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"May December" : Actrice célèbre, Elizabeth (Natalie Portman, à droite) vient rencontrer Gracie (Julianne Moore), dont la vie sentimentale a jadis enflammé la presse à scandale et qu'elle va incarner à l'écran (©May December Productions 2022-LLC/ ARP)

Sortie cinéma. C’est un duo d’actrices de premier plan, Natalie Portman et Julianne Moore, qui anime le dernier film du réalisateur américain Todd Haynes, dans une histoire qui vire au face-à-face un peu fourbe et ténébreux: « MAY DECEMBER » est sur les écrans ce mercredi 24 janvier après avoir été présenté en compétition au dernier Festival de Cannes.

Elizabeth (Natalie Portman), actrice célèbre, se rend à Savannah (Georgie) où vit Gracie (Julianne Moore), une femme qu’elle doit incarner dans son prochain film. Celle-ci fit, 24 ans plus tôt, les gros titres de la presse à scandale pour avoir, à 36 ans, couché avec un adolescent de 13 ans, Joe, et avoir accouché de leur enfant en prison.

Gracie et Joe se sont ensuite mariés, ont eu deux autres enfants (jumeau et jumelle), et vivent toujours ensemble à Savannah, dans une grande maison dominant le fleuve. Gracie a deux chiens, fait des gâteaux que lui achètent quelques habitants de la ville, semble vivre une vie de couple tranquille avec son jeune mari, et prépare la cérémonie de remise des diplômes de fin d’année de ses deux jumeau et jumelle, qui vont bientôt quitter le foyer.

Enquête

Elle accueille cordialement Elizabeth, qui lui explique qu’elle veut rassembler le maximum d’informations sur elle pour jouer son personnage à l’écran. L’actrice lui pose de nombreuses questions, enquête comme un journaliste, prend des notes, interroge famille et amis, rencontre le premier mari de Gracie et son ancien avocat, se rend dans l’arrière-boutique de l’animalerie où eut lieu la relation sexuelle entre Gracie et Joe.

Peu à peu la présence d’Elizabeth dans cette famille apparemment tranquille et ce couple apparemment uni va mettre au jour quelques failles cachées, quelques craquements dans le vernis bien lisse de cette vie provinciale, quelques ressentiments refoulés…

Manipulatrices

« Au début du film, le spectateur fait confiance à Elizabeth. C’est par elle qu’on fait la connaissance de Gracie et de son histoire. Puis, on découvre comment Elizabeth utilise tous ceux qu’elle rencontre, et notre confiance en elle s’en trouve ébranlée », explique le réalisateur.

Car petit à petit le spectateur voit bien que ces deux femmes ne respirent pas la franchise et se révèlent, chacune à sa façon, manipulatrices. « C’est cela qui me séduisait dans ce projet: confronter deux actrices que j’adore, et mettre le spectateur dans une position instable, dans laquelle il doit constamment réévaluer ce qu’il pense des personnages… », ajoute Todd Haynes.

Esthétisme

Aux côtés de ces deux personnages féminins, le jeune mari de Gracie, Joe (Charles Melton), d’origine coréenne, paraît bien fade, bizarre, comme pas encore sorti de l’adolescence, pas encore remis de sa différence d’âge avec sa femme. Il élève des larves de papillons, métaphore un peu lourde dans une réalisation qui fait la part belle à l’esthétisme, aux images léchées, aux gros plans, aux reflets et jeux de miroirs, au ton amer parsemé d’humour pince-sans-rire.



Le titre, « MAY DECEMBER », évoque une relation entre une personne jeune et une autre beaucoup plus âgée. Le scénario est inspiré de l’affaire Mary Kay Letourneau, une enseignante de l’État de Washington qui, dans les années 90, tomba amoureuse d’un de ses élèves puis l’épousa. Elle est morte d’un cancer en 2020 à l’âge de 58 ans mais son mari, Vili Fualaau, aujourd’hui âgé de 40 ans, n’a pas apprécié que le film s’empare de leur histoire sans qu’on lui demande son avis.

Quatre directions

Raconter ce fait divers à scandale plusieurs années plus tard, mais aussi décrire un couple et une cellule familiale pas si parfaits, insister sur un face-à-face entre deux femmes pas si sincères, ou encore susciter des réflexions sur le travail de comédienne et les liens entre réalité et fiction: « MAY DECEMBER » prend tour à tour ces quatre directions, sans que Todd Haynes choisisse vraiment. Au début le film est un peu étrange, mou, sans sève, et l’on se demande où le réalisateur veut emmener le spectateur, mais celui-ci, volontairement déstabilisé, n’a finalement pas vraiment la réponse.

La scène la plus intéressante du film est celle dans laquelle Elizabeth parle de son métier d’actrice à un groupe d’étudiants, en marge de son enquête personnelle sur Gracie. Et bien sûr toutes les apparitions ensemble de Natalie Portman et Julianne Moore, tantôt lumineuses, tantôt ténébreuses, sont le principal intérêt de ce MAY DECEMBER, avec notamment la plus belle scène: un échange entre les deux, dans la salle de bains, face à un miroir, où l’on se demande qui manipule qui.

Se regarder en face

Jeux de miroirs? « MAY DECEMBER explore l’une des grandes caractéristiques de l’espèce humaine: son impressionnante capacité à ne jamais se regarder en face », résume Todd Haynes, qu’on a connu plus inspiré dans certains de ses films précédents: le mélo LOIN DU PARADIS (2002) était plus subversif et plus passionné, l’histoire d’amour lesbien CAROL (2016) plus sensible et plus romantique, le thriller social DARK WATERS (2020) plus profond et plus intéressant.

Dans « MAY DECEMBER », le trouble du spectateur est renforcé par le thème musical qui revient régulièrement: c’est la reprise de la musique que Michel Legrand composa pour LE MESSAGER, de Joseph Losey (1971), utilisée ensuite comme générique de l’émission Faites entrer l’accusé à la télévision française (à réécouter ici). Un intermède musical qui surprend et déroute, comme le film dans son ensemble.

Jean-Michel Comte

LA PHRASE « Les gens peu sûrs d’eux sont très dangereux, n’est-ce pas? » (Julianne Moore, à Natalie Portman).


  • A voir : « MAY DECEMBER » (États-Unis, 1h57). Réalisation: Todd Haynes. Avec Natalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton (Sortie 24 janvier 2024)

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