Livre. Le romancier italien Erri De Luca sur le chemin de l' »Impossible »

Livre. L’écrivain italien Erri De Luca publie « Impossible ». Un très beau roman et un huis clos haletant qui met face à face deux hommes, lui militant âgé « de la génération la plus poursuivie en justice de l’histoire d’Italie » et un jeune magistrat qui mène un interrogatoire serré. Entre eux s’engage une lutte en mots à la recherche d’une vérité.

Dans ce dialogue toujours sous tension, le suspens est tenu comme le sens des réflexions sur la vie, la mort, la trahison, l’amour, la fraternité, les contradictions d’une époque, les errances, les croyances ou la force des souvenirs…

Dans les Dolomites, un homme chute de la vire de Bandiarac au pied de la paroi verticale du Piz Conturines. Est-il tombé dans ce précipice faute d’entrainement sur ce sentier qui exige expérience et concentration ou a-t-il été poussé ?

L’homme qui est interrogé était sur ce même sentier. Alpiniste chevronné, la montagne est son terrain et ses anfractuosités semblables à celles de sa vie, il les a parcourues sans jamais avoir peur, ni tomber.

Lorsqu’il a aperçu le corps plusieurs mètres plus bas, il a appelé les secours et se défend donc d’avoir une responsabilité dans la mort de l’homme, dont le magistrat veut qu’il soit sa victime.

Le narrateur, accusé, réfute ce dernier mot et insiste auprès du magistrat sur l’attention que la langue impose pour bien nommer les faits: « la langue est un système d’échange comme la monnaie. La loi punit ceux qui impriment de faux billets mais elle laisse courir ceux qui écoulent des mots erronés. Moi je protège la langue que j’utilise. »

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Or le magistrat ne croit pas à un accident. Cet homme n’est pas étranger à cette chute, c’est un meurtre, il l’a poussé pour se venger d’un passé commun qui les a séparés. Cette conviction le tient et il avance dans l’interrogatoire avec cette idée fixe pour boussole.

En effet, les deux hommes se connaissaient. Ils ont fait partie de la même organisation. Alors compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier a livré le second et ses anciens camarades à la police. Voilà pour le mobile du meurtre selon le juge.

A l’appui de sa démonstration, il cite un vers de Phèdre de Racine : « Ma vengeance est perdue s’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue »

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Le juge s’engage dans un duel dont l’objectif est de faire chuter l’homme qui nie les faits et qu’il incarcère pour se donner une arme supplémentaire, la privation de liberté le fera avouer. Mais l’homme ne se laisse pas impressionné, son expérience et ses valeurs le maintiennent hors de portée des arguments et manœuvres du juge.

De sa prison, l’homme s’adresse à « son Amore mio ». Une inconnue qui pourrait être une femme aimée ou la métaphore de sa conscience. « Amore mio me voici revenu dans l’intimité des mètres verrouillés. Tu n’as pas fait de latin, moi si. Il existe deux verbes qui signifient demander, l’un sert à demander pour savoir, l’autre à demander pour obtenir »

Le magistrat demande non pour savoir la vérité mais pour obtenir l’aveu: « Amore mio. Ta présence a mis les jours en file indienne, en route vers les rendez-vous »

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Cette alternance de tension lors des interrogatoires et d’intimité des lettres donnent à ce récit sa puissance narrative et une poésie d’une grande finesse. Le style d’Erri de Luca s’y déploie, il soulève les mots qui s’enroulent autour des thèmes qui lui sont chers et invitent le lecteur à prendre part au débat.

Dans ce dialogue toujours sous tension, le suspens est tenu, comme le sens des réflexions sur la vie, la mort, la trahison, l’amour, la fraternité, les contradictions d’une époque, les errances, les croyances ou la force des souvenirs « comme ceux des montagnes gravies « en sécurité dans la soute de mes sens ». C’est un livre dont on ne sort pas, car l’impossible peut s’écrire aussi un possible. Magistral !

Véronique Sousset

• « Impossible » d’Erri De Luca – Gallimard/Collection du monde entier. 176 pages, 16,50 €