Les livres qu’on aime. Régulièrement, on les voit au cinéma, à la télé, au théâtre. Elles et lui sont comédien.ne.s, connu.e.s et reconnu.e.s- même à l’international, pour certain.e.s. Ces temps-ci, cinq d’entre eux ont fait un pas de côté, changé de couloir. Cinq d’entre eux (Rachida Brakni, Anne Brohet, Marthe Keller, Alice Pol et Jean Reno) ont écrit un livre- récit, roman, autobiographie, souvenirs. Revue de détail.
RACHIDA BRAKNI : « Kaddour »
Le livre du souvenir. Une mémoire vive qui offre une ode au père. De belles phrases, telles « Je me lance à tes trousses mais tu te dérobes » ou « Tu persistais à ne te parfumer que le dimanche pour ne pas gâcher, me disais-tu, mais aussi par habitude, non ? Après une semaine de labeur, le parfum était ta récompense ; un onguent pour apaiser l’effort enduré. Ce faisant, tu marquais une rupture et une mise à distance de ta condition d’ouvrier »…
Le week-end du 15 août 2020, le père de Rachida Brakni meurt. Elle sait si peu de lui, juste qu’il ne sait ni lire ni écrire. Alors, elle va tenter de le connaître, post mortem- c’est « Kaddour », un texte délicatement émouvant, un hommage « à tous ces hommes qui ont quitté un pays pour une vie meilleure », une histoire de silence.
Première actrice arabe à entrer à la Comédie-Française, Rachida Brakni se lance dans l’écriture pour raconter ce père immigré en France à 18 ans et devenu chauffeur routier, sa mort, ses funérailles en Algérie. Le travail l’avait épuisé, il est mort du Covid en cet été 2020.
Confidence de l’auteure : « Ces hommes comme mon père n’étaient plus tout à fait de là-bas et ils ne sont pas non plus complètement d’ici ». Dans ses mots, il y a de l’émotion, du regret, du remord… aussi, de la vénération pour ce père taiseux, cet homme pour qui ses enfants étaient tout. Dans « Kaddour », Rachida Brakni ne manque pas de dire et écrire que ces parents- ce père et cette mère, « gens de peu » installés en à Athis-Mons en banlieue parisienne, l’ont toujours encouragée. Personnalité du monde culturel français, femme de théâtre, cinéma et chanson, elle confie aussi : « Je lui dois ce que je suis ».
- « Kaddour » de Rachida Brakni. Stock, 198 pages, 19,50 €.
ANNE BROCHET : « L’armoire de vies »
Une idée toute simple a traversé celle qui fut en 1990, dans le film « Cyrano de Bergerac » de Jean-Paul Rappeneau, une inoubliable Roxane, et reçut en 1992 le César de meilleure actrice dans un second rôle pour « Tous les matins du monde » d’Alain Corneau : « La remémoration des armoires de toilettes qui ont jalonné ma vie depuis toute petite ».
Ainsi, Anne Brochet nous a glissé « L’armoire de vies », son sixième livre pour un récit personnel aux résonances universelles, pour une autobiographie à peine camouflée. Elle précise le contenu : « Je m’observe à chaque étape de mon existence mais pas que. Le lecteur aussi se voit aussi dans le miroir. L’idée c’est de transcender les choses de la vie ».
Egalement discrète et élégante, elle raconte donc ces armoires de toilette auxquelles on accorde si peu d’importance mais qui jalonnent toute vie. Elle confie : « Mon cœur ressemble à une armoire de toilette : un espace pour mon rôle de mère, un tiroir pour ma vie professionnelle, un autre pour mes amis, un intérieur de porte pour mon fatras amoureux ».
Auteure d’un premier roman remarqué et remarquable- « Si petites devant ta face » (2001), Anne Brochet raconte comme personne ses armoires de toilette. Celles de l’enfance, de l’adolescence, de la famille, de la maternité, l’âge adulte puis de grand-mère… Celles des odeurs et parfums, savon Palmolive, crème pour bébé Mustela… Celles des lieux, des aventures et des gestes. Avec Anne Brochet et ses armoires, c’est la vie dans toute sa singularité, sa banalité et son unicité.
- « L’armoire de vies » d’Anne Brochet. Albin Michel, 144 pages, 17,90 €.
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MARTHE KELLER : « Les Scènes de ma vie »
Souvent, elle dit et répète : « Je suis amoureuse de la vie ». Née à Bâle (Suisse), approchant les 80 ans, Marthe Keller a décidé de se raconter. Au fil des pages, elle déroule « Les Scènes de ma vie ». Et confie : « Le luxe, dans ce métier, est de pouvoir dire non aux choses qu’on n’a pas envie de faire », ou encore : « Je ne me suis jamais mariée car je ne supporte aucun contrat ».
Elle a brillé au cinéma et au théâtre où elle joue aussi bien en français, en allemand, en anglais qu’italien, mis en scène des opéras (dont « Dialogue des carmélites »), enseigné à Lausanne et partagé les jours et les nuits du réalisateur Philippe de Broca ou encore, pendant sept ans, d’Al Pacino…
Après avoir envisagé une carrière de danseuse classique, elle se révèle en 1972 au grand public en France avec « La Demoiselle d’Avignon »«, une série télé, puis elle file à Hollywood. Au fil du temps, on l’a vue dans des œuvres de Claude Lelouch, Billy Wilder, Sydney Pollack ou encore Patrice Chéreau, elle a donné la réplique, entre autres, à Al Pacino, Marlon Brando et Dustin Hoffman ( « Marathon Man » de John Schlesinger, 1976).
Une confession forte : « J’ai organisé ma vie pour préserver ma liberté. Je ne veux pas être nue. Je ne veux ni me vendre ni me justifier. Alors, ce livre, je me demande comment l’écrire et en dire le moins possible. Comment se raconter tout en restant discret ».
Et un conseil ultime signé Marthe Keller à tout.e jeune qui se projette comédien.ne : « Si vous aimez vraiment ce métier, si vous vous sentez profondément inspirés, si vous êtes prêts à énormément travailler et, surtout, si vous n’avez pas peur des refus, allez-y »…
- « Les Scènes de ma vie » de Marthe Keller. Presses de la Cité, 224 pages, 22 €.
ALICE POL : « En eaux vives »
Vue dans des comédies « populaires » (entre autres, « Supercondriaque »– 2014, « RAID dingue »– 2016, ou encore « Les Vieux fourneaux » – 2018) avec, entre autres, Dany Boon, Kad Merad et Pierre Richard, Alice Pol s’est pointée en librairies en 2023 avec « Coup de pelle », un polar au succès surprise.
Elle récidive, toujours avec un polar et son héroïne Charlie : c’est « En eaux vives », avec la disparition aussi étrange que nébuleuse d’une jeune montagnarde. En charge de l’enquête, donc, Charlie- toujours observatrice et psychologue, angoissée et obsessionnelle dans sa mission, solitaire et aimant les animaux et les endroits isolés dans sa vie personnelle.
Maniant le chaud effroi, expliquant son goût pour l’écriture, Alice Pol confie : « Je n’ai pas inventé de vaccins, des choses comme ça. Mais changer les idées de gens qui en ont besoin, quelque part, oui, ça me rend fière ».
Ainsi, elle invite lectrices et lecteurs à plonger « En eaux vives » dans un village tranquille de montagne. C’est là qu’a disparu Lise- employée dans un spa, adepte du papillonnage, elle allait se séparer de son compagnon, il est le premier suspect.
Charlie, la capitaine de police, va mener l’enquête, avec l’aide de son adjoint Marc et de sa fille ado Sacha, André son supérieur en préretraite et Boniface, un homme âgé qui nourrit une passion pour les disparitions. La piste semble évidente, même si Charlie n’ignore rien des noirceurs et des turpitudes de l’être humain… Un polar mené bon train, écrit d’une plume aussi appliquée que légère et non dénuée d’une pointe d’humour…
- « En eaux vives », d’Alice Pol. Robert Laffont, 304 pages, 20 €.
JEAN RENO : « Emma »
Beaucoup comédien (« Le Grand Bleu », « Le Cinquième élément », « Les Visiteurs », « Léon »,…), un peu chanteur, le voici à 75 ans romancier. Et, oui, il écrit ! Vivant au hasard de l’année aux Baux-de-Provence et à New York, Jean Reno publie son premier roman simplement titré « Emma ». Un récit d’espionnage sobrement ficelé, une affaire d’Etat qui mène jusqu’au sultanat d’Oman.
L’auteur avoue d’emblée : « Je ne suis pas écrivain. Je suis un raconteur d’histoires », et confie s’être mis à l’écriture pendant le confinement consécutif à la pandémie covidienne.
Emma, 28 ans, travaille comme masseuse dans un centre de thalasso en Bretagne, sa mère vient de mourir, elle va se retrouver à Oman par le plus grand des hasards (du moins, pourrait-on le croire) pour former les équipes d’un centre luxueux de bien-être dirigé par Tariq Khan, le très séduisant fils du vice-Premier Ministre du sultanat du sultanat.
C’est le grand chambardement dans la vie d’Emma, et un sacré dilemme avec son cœur balance entre ses sentiments et sa mission pour les services secrets français. Les agents secrets, les espions, qu’importe comment on les appelle, ils sont dans les pages d’«Emma ».
A un moment, l’héroïne confie : « Sans risque, le plaisir ne serait pas aussi aigu », et on sent que l’auteur, influencé par tant et tant de films, s’amuse à faire surgir deux jets privés de la délégation omanaise dans le ciel de la petite ville bretonne où vit Emma… Ayant pris goût à l’écriture, Jean Reno laisse entendre qu’il pourrait replonger- il a déjà des idées pour la suite des aventures d’Emma !
- « Emma » de Jean Reno. XO Editions, 320 pages, 21,90 €.
Serge Bressan