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Par Victor Hache. Miossec vient de se produire aux Francofolies de La Rochelle. Voici son interview que je n’avais pas encore eu le temps de mettre en ligne. Bonne lecture!

C’est un grand moment que s’apprête à vivre La Rochelle samedi 12 juillet avec le concert de Miossec au Théâtre de la Coursive. Un spectacle qui promet d’être très émouvant où le chanteur brestois fêtera ses 20 ans de carrière et où il interprètera son magnifique dernier album aux ambiances intimistes «Ici-bas, Ici même», marqué par le temps qui passe.

Diriez-vous qu’il y a une résonnance spirituelle dans le titre de votre album «Ici-bas, ici même» ?

Miossec : C’est plutôt la négation de la spiritualité. «Ici-bas ici même », c’est la terre, l’être humain, l’évolution du genre. Je suis dénué de toute croyance, athée comme ce n’est pas permis ! (rires). C’est inconcevable, pour moi, l’idée de religion. La prétention de l’homme à pouvoir croire qu’il y a un paradis, un purgatoire ou un enfer m’a toujours étonné. En Bretagne, on a des calvaires et des croix dans les campagnes. J’ai été à l’école catholique parce qu’elle était à côté de la maison. C’est vrai que c’est fort chez nous. Et que l’on soi croyant ou non croyant, on ne peut pas y échapper.

Vous revenez avec un disque aux ambiances plus douces, moins rock…

Miossec: J’avais envie de faire quelque chose de cool, que l’on puisse entendre à domicile. Je me suis rendu compte que je faisais deux boulots différents. Faire des concerts où il y a l’énergie, le bordel parce que j’adore quand ça décolle et quand ça part. Et faire des disques. Mettre de l’énergie dedans, ce n’est pas évident.

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Diriez-vous que vous vous êtes assagi?

Miossec. Non, ce ne serait pas drôle ! (rires). Au début, il avait une violence par rapport au fait que l’on devienne un truc de commercialisation. J’ai fait beaucoup pour saborder. Ce n’est pas plaisant d’être un chanteur populaire. Etre là que pour plaire et séduire, c’est horrible. C’est faire sa pute. Mon but premier but, c’était de faire de la musique. Je me suis mis à chanter parce que j’avais un huit pistes et que je n’osais demander à personne. C’est du boulot d’arriver à être cohérent et surtout à savoir s’exprimer. Là, j’avais plus de temps pour faire ce disque. Tout a été enregistré chez moi. J’avais vraiment envie d’avoir les deux pieds sur terre et de maîtriser le processus parce que je ne suis pas le roi du studio !

L’album s’ouvre par une chanson très sensible, une réflexion sur la vie qui passe et qu’ »on n’a peut-être pas vécue comme on aurait dû ». Le constat d’un homme qui vient de fêter ses cinquante ans ?

Miossec : C’est le «peut-être» qui est essentiel. On ne sait toujours pas si on est en train de réussir ou de gâcher sa vie à l’instant où nous parlons. Arrivé à cinquante ans, on commence à compter. Le temps imparti n’est plus infini. C’est fabuleux d’avoir cette conscience du temps. Ça va très vite. J’ai toujours ce rapport au temps.

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Dans « On vient à peine de commencer », vous chantez « la vie ce n’est pas fini/On peut encore se retourner/se raccrocher à la poésie ». Est-ce à dire que la réalité ne vous fait pas rêver comparativement à la poésie ?

Miossec : Souvent, la réalité se transforme en cauchemar. J’ai longtemps hésité à mettre le mot «poésie», parce que c’est lourd de conséquence. La capacité de chaque être humain à secréter sa propre poésie, dès lors on ne connait plus l’ennui et surtout l’envie de posséder des choses matérielles. C’est une certaine sensibilité, une sorte d’auto-défense.

La nature est-elle synonyme de poésie pour vous ?

Miossec : Là où j’habite, j’ai l’océan. Les gens qui vivent sur les rivages sont nombreux à être scotchés par la mer. C’est une poésie sans fin, la poésie ultime. Je me suis rendu compte au cours de mes voyages, que j’ai toujours suivi les rivages, les îles. A l’inverse, la montagne pour moi, c’est de l’ordre de l’incompréhensible. Je n’arrive pas à y trouver de poésie.

Vous vivez dans le Finistère. C’est important de vivre à un bout du monde ?

Miossec : C’est un bon point de vue. Je suis comme beaucoup de brestois, très fier de vivre ici. Etre au bout ça provoque ça. A Brest, les ouvriers de l’arsenal avaient cette fierté, cette aristocratie ouvrière. J’ai connu ce monde-là qui n’existe plus aujourd’hui. Ma grand-mère était couturière. Elle était très bien habillée, presque du Chanel ! Mon Père était plongeur sous-marin chez les pompiers de Brest. Plongeur sous-marin, on sort quand il y a des creux et des tempêtes. Dans la mer d’Iroise, il faut le faire, c’est un truc de fou ! (rires).

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On a l’impression que quand on est né à Brest, on est marqué à jamais…

Miossec : Il n’y en a pas un qui en réchappe. Ce n’est pas une ville insignifiante. Elle a une histoire pas possible. Et le nombre de brestois qu’on trouve partout dans le monde, c’est génial. Dans mon quartier, il n’y a que des gens qui viennent de Tahiti, de Nouvelle-Calédonie. On a un rapport aux Dom-Tom fascinant. On profite du système français pour s’exporter. J’ai habité à la Réunion, on était un gros paquet de Brestois, là-bas !

Vous parlez presque exclusivement du Finistère Nord comme si il y avait une espèce d’ailleurs où vous vous sentiriez presque étranger ?

Miossec : Le Finistère Nord en soit, c’est un département hallucinant. Il y a une richesse dingue. Ne serait-ce qu’au niveau du tempérament, c’est impressionnant entre la côte nord, la presqu’île de Crozon, le pays bigouden, les Brestois, les Quimpérois, les îliens, Ouessant…. Sur une surface aussi petite, les différences de caractères ou de traits, c’est fabuleux.

Pourquoi revendiquez-vous votre identité de chanteur locale ?

Miossec : Dès l’album Boire, J’avais vu le danger que c’était d’être un coq de village. Ce n’est juste pas possible. Le fait d’avoir pu revenir ici, je comprends mieux ce qu’est le fait d’être chanteur local. Avoir des amis qui ont une profession différente, un copain boulanger, fromager ou maire. Chacun a sa fonction et moi je m’intègre là-dedans, comme une des pièces du morceau. Quand il y a un coup de mains à donner sur Brest, j’ai ma fonction. Cela permet d’avoir une existence qui s’intègre dans la communauté.

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Dans vos chansons vous évoquez souvent la mort. C’est une idée qui vous hante ?

Miossec : Les enterrements au bout d’un moment, ça marque. Il y a plein de cancers, entre cinquante et soixante ans, c’est terrible. Un peu comme les années Sida, j’ai l’impression qu’il y a une sorte de faucheuse qui se met en marche. Et il n’y a pas que ceux qui ont trop bu ou qui ont trop fumé qui meurent. Parler des morts, c’est participer au travail de deuil.

Quelle lecture faite-vous de la chanson «Ce qui nous atteint » dans laquelle vous dites «l’histoire bégaie» ?

Miossec : Pour moi, ça transpire l’extrême-droite, tout au fond de la chanson. C’est bien planqué. Il y a de grandes questions à se poser sur ce pays. Il y a quelque chose dans l’air de terrifiant. On n’arrive pas à contrer ça par des mots ou par une logique. C’est un sentiment diffus. Il n’y a pas d’explication logique. C’est du domaine de la peur. C’est un processus inéluctable en Europe. Tout ce qui était de la science-fiction il y a dix ans-quinze ans, aujourd’hui on y va gaiement. Surtout, il y a cet effondrement total de la gauche, on n’a rien dans les mains. C’est terrible.

Déçu par la gauche au pouvoir?

Miossec : Ce n’est pas déçu, c’est absolument catastrophé. On a l’impression d’être blindé déjà, d’avoir subi tellement de désillusions depuis tant d’années. Là, ça arrive à un point de non-retour. L’affaire Cahusac, cela été gigantesque. Parmi les gens que je fréquente, ça n’est vraiment pas passé.

Une chanson, ça peut aider vivre, soigner l’espace d’un instant?

Miossec : Si ça peut faire résonnance chez quelqu’un d’autre, c’est formidable. C’est comme de la correspondance avec des gens qu’on ne connaîtrait pas à travers des mots qui peuvent toucher. C’est un travail de curé. On trouve des mots pour le prêche du dimanche matin ! (rires). Ecouter les chansons des autres me fait un effet foudroyant. Il y a un amour acharné de la musique. C’est une parenthèse chez l’être humain. C’est fabuleux.

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Vous fêtez vos vingt de carrière. Auriez-vous pu imaginer que cela durerait autant ?

Miossec : A la stupéfaction générale ! (rires). Cela me surprend bien sûr. Je suis toujours le plus critique à l’égard de mon boulot. C’est chouette qu’on m’ait permis de survivre. Un parcours, c’est plein d’accidents. Il y a eu des choses malheureuses dans ces vingt ans de boulot. La musique, c’est une matière dangereuse quand on essaie de se remuer un peu le ventre. Surtout, il n’y a rien de plus pathétique que quelqu’un qui n’a plus de succès. La société se venge, style « il fait moins le malin le chanteur !». C’est violent le prix qu’on doit payer pour grimper sur l’estrade et avoir la prétention d’être chanteur. C’est fabuleux parce qu’on ne sait jamais si on tient le coup ou si on est une anomalie. Ce n’est pas rationnel. Pourquoi un chanteur plait alors qu’il ne sait pas bien chanter ? Il y a encore plein de truc à faire. J’ai hâte de voir la suite, hâte de batailler.

La scène, ça représente quoi pour vous?

Miossec : Un concert c’est violent et ça fait un bien incroyable. J’aime cette radicalité entre l’endroit où je vis où c’est contemplatif et la scène. Vivre les deux est un grand privilège. Avoir le luxe de pouvoir vider son sac sur scène, on se sent quand même allégés après un concert. Quand il s’est bien passé. Drôle d’espèce, les chanteurs !

Entretien réalisé par Victor Hache

Concert le 12 juillet, Théâtre de la Coursive, à partir de 19 heures.

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