françois morel j'ai des doutes a la scala
François Morel : "Je ne pourrais pas m’empêcher de proposer un rire qui soit très proche d’une espèce de mélancolie"

François Morel n’a pas fini de nous régaler. En plus de nous gâter chaque vendredi avec sa chronique hebdomadaire sur France Inter, il reprend la prose de Raymond Devos au Théâtre de la Scala à Paris jusqu’au 5 janvier. Un spectacle drôle et poétique. Tout comme lui.


François Morel: « Deux choses me plaisaient chez Devos : ses textes et son côté “homme de music hall”. Il se servait de tout ce qu’il trouvait sur scène pour offrir un spectacle généreux qui mêlait mime, musique, changements de lumière… »


En 2007, vous aviez confié à l’Humanité à propos de votre spectacle musical Collection particulière que Devos vous avait “donné de l’enthousiasme”. Douze ans plus tard, vous reprenez sa prose sur scène dans J’ai des doutes. Qu’est-ce que grand clown vous donne aujourd’hui ?

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François Morel © AFP / Joël Saget

François Morel: Pour être honnête, c’est une sollicitation extérieure qui m’a donné envie de faire ce spectacle parce que, de moi-même, je pense que je n’aurais jamais osé reprendre ses textes ! Tout est parti d’une initiative de Jeanine Roze, organisatrice des Concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs-Élysées. Souhaitant rendre hommage à Devos à l’occasion des 10 ans de sa mort, elle m’a proposé de faire une lecture et nous avons brodé un spectacle d’une heure. A la fin de la représentation, nous nous sommes rendus compte que ses textes avaient gardé une efficacité comique et poétique magnifique. Entendre le public rire avec autant de force m’a convaincu de poursuivre. J’ai des doutes est le fruit de mes improvisations et de ses textes.

Devos est un amoureux des mots et de chansons… Tout comme vous !

François Morel: Deux choses me plaisaient chez lui : ses textes évidemment. Mon chien c’est quelqu’un ou Mon immeuble est sens dessus dessous, pour ne citer qu’eux, c’est vraiment de la dentelle ! Et puis son côté “homme de music hall”. Devos se servait de tout ce qu’il trouvait sur scène pour offrir un spectacle généreux qui mêlait mime, musique, changements de lumière,… Je me souviens qu’il avait même eu l’idée d’attacher ses bretelles avec le bas de son pantalon pour imiter les premiers pas de l’homme sur la lune ! On avait l’impression qu’il nous prenait par la main pour nous entraîner dans un imaginaire poétique et tellement drôle.



Dans ce spectacle, vous diffusez plusieurs extraits radiophoniques de Devos. Parmi eux, on l’entend dire que l’absurde est le ton du 20ème siècle. Selon vous, quel est celui du 21ème ?

François Morel: J’ai l’impression que c’est l’inquiétude qui transparaît. Une inquiétude générale. Le texte où il parle de “la catastrophe qui est toujours pour demain” était presque une vue de l’esprit dans les années 70 ; on n’y croyait pas vraiment. La catastrophe écologique n’était pas une obsession chez les gens. Or je crois que le rire de ce spectacle – qui s’intitule justement « J’ai des doutes » est basé sur l’inquiétude.

Vous reprenez un autre extrait où il affirme : “Si on ne riait plus, je désespérerais de l’humanité”. En tant qu’humoriste, qu’est-ce que cette phrase vous inspire ?

François Morel: Les moments où je trouve que Devos est le moins singulier, c’est quand il parle sérieusement dans ses interviews de Chancel. Je me dis qu’on n’est peut être pas fait pour commenter ce qu’on est en train de faire ? J’ai toujours eu envie de faire rire. C’est une façon de séduire, d’essayer d’être au monde,… de consoler aussi. S’il n’y avait pas le rire ni la poésie, le monde serait en effet désespérant !

Dans un monde aussi absurde que le nôtre, l’absurde est donc le meilleur allié des humoristes ?

François Morel: Les textes de Devos sont toujours aussi drôles. La preuve : les gens continuent de rire ! Avant lui, il y a Ionesco, Beckett, Dubillard… Ils utilisaient tous de la matière triste, du désespoir, mais le résultat fonctionne très bien.

Les choses qui paraissent les plus absurdes ne le sont pas toujours, loin s’en faut. Regardez ce texte sur la majorité silencieuse où Devos montre que celui qu’on entend le mieux est en fait celui qui ne parle pas. A l’heure des réseaux sociaux où l’on se sent obligé de tout commenter, il reste d’une incroyable acuité !

François Morel: Dès le départ, je savais que je voulais ce texte dans le spectacle sans que cela soit forcément très raisonné. Il y a parfois des choses dont je ne sais pas très bien ce qu’elles veulent dire mais dont je sens qu’elles racontent des choses profondes. C’est précisément le cas ici. A force de commenter tout le temps, on n’entend plus rien et on devient désireux de silence. J’ai immédiatement eu l’intuition que ce texte racontait des choses très prégnantes sur l’actualité.

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François Morel © AFP / Joël Saget

Pour conclure, qu’est-ce que Devos vous a permis d’apprendre de vous ?

François Morel: Je pensais que ce spectacle serait essentiellement basé sur le rire mais il possède une dimension émotionnelle forte. D’ailleurs, il se conclut par une note mélancolique. Si Devos m’a permis d’apprendre quelque chose de moi – mais je crois que je le savais déjà – c’est que je ne pourrais pas m’empêcher de proposer un rire qui soit très proche d’une espèce de mélancolie. Les larmes sont d’ailleurs toutes proches du rire. Et c’est ça, je pense, que les gens ont aussi envie de venir chercher au théâtre. On se réunit également pour évacuer ce qui nous fait peur. Et ce qui nous fait peur est toujours un peu présent quand même…

Entretien réalisé par Sandra Franrenet

  • « J’ai des doutes », spectacle de et avec François Morel, textes Raymond Devos – La Scala 13, boulevard de Strasbourg, 75010 Parisjusqu’au 5 janvier.

 

 

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