la street artiste Achbé
Claudie Baudry alias Achbé expose le travail photographique de ses messages dessinés à la craie sur les trottoirs de Montmartre. LP/J.D

La street artiste Achbé écrit quotidiennement sur le bitume de son quartier du 18ème arrondissement des mots dessinés à la craie teintés d’humour. Des messages éphémères qui invitent les passants à rêver, résister et à «créer du positif». Achbé expose son travail photographique à l’Espace central Dupon à Paris. Rencontre avec une artiste qui a choisi de remettre de l’humain et de la poésie dans la ville.

Elle donne rendez-vous dans un bistrot de Montmartre, où elle habite depuis 19 ans. Montmartre, c’est son village, sa famille. Dehors, il neige. Aujourd’hui la street artiste Claudie Baudry, alias Achbé, ne dessinera pas sur le trottoir des rues en pente de son quartier. Trop froid, trop humide. Demain, elle écrira « Chut ! de neige » et aussi « Flocon se tienne chaud », comme un sourire au coeur de l’hiver.

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Ma rue par Achbé

Son premier message, c’était en avril 2017. À force de voir les touristes essoufflés grimper la butte, elle a écrit sur le bitume «ça monte hein?». Une manière ludique d’entrer en contact avec les gens. Depuis, elle n’a pas arrêté de dessiner à la craie ses petits mots à l’écriture scolaire rappelant la calligraphie de l’artiste Ben, qu’elle considère comme un maître. Sa façon de répandre un peu de bonheur dans la rue. Longtemps Achhé s’est cachée derrière sa signature et ses messages découverts par les passants au hasard de leurs promenades urbaines.  Aujourd’hui, elle sort de l’anonymat et expose son art éphémère qu’elle fixe sur des photos en noir et blanc, au labo Central Dupont à Paris (1). En attendant un livre qui sortira au printemps 2018 regroupant l’ensemble de ses œuvres.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur les trottoirs Montmartre?

Acbhé : Je viens de la communication (elle est conceptrice-réalisatrice free lance) et j’ai toujours aimé jouer avec les mots. Je suis plutôt sociable, je communique beaucoup avec les gens. Un jour, j’ai eu envie de communiquer de manière plus pérenne, même si c’est une communication éphémère. Mon premier message «ça monte hein ?», c’était en avril 2017. Ça a crée tellement de fous rires, de sourires, de discussions, que j’ai eu envie de continuer. Ensuite, j’ai écrit « Ce n’est pas une rue, c’est une famille ». Montmartre,  c’est une vie de village, ce n’est pas le cas partout à Paris. C’est ça que je voulais traduire, transmettre, partager. Mes messages sont des «colibris d’optimisme», quelque chose de simple face à la vie qui est parfois très rude pour plein de personnes. D’où mon post écrit le 1er janvier 2018: «L’optimisme est un ouais of life ». C’est l’idée de créer son propre bonheur. C’est dire: «c’est un peu la merde partout, mais si on arrive à se créer une communauté positive, ça va aller».

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Ma rue par Achbé

Avec toujours une pointe d’humour et de poésie dans vos messages…

Achbé : Il y a ce côté optimiste qui fait que mon message n’est pas plombant, même quand il pourrait l’être. Quand  je pose des questions sur la mort en écrivant : « Me vois-tu de là-haut?» ou sur le consentement dans le cadre d’un viol d’enfant où je dis : «Quand il acquitte un violeur, est-ce que le con s’entend? », c’est hard et ça fait réfléchir. Ma démarche inclus des combats, des causes qui me tiennent à cœur. Les femmes, les enfants, les ados, les migrants. Il y aussi les petits métiers que j’adore mettre en valeurs, les  petits commerces qui sont en train de disparaître partout dans les centres ville, victimes des centres commerciaux des périphéries qui créent la désertification.

Le street art, c’est une façon de se réaccaparer la rue?

Achbé : Absolument. J’écris mon message sur le trottoir. Il y prend toute sa dimension, comme nulle part ailleurs, dans cet espace public qui est encore libre de droit, gratuit pour celui qui lit comme pour celui qui écrit. Il n’y a pas besoin d’aller dans une galerie ou dans un musée pour exposer.

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Ma rue par Achbé

Il y a aussi les réseaux sociaux sur lesquels vous postez vos messages que vous prenez en photo, qui ont popularisé votre art…

Achbé : Je poste quasiment tous les jours. Comme par exemple, ce message écrit  un lundi, en lien avec la slow life «Se la couler douce, c’est lundispensable». J’ai pensé à tous ceux qui reprennent le lundi, pour qui le travail est une torture. Au début, je postais sur mon profil personnel. Après j’ai crée une page Facebook «Ma rue par Achbé» et ça a pris une ampleur énorme, avec plus de 35 000 abonnés. Pour moi, le gros réseau social Facebook-Instagram, c’est comme une avenue qui prolonge ma démarche de rue.

 

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Ma rue par Achbé

«Craier», c’est une manière de remettre de l’humain dans la société, un geste porteur d’utopie ?

Achbé : C’est tout ça. C’est partager ses joies et ses peines. C’est montrer à l’autre, celui qui reçoit, qu’il n’est pas seul à en baver dans différents domaines, que ce soit au niveau financier, sentimental, affectif, social. C’est créer un lien. Mon message clé, c’est «Love for rêver», «Craie ton bonheur ». Ma manière de dire qu’ensemble, on peut faire du positif et créer un monde  meilleur. C’est piquer des coups de gueule et faire bouger les lignes. C’est pour ça que j’ai écrit «Simone s’éteint, les femmes restent en Veil» après sa mort. Un message (partagé plus de 100 000 fois) qui porte sur la vigilance par rapport aux droits de la femme. Sur mes réseaux sociaux, j’ai une communauté qui me ressemble beaucoup. J’ai pu le vérifier lors du vernissage de mon exposition à Central Dupon (1), qui m’a donné l’occasion de rencontrer mes abonnés «virtuels» qui sont principalement des femmes. Mais j’invite tous les hommes à cliquer pour faire évoluer les mentalités. Des hommes qui aiment ma page, c’est forcément des hommes bien! (rires). 

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Ma rue par Achbé

Vous revendiquez-vous du féminisme ?

Achbé: Il y a plusieurs féminismes. Je me reconnais dans un féminisme équilibré qui inclus les hommes que j’aime beaucoup. Je suis ni du côté de celles qui détestent les hommes, ni du côté de celles qui prétendent défendre les femmes en les culpabilisant quand elles prennent la parole à propos du harcèlement, en disant qu’elles doivent se laisser importuner et se défendre. Le synonyme d’importuner, c’est harceler. Donc, non. Je me reconnais dans un discours antipuritain et féministe, mais je ne veux pas qu’on donne des leçons aux femmes sur la façon dont elles doivent se comporter. Chaque femme réagit de la façon qu’elle peut quand elle est face à une agression.

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Ma rue par Achbé

Comment vivez-vous le fait que votre art soit éphémère ?

Achbé : Ce qui est formidable, c’est que je peux recommencer sans arrêt. Mes lettres sur le tableau noir qu’est le trottoir s’effacent quand il pleut et c’est très bien. C’est peut-être aussi pour cela que j’éprouve le besoin de les photographier. Là ça reste et ça devient une œuvre.

(1) Exposition «Ma rue par Achbé », Espace Central Dupon, 74 rue Joseph de Maistre Paris 18, jusqu’au 23 février. Entrée libre.

Site Facbook de Achbé : https://www.facebook.com/marueparachbe/

 

  

 

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