le Prix des Libraires en Seine 2025.
« La petite bonne » : un premier roman de Bérénice Pichat et une œuvre bouleversante qui marque les esprits
La bonne commence sa journée à quatre heures du matin. Avec son panier sous le bras dans les rues sombres et glacées, elle se rend d’abord chez les Massin, astique et nettoie sans faire de bruit pour ne pas réveiller la famille. Puis c’est au tour des Pinchard. Dans leur villa, elle doit préparer le petit-déjeuner avant d’attaquer les tâches ménagères suivant la liste établie par sa patronne. Enfin, elle se rend chez les Daniel où, outre le ménage, elle doit surveiller Blaise, le maître de maison victime de guerre qui, après de multiples opérations, a pu rentrer chez lui. La gueule cassée se désespère dans son fauteuil.
Il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et a vu tout s’écrouler autour de lui et ses compagnons d’infortune mourir. S’il a survécu, c’est le visage arraché et le corps en lambeaux. Sa prometteuse carrière de pianiste ne verra jamais le jour. Aussi songe-t-il à demander à la bonne de l’aider à mourir quand sa femme se sera absentée.
L’occasion va se présenter le jour où Alexandrine accepte l’invitation d’une amie de venir passer quelques jours dans son manoir normand. Blaise a insisté. Il veut que son épouse ne reste pas confinée à ses côtés, qu’elle profite de la vie qu’il ne pourra plus jamais avoir. Car « l’alliée la plus précieuse de Blaise n’était plus Alexandrine depuis longtemps. Sur le papier, celle-ci restait son intendante, son infirmière, son épouse, mais il lui avait préféré une partenaire redoutable: la morphine. Les années passèrent dans la tiédeur molle d’un sommeil artificiel. »
Mais quand la bonne décide de rompre sa routine, de lui montrer qu’elle ne craint pas son corps mutilé, il révise ses plans, imagine une vie plus exaltante.
L’originalité de ce roman réside dans son alternance entre prose et vers libres. Les passages en vers libres, associés à la voix de la petite bonne, sont composés de phrases courtes, simples et souvent sans ponctuation, reflétant la simplicité et la rigueur de sa vie quotidienne. En contraste, la prose élégante et descriptive donne la parole à Monsieur et Madame, soulignant leur appartenance à la bourgeoisie et leur éloignement émotionnel. Cette structure narrative permet de plonger au cœur de la psyché des personnages et de mettre en lumière les différences sociales qui les séparent .
On y retrouve aussi des thématiques très actuelles, comme le droit à mourir ou la condition des aidants.
Cette métamorphose, ce parcours sur lequel ces deux corps usés s’engagent, a séduit le jury du Prix des Libraires qui vient de couronner Bérénice Pichat pour sa première œuvre bouleversante qui marque les esprits. On attend avec impatience son second roman !
Henri-Charles Dahlem
- « La petite bonne« Bérénice Pichat. Éditions Les Avrils Roman. 272 p., 21,10 €. Paru le 28/08/2024
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A propos de l’autrice
Bérénice Pichat est professeure des écoles au Havre. Passionnée d’histoire, elle raconte dans La Petite Bonne les répercussions intimes de la Grande Guerre dans la France des années 1930. Grâce à une alchimie parfaite entre prose et vers libres, elle tisse un huis clos bouleversant entre deux êtres que tout oppose hormis le poids du destin, et où la tension happe dans un crescendo envoûtant. (Source: Éditions Les Avrils)