Le chanteur sort Zoom. Un album qui célèbre Elvis Presley et Oum Kalsoum, l’Occident et l’Orient, sur fond de guitares rock’n’raï et de chaabi.
Vous êtes rare dans les médias. Qu’avez-vous fait depuis votre dernier disque, Bonjour, en 2009 ?
Rachid Taha. Je n’ai pas arrêté. J’ai fait de la peinture, j’ai écrit un livre, je viens de finir la BO d’un western marocain, Kanemayaken (Il était une fois). Je suis en train d’écrire le scénario d’un film que je vais réaliser, Kebab a Lula, autour de l’image d’Elvis, sur la religion, l’intégrisme. Il revient sur terre et assiste à une bagarre entre deux intégristes, un chiite et un sunnite. Et Elvis dit : « Arrêtez vos conneries », leur chante Kebab a Lula, et tous les deux décident d’ouvrir un restaurant de kebab ! (Rires.)
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Vous reprenez Now or Never qu’il avait adaptée de la célèbre chanson O Sole Mio. On ne vous savait pas fan du King à ce point !
Rachid Taha. Si je suis fan ? Je suis un dingue d’Elvis ! J’ai grandi avec Brian Eno, Mick Jones, Joe Strumer, Alain Bashung, Christophe, Rodolphe Burger, Kurt Cobain, Robert Plant, John Lennon, je me suis aperçu qu’eux aussi adoraient Elvis. Je peux passer des nuits à écouter Elvis. Personne ne l’a repris en arabe. Il n’y a que moi ! (Rires.) It’s Now or Never, c’est la chanson O Sole Mio, l’Italie. Naples, où je suis allé récemment, c’est un peu arabe. Je me croyais à Alger. J’ai repris cette chanson, qui est le plus gros succès d’Elvis, parce qu’elle fait le lien entre l’Orient et l’Occident.
Sur quoi aviez-vous envie de zoomer dans votre album ?
Rachid Taha. Sur l’avenir et le passé qui fait avancer. Je zoome sur Oum Kalsoum, la plus grande star qui soit. Il y a cette anecdote à son sujet. Elle se produisait pour la première fois à Paris, à l’Olympia, que dirigeait Bruno Coquatrix. La salle s’est immédiatement remplie, le public accourait de partout. Coquatrix, tout à coup voit arriver la Callas, il lui demande : « Que faites-vous là ? » Et la Callas de répondre : « Mais vous avez la plus grande chanteuse du monde ! » Oum Kalsoum, dans les pays arabes, il n’y a pas un jour où on ne l’entend pas dans une radio. Un ami me faisait remarquer qu’elle est la plus grosse vendeuse de disques au monde, avec 1,5 milliard d’albums ! Et grâce au travail du producteur Justin Adams, quelqu’un de très cultivé dont j’ai appris qu’il est né au Mali, on a samplé sa voix dans l’album.
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C’est un bel hommage où l’on reconnaît la plume de Jean Fauque qui signe les paroles de la chanson…
Rachid Taha. Jean, on se connaît depuis longtemps et on avait un ami commun, Alain Bashung. Un jour où l’on parlait d’Oum Kalsoum, il m’a dit qu’il était né à Alger et qu’il était venu en France à dix-sept ans. Il est plus algérien que moi en fait ! C’est un mec tellement agréable, intelligent. Attention, je ne travaille pas avec n’importe qui. (Rires !)
De fait, vous êtes entouré d’un casting impressionnant avec des pointures comme Mick Jones, Brian Eno ou Rodolphe Burger…
Rachid Taha. Avec Rodolphe Burger, j’avais fait une super chanson, l’Arabécédaire, en hommage à Gilles Deleuze. Il y a pas mal de guitares rock dans l’album. Je pense à Jamila, qui est un mélange de Suicide, de punk, de raï. Cette chanson parle de la condition féminine. Comme cette femme, récemment au Maroc, mariée de force et violée et qui s’est suicidée. Je ne lâche pas l’affaire !
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Il y a aussi le thème de la xénophobie dans Voilà Voilà…
Rachid Taha. La peur de l’étranger, les politiques s’en servent de plus en plus. Je lisais un article d’Amnesty International qui épinglait Paris comme étant une des villes les plus racistes en Europe, avec Berlin. Mon fils, qui a vingt ans, me racontait qu’il était avec des copains black, et à l’entrée d’une boîte à Paris, on lui dit : « Toi tu rentres, mais pas eux. » Pour le travail, c’est pareil. Des Français d’origine maghrébine qui travaillent à la City, à qui je demandais pourquoi ils avaient choisi Londres, m’ont répondu : « Parce qu’on ne nous donne pas de boulot à Paris. » On en est là. Les Américains ont mis à peine deux cents ans pour élire un Black. En France, on est loin de ça ! Déjà qu’il n’y a pas beaucoup de femmes à l’Assemblée nationale…
Après avoir passé vingt- cinq ans dans une major, vous êtes désormais chez un label indépendant, Naïve. Pourquoi ce choix ?
Rachid Taha. Je reviens à la maison en fait, puisque mon premier album est sorti chez Virgin que dirigeait Patrick Zelnick (actuel directeur de Naïve). Il faut savoir se libérer de ses chaînes. J’avais l’impression de faire l’amour avec quelqu’un qui ne m’aimait plus ! (Rires.)
Entretien réalisé par Victor Hache
Album Zoom, chez Naïve. Tournée à partir du 3 mai, dont Le 15 et le 16 mai au Trianon, Paris
Arabesques entêtantes
Ambassadeur de la diversité musicale, Rachid Taha revient avec Zoom. Un album enregistré dans les studios Real World de Peter Gabriel, qui fait le lien entre l’Occident d’Elvis et l’Orient d’Oum Kalsoum. L’ancien leader de Carte de séjour, qui a grandi avec les films de Bollywood, les westerns spaghetti et les musiques égyptiennes, y brouille les pistes à l’envi mêlant les guitares rock ‘n’ raï, l’oud et le chaâbi dont les arabesques entêtantes mènent à la transe. Rachid Taha, qui sera au Trianon les 15 et 16 mai, est par ailleurs l’auteur de la BO du film qui sortira début mai, Cheba Louisa, de Françoise Carpiat, avec Rachida Brakni et Isabelle Carré. Enfin, il prévoit de monter le premier festival de rock arabe à Paris à la rentrée. À suivre.
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