Alain Souchon et Laurent Derrière les mots et les chansons d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy, il y a une complicité artistique de plus de quarante ans. Une amitié que les deux chanteurs vont célébrer, dimanche, pour la première fois ensemble à la Fête, où ils se produiront pour la dernière de leur tournée commune.
Alain, quel souvenir gardez-vous de votre dernier concert à la Fête de l’Humanité en 2010 ?
Alain Souchon Il faisait très beau, c’était très agréable. Le soleil était à droite et, au bout de deux heures, j’avais la joue toute rouge ! (Rires.) C’est bien que cette Fête soit traditionnellement toujours là. C’est sympa. Tout le monde y va, tous les chanteurs aiment bien faire la Fête de l’Huma. Notre métier, c’est un métier populaire, et la Fête de l’Huma, c’est comme ça. Ce n’est pas snob, c’est des idées généreuses. Bien sûr, on n’est pas communiste, mais ça ne fait rien, c’est sympa.
Laurent Voulzy Moi, je ne l’ai jamais faite. J’y suis allé dans les années 1960-1970 avec des copains, dont deux avaient des parents communistes, très militants. Des gens d’ailleurs formidables. Je ne me souviens plus très bien, mais peut-être qu’il y avait The Kinks, à l’affiche.
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Dimanche, ce sera la dernière de votre tournée qui a commencé il y a un an. Qu’avez-vous appris mutuellement de cette aventure ?
Alain Souchon Ça a été une expérience très sympathique de travailler à deux comme ça sur scène. On a l’habitude de faire des chansons, de s’isoler. Laurent et moi, on est des gens très différents. On apporte chacun un truc et ça fait une chanson avec nos deux sensibilités différentes. Mais, sur scène, c’est à l’envers, on se montre et ça part. On a des rythmes différents, donc il a fallu s’adapter et ça nous a liés encore plus. Ça a été beaucoup de bonheur. Du travail aussi et une espèce de discipline de faire attention à l’autre. Sur scène, moi, je suis très vif, Laurent est plus posé, ça apporte du respect de l’un à l’autre. C’est la première fois que je me retrouve avec lui sur scène. On se découvre un peu même si ça fait quarante ans qu’on se connaît dans la vie.
Laurent Voulzy On se connaît tellement tous les deux. Depuis les années 1970, on en a passé des heures ensemble à s’éloigner pendant deux mois, pour écrire des chansons dans une maison isolée. C’est des mois de balades, de réflexion, de pitreries et d’écriture. Alain, plus ça va, plus il tend vers la sobriété. Moi, j’ai un côté avec des fantasmes parfois plus sophistiqués, étoffés dans les arrangements sur scène. On a eu de longues discussions et on a trouvé quelque chose qui nous satisfait tous les deux.
À quel moment vous êtes-vous rencontrés ?
laurent Voulzy C’était en 1973. Ce qui m’a plu chez Alain, c’était certainement tout ce qui était différent de moi. J’étais introverti, Alain, je le trouvais beaucoup moins timide, un peu fou, rebelle. Moi, j’avais un côté très retenu et, lui, il était déjà barré. Ça me fascinait. Quand on a commencé à écrire des chansons ensemble, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Cela a donné J’ai dix ans, la première chanson qu’on a écrite ensemble, ensuite, quand on a fait Bidon, je me suis dit : « Il a quand même une façon d’écrire les mots, un peu dingue. » Peut-être qu’il a trouvé que je lui apportais quelque chose en musique et on ne s’est plus jamais posé de questions. On a continué à se dire : « Tiens, si on continuait à écrire des chansons ensemble. »
Alain Souchon Laurent, je le respecte beaucoup. Il est extraordinaire comme créateur de musique, moi pas. On est chacun admiratif l’un de l’autre. Laurent est très pur dans sa manière de composer. Jamais il ne ferait quelque chose pour être à la mode ou plaire particulièrement. C’est son truc, un mélange d’influences qui viennent d’Amérique du Sud, d’Angleterre, du Moyen Âge, de la musique du XIVe siècle. On était dans la même maison de disques, apprentis chanteurs et on sortait des 45 tours qui ne marchaient pas. Un jour, Bob Socquet, qui était directeur artistique, nous a fait travailler ensemble et on a créé J’ai dix ans. C’est là qu’on s’est aperçu que les chansons qu’on écrivait seul n’intéressaient personne et que, quand on se mettait à deux pour faire une chanson, elle se classait dans les hit-parades ! (Rires.) Cela nous a fascinés. Après, on a fait Bidon, Y a d’la rumba dans l’air, Rockollection et ça marchait. Comme quoi, comme dirait Jean-Jacques Goldman, « ensemble, on réussit ».
Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir devenir chanteur ?
Alain Souchon J’en rêvais vaguement comme une fille de 12 ans rêve de devenir mannequin. Je me disais : « Qu’est-ce que je fais sur la terre ? Qu’est-ce que je vais pouvoir faire ? » Les études, je n’y arrivais pas. J’étais dans un monde intellectuel avec des parents formidables dans une maison pleine de bouquins. J’étais un élève appliqué et je n’arrivais à rien. C’était atroce ! (Rires.)
Et vous Laurent, la musique a toujours été votre première passion ?
laurent Voulzy J’avais des choses qui m’attiraient particulièrement comme l’histoire avant que je fasse de la musique vers 14-15 ans. Ensuite, j’ai découvert la musique. J’ai fait un peu de batterie, un peu d’harmonica et, en quelques mois, j’ai découvert la guitare, qui est devenue ma première occupation. À partir de 15 ans, la guitare est la chose que j’ai probablement le plus tenue dans mes mains. C’est la musique qui m’attirait le plus et qui a été le centre de ma vie.
Quels artistes vous ont marqué adolescent ?
Laurent Voulzy Tout l’univers de la guitare me plaisait. J’écoutais les Shadows, ensuite les groupes anglais qui ont commencé à chanter. Little Richard pour moi a été une révélation rock. C’est le premier disque que j’ai écouté toute la journée avec mes cousines et mes cousins chez mon oncle. Après j’ai été attiré par la musique classique, brésilienne et par la musique pop. J’étais fasciné par Baden Powell, les Beach Boys ou par les Beatles, les Who, les études de Bach…
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Alain, ce sont les mots et la poésie qui ont été le déclencheur de vos rêves ?
Alain Souchon En pension, j’ai été accro aux livres de Lagarde et Michard. Mes heures d’études, je les passais devant la Nuit d’octobre d’Alfred de Musset, ses rimes, cette cadence des mots me fascinaient. Je lisais le Lac de Lamartine, Victor Hugo avec une admiration pour ces images qui surgissaient et ces rimes un peu emphatiques, dingues. Ça me fascinait, plus que Madame Bovary et les grands romanciers, Flaubert et tout ça, du XIXe. Après, j’ai découvert Apollinaire, Rimbaud, tous ces gens dont j’admirais la musique des mots. Ensuite, j’ai découvert Brassens, Guy Béart, Léo Ferré qui aimaient, comme moi, tous ces poètes qu’ils mettaient en musique. Ça me plaisait. En même temps, j’allais dans les surprises-parties pour voir les filles, écouter I can’t get no satisfaction des Rolling Stones. J’aimais bien le côté voyou de ces groupes anglais.
Que recherchez-vous à travers votre écriture ?
Alain Souchon J’essaie d’être simple, en même temps, je n’y arrive pas toujours. Je regarde le monde, je vois des gens couchés dans la rue, je fais une chanson qui s’appelle Petit tas tombé. On est tous touché par les mêmes choses. Il faut que les chansons soient compréhensibles. Il faut être populaire, ne pas vouloir être snob. On vient de Nougaro, de Gainsbourg, de Brel, de Béart, de Barbara, la chanson française, c’est quand même quelque chose. C’est magnifique, merveilleux. Regardez Stromae, Christine and The Queens, c’est formidable. Ils ont su épouser ce qui se fait de mieux à l’étranger et en faire quelque chose de français. C’est magnifique. Il y a aussi Vincent Delerm, Mathieu Boogaerts, Jeanne Cherhal, plein de gens qui continuent d’écrire en français, qui ont ce goût. C’est merveilleux.
Laurent, sauriez-vous dire ce qui fonde votre démarche musicale ?
Laurent Voulzy Je n’ai pas inventé la musique. On écoute des gens et, après, on amène sa personnalité. J’essaie de tendre vers l’absolu dans la musique. Elle a un côté mystique. Je cherche certainement quelque chose de religieux dans la musique. Il y a un sentiment qui nous dépasse, une espèce de perfection et d’émotion absolue, d’harmonie parfaite. C’est une quête.
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Comment expliquez-vous que des artistes comme vous, Renaud, Michel Polnareff, Eddy Mitchell, Johnny, occupiez une place privilégiée dans le cœur des gens. Un besoin de nostalgie ?
Laurent Voulzy Je ne sais pas si c’est de la nostalgie. Quand on écrit une chanson comme Jeanne avec Alain, qui est devenue la chanson de l’année, je ne crois pas que les gens qui ont voté l’ont fait par nostalgie. Probablement que cette chanson a quelque chose d’intemporel. L’album que j’ai fait, Lys and Love, qui est un disque inspiré par le Moyen Âge, n’a rien à voir avec de la nostalgie. Bien sûr, il y a des gens qui viennent nous voir pour écouter les anciennes chansons. Là, la nostalgie joue absolument. Il y a aussi le fait qu’Alain est un auteur génial et d’exception avec des chansons intemporelles. Et peut-être que j’écris des musiques qui peuvent aussi avoir un côté intemporel.
Vous êtes très fusionnels tous les deux, en totale harmonie. Vous auriez presque pu faire une carrière de groupe finalement ?
Laurent Voulzy Je ne suis pas sûr parce qu’on est extrêmement différents dans nos rêves et nos fantasmes Alain et moi. On n’est pas pareils du tout et, en même temps, on s’apporte des choses. On a fait des chansons l’un pour l’autre pendant longtemps et, un jour, on a décidé de faire un album ensemble pour sceller et créer une troisième personne. Au départ, c’était juste l’envie d’être sur scène tous les deux. Ensuite, c’est moi qui ait dit à Alain : « Pourquoi on ne ferait pas un album ? » Le pari, c’était de parvenir à chanter quelque chose ensemble.
Alain Souchon Cela m’aurait plu au départ, après non. Il y a les ego, c’est difficile. J’aime bien les Rolling Stones, lire leur histoire, mais c’est compliqué entre eux, les Beatles aussi. C’est des métiers où l’on met en avant sa personnalité et, je ne sais pas pourquoi, mais quand ça se heurte à d’autres trucs, c’est dur à vivre. C’est un mystère, mais c’est plus difficile la scène à faire à deux, et ça, moi, ça m’a fait du bien par rapport à la gentillesse qu’il faut avoir l’un avec l’autre dans la vie en général.
Auriez-vous pu imaginer que vos carrières durent aussi longtemps ?
Laurent Voulzy On ne pense pas à cela. Je ne fais aucun plan de carrière. Je ne pouvais pas imaginer ça. D’ailleurs, je ne me rends même pas compte que ça a duré longtemps. Avec Alain, des fois, on se dit quarante ans, c’est dingue !
Alain Souchon J’ai eu de la chance. Je me dis que j’ai été comme pris en main par la vie, le destin. Je ne sais pas expliquer, mais ça me dépasse. C’est bien d’avoir ce don de faire des chansons qui séduisent les gens.
Vous avez respectivement 72 ans et 67 ans. Le temps qui passe, ça évoque quoi pour vous ?
Laurent Voulzy Jusqu’ici, je ne m’en suis pas occupé. J’ai une tendance à être carpe diem. On aimerait que le temps s’arrête. J’essaie de vivre chaque instant comme il vient. Je sais que tout est éphémère. On ne peut pour l’instant rien y faire. Peut-être que la science un jour fera en sorte que la vie pourra se prolonger, un peu, puis beaucoup. J’y crois. Pour l’instant, la vie, elle est courte. Elle paraît éternelle jusqu’à l’âge de 20 ans et, avec l’échéance, les événements s’accélèrent. Aujourd’hui, j’ai conscience du temps qui passe un peu plus qu’avant. En attendant, essayons de vivre ! (Rires.)
Alain Souchon On trouve ça injuste que le temps passe si vite. On est révolté. J’ai un goût pour la nature, la santé, la montagne… J’aime tout ça et, en même temps, je me sens affaibli par l’âge. Ça m’agace, mais c’est comme ça.
Vous avez toujours porté un regard teinté de tendresse sur le monde. Un message au public de la Fête ?
Alain Souchon Ce qui est important dans la Fête de l’Humanité, c’est le mot humanité. C’est l’un des plus beaux mots qu’on puisse employer, plus que le mot amour qui est placé dans tous les feuilletons américains à la con. Il faut prendre soin de l’humanité. Ça, c’est beau ! Il faut que ça continue. Ça fait partie de notre monde. Et tous ces gens merveilleux que j’ai tellement aimés dans mes années 1960. Ça fait partie de mon univers. J’adorais Louis Aragon : « La rose et le réséda, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas. » J’ai fait une chanson qui s’appelle l’Oiseau malin. Le monde appartient aux gens qui n’ont rien. C’est eux qui le font. L’abbé Pierre, c’était bien. C’était un homme de lumière. Comme Théodore Monod. Ce sont des gens qui ont le mot humanité en eux.
Laurent Voulzy Moi, je n’ai pas de message à donner. Je trouve que le monde est gouverné par le mépris et l’économie. Les groupes comme Monsanto qui pourrissent la terre, ça me met en colère. Je suis révolté par plein de choses, les problèmes d’extrémisme de tous bords. On vit un monde très spécial. Il y a toujours eu des guerres à toutes les époques depuis l’Antiquité. Avec les armes de plus en plus puissantes et Internet, qui peut être un outil à la fois formidable et terrible. La catastrophe peut arriver très vite. La surpopulation du monde, la mépris d’une poignée de gens qui peuvent polluer la planète avec des produits, la surconsommation…Tout cela me dégoûte et me révolte. Je suis comme tout le monde. J’ai l’impression que le bonheur pourrait être facile à atteindre. En tout cas, ce qui serait facile à atteindre, c’est une grande partie du malheur du monde dû à la malnutrition, au pourrissement de la Terre, au manque de soins. Avec peu d’efforts et un peu de bonne volonté, on pourrait y arriver.
- Alain Souchon et Laurent Voulzy seront sur la grande scène de la Fête de l’Humanité, dimanche 11 septembre à 17h30.